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    Colloque 30 ans du GRIC

    Réflexions pour une éthique du dialogue interreligieux

    Gric Internationalpar Gric International23 mars 2008Mis à jour :3 mai 2022Aucun commentaireLecture : 20 minutes
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    “Seigneur, désarme-moi,

    Seigneur, désarme-nous, Seigneur, désarme-les [1].”

    Prière quotidienne de Christian de Chergé, prieur de Notre-Dame-de-l’Atlas, Tibhirinne, Algérie

    Introduction

     Première considération : Existe-t-il une alternative au dialogue interreligieux que nous puissions considérer comme vraiment éthique ? Réponse : Non ! Il n’y a pas d’alternative au dialogue qui puisse prétende être vraiment éthique.

     Deuxième considération : Dans le fait humain de dialoguer, il y a déjà des normes implicites de respect pour l’autre. Celles-ci servent à établir les présupposés minimes pour une éthique du dialogue interreligieux.

     Troisième considération : Nous pouvons comprendre ces principes éthiques implicites au dialogue soit comme un minimum à partir duquel commencer, soit comme un maximum, un desideratum, auquel nous pouvons arriver.

     Quatrième considération : Le dialogue est-il précieux parce que, avec lui, nous atteignons d’autres biens ? Ou est-il précieux par lui-même ? Est-ce un « instrument » pour obtenir une autre finalité ou s’agit-il, au contraire, d’une fin en lui-même ?

     Cinquième considération : Deux propositions de dialogue à partir d’une perspective éthique croyante : Le fellowship (compagnonnage) de Jacques Maritain et L’Hospitalité sacrée de Louis Massignon.

    I

    Première considération : Existe-t-il une alternative au dialogue interreligieux que nous puissions considérer comme vraiment éthique ? Réponse : Non ! Il n’y a pas d’alternative au dialogue qui puisse prétende être vraiment éthique.

    Quelle serait l’alternative à un dialogue entre les personnes qui professent des croyances différentes ? Quelle devrait être l’alternative à un dialogue interreligieux ?
     L’ignorance ? Oblitérer la présence de l’autre ? Tourner le dos au contact entre religions ? Établir des ghettos hermétiques ?
     Un monologue unilatéral ? Une juxtaposition de discours de sourds ?
     Une prédication prosélyte qui s’imposerait ?
     Un combat pour éliminer l’autre, le faire disparaître ?
     Une guerre de religions afin de voir laquelle est la plus importante ?

    Malheureusement nous partons d’une propre expérience historique en ce double sens :

    1. Ignorer la présence de l’autre quand il est considéré inoffensif.

    2. Ou bien la combattre quand nous la croyons potentiellement dangereuse.

    Mais aucune de ces options ne nous semble pas aujourd’hui – si elle l’a pu être un jour – suffisamment justifiable éthiquement.

    Parlons donc, d’abord, d’une éthique du dialogue, parce qu’il n’y a pas d’autre issue juste et parce que nous considérons qu’il n’existe pas d’autre alternative moralement acceptable à ce dialogue même. Il n’y a pas d’initiative qui ne prétende être véritablement éthique au dialogue.

    Autant l’oubli de l’autre (dédain) qu’un monologue unilatéral qui voudrait s’imposer sont aujourd’hui considérés comme immoraux ou, si vous préférez, de moindre qualité morale que le dialogue. En effet ces attitudes ne prennent pas assez en compte la dignité de l’être humain, la seule vraie valeur humaine, et son autonomie dans un monde global interconnecté où il n’y a plus de compartiments étanches.

    II

    Deuxième considération : Dans le fait humain de dialoguer, il y a déjà des normes implicites de respect pour l’autre. Celles-ci servent à établir les présupposés minimes pour une éthique du dialogue interreligieux.

    Je vais utiliser librement les réflexions de quelques philosophes actuels comme Jurguen Habermas ou Otto Apel (éthiques discursives) ou Adela Cortina, en Espagne, qui ont essayé de proposer une éthique universelle sur le fait humain des présupposés implicites en une situation « idéale de parole », c’est-à-dire les présupposés de la communication humaine.

    Nous pourrions dire que, dès le moment où nous commençons à parler, nous acceptons tacitement, que nous le voulions ou non, que nous le sachions ou non, quelques normes universelles de validité. D’après ces auteurs, un dialogue implique, au moins, quatre prétentions de validité :

    1. Intelligibilité,

    2. Sincérité,

    3. Vérité,

    4. Correction.

    Qui parle prétend avant tout que ce qu’il dit a un sens et s’arrange que son interlocuteur puisse le comprendre. Il prétend aussi que ses affirmations sont sincères (un reflet fidèle de ce qu’il pense), véritables (ajustées à des faits objectifs) et correctes (conformées à des normes intersubjectives).

    Cette acceptation universelle des normes du discours implique, en même temps, l’acceptation de supposées éthiques pour les acteurs qui participent au dialogue. Dans un dialogue, on ne dit pas seulement un contenu exprimé car, à travers ce contenu, s’exprime un « qui » : la personne actrice du dialogue. Pour cela, à partir des normes universelles implicites dans le discours, en amont de ce que l’on a exprimée, nous aboutissons nécessairement à la considération éthique d’un « qui », d’un sujet éthique qui s’exprime.

    Pour établir un dialogue véritable, il faut partir fondamentalement de :

     Un principe de symétrie. Personne ne pourra occuper une position de déséquilibre ou de pouvoir. Personne n’aura le dernier « mot ». Personne ne restera exclu de cet équilibre de procédure. Cela veut dire que tout le monde a le droit à parler et a le même droit à parler, pourvu qu’il accepte et suive les prétentions de validité.

     Un principe d’échange ou substitution. Les changements de rôles dans le dialogue – c’est-à-dire parler, se taire ou écouter – montrent par leur alternance que le récit de l’autre mérite d’être écouté et d’être mis en considération.

     Un principe de respect. C’est-à-dire la reconnaissance de la dignité de l’autre comme « interlocuteur valable » à travers les vérité et véracité partagées.

    L’éthique du discours a comme fondement une conception de l’homme comme “interlocuteur valable” ou comme un être capable de se communiquer et d’argumenter. A mon avis, c’est ce qui anime et suggère un véritable dialogue interreligieux.

    L’identité humaine qui consiste à la capacité communicative est un projet à bâtir à travers la reconnaissance mutuelle des hommes, dans notre cas : d’hommes de fois différentes. Dans ce sens, ce projet atteint un horizon utopique que Habermas appelle « situation idéale de parole » et Apel “communauté idéale”.

    Cette procédure consiste donc à discerner comme éthiquement valable ce qui provient de la reconnaissance mutuelle entre les hommes. D’une certaine manière, il s’agit d’un processus d’approfondissement dans l’autonomie ou dans l’autodétermination, dans lequel la recherche de la vérité et le progrès moral vont ensemble, car celui qui a quelque prétention de vérité doit promouvoir l’idée que les hommes reconnaissent leur propre identité à travers le dialogue.

    III

    Troisième considération : Nous pouvons comprendre ces principes éthiques implicites au dialogue soit comme un minimum à partir duquel commencer, soit comme un maximum, un desideratum, auquel nous pouvons arriver.

    Les promoteurs d’une éthique du discours parlent d’une « situation idéale de parole » parce qu’ils sont très conscients que, dans la pratique, tous les principes ne se donnent pas en même temps de façon idéale ni avec la même intensité.

    Cela implique qu’on peut prendre une position d’exigence maximale, comme une condition indispensable, pour n’importe quel dialogue, ou bien qu’on peut partir de la situation « réelle de parole » [par exemple, une situation dans laquelle les compétences intellectuelles des interlocuteurs ne sont pas identiques, ou bien un nombre déséquilibré d’interlocuteurs, ou un entourage où la liberté est influencée par différents conditionnements politiques et sociaux], et avancer vers la situation « idéale ».

    Je crois que l’important est de se rendre compte qu’il y a une logique éthique propre au dialogue qui pousse nécessairement les interlocuteurs qui y participent vers une considération honnête de l’idéal communicatif comme d’une valeur qu’il faut faire croître au maximum. Le dialogue suppose une espèce de magie contagieuse qui le concerne et qui transforme celui qui le pratique.

    Je suggère qu’une façon d’avancer dans la prise de conscience et dans l’éclaircissement des éléments universels éthiquement indispensables pour un véritable dialogue interreligieux pourrait être l’utilisation d’un élément de la théorie de la justice de John Rawls : le voile d’ignorance.

    Dans la proposition néocontractualiste de la justice comme impartialité [2], John Rawls suppose qu’il est possible d’accorder quelques principes de justice, universellement partagés, simplement à partir d’une protection correcte des intérêts individuels, car tout être rationnel – avec une capacité pour le calcul – atteindra spontanément à maximiser ses intérêts et s’assurera un minimum de biens qui lui permettront de développer son existence avec dignité.

    La grâce et la nouveauté de la théorie de Rawls consistent à ce que l’on assure l’impartialité et, avec elle, l’universalité éthique, à travers de l’ignorance – le voile d’ignorance – compris dans sa célèbre « position originelle ».

    Traduit très grossièrement, cela reviendrait à dire quelque chose comme cela : si on ne savait pas à l’avance la situation que l’on aurait en vivant notre existence sociale, nous nous mettrions d’accord tout spontanément dans ce qui serait un minimum de justice – ce qu’il appelle le maximim – en le calculant en bénéfice personnel pour éviter, au moins, la pire des situations.

    Ce n’est pas le moment de considérer la discussion globale sur le modèle théorique de Rawls qui nous éloignerait de notre sujet. Mais, utilisons le stratagème argumental du voile d’ignorance et appliquons-le au débat sur l’éthique du dialogue interreligieux.

    Dans une hypothétique situation originelle du voile d’ignorance religieuse, un ensemble de personnes devrait se mettre d’accord pour établir des minimums éthiquement exigibles pour un dialogue correct interreligieux. Si ces personnes ne savaient quelle croyance chacun professe (ou s’ils faisaient abstraction de leur propre option de foi), quels seraient les principes sur lesquels nous nous mettrions d’accord comme éthiquement exigibles ? Ou autrement dit, si je ne savais pas quelle foi je professe et si j’étais invité à développer un dialogue avec d’autres personnes de foi, comme aimerais-je être traité ? Quel minimum éthiquement indispensable serai-je d’accord pour qu’il soit l’exigible ?

    IV

    Quatrième considération : Le dialogue est-il précieux parce que, avec lui, nous atteignons d’autres biens ? Ou est-il précieux par lui-même ? Est-ce un « instrument » pour obtenir une autre finalité ou s’agit-il, au contraire, d’une fin en elle-même ?

    Est-ce que nous nous engageons à dialoguer parce qu’il s’agit d’un moyen bon pour atteindre une finalité bonne, ou bien nous nous engageons dans le dialogue parce que le dialogue proprement dit est bon comme tel, sans plus de considération, sans qu’il y faille plus de connotations en lui ?

    Pour éclairer la question, nous pouvons utiliser la distinction de Max Weber entre l’éthique de la responsabilité et l’éthique de la conviction [3].

    L’éthique de la responsabilité prend en compte les conséquences des actions et, par conséquent, présuppose que le critère décisionnel sur une action bonne ou mauvaise n’est pas un autre que le résultat de cette action même. Si les conséquences de l’action nous sont agréables ou souhaitables, l’action sera correcte. Mais si, au contraire, s’en suivent des conséquences négatives ou non souhaitées, c’est parce que l’action a été considérée incorrecte.

    Il s’agit d’un modèle conséquencialiste de valorisation éthique qui fait dépendre la bonté ou la méchanceté d’une action du résultat de l’action même. Cette position est propre aux éthiques du style hédoniste et utilitariste, de type libéral anglo-saxon ; elle se dégage aussi du pragmatisme nord-américain qui est à la base de quelques propositions d’éthique pour le dialogue interreligieux réalisées à l’actualité.

    Pour ce dernier courant philosophique, le critère de vérité ou de véracité dépend du résultat des actions. Est uniquement vrai ce qui a une utilité, quelque chose comme l’on dit en espagnol : « Bien está lo que bien acaba” [4].

    L’éthique de la conviction, par contre, présuppose que la valeur des actions ne dépend pas du résultat de celles-ci, car il y a en elles d’autres facteurs incontrôlés qui ne dépendent pas de la volonté du sujet éthique et qui pourraient faire qu’une même action peut être bonne ou mauvaise selon le contexte dans lequel elle se produit.

    La valeur d’un sujet humain n’est pas en fonction de mes intérêts. Il mérite du respect par le fait même d’être un autre être humain, et cela indépendamment de ce qu’il en découle un préjudice ou un bénéfice pour mes propres intérêts.

    Si nous appliquons cette distinction à notre réflexion, il n’est pas difficile de mettre en rapport quelques propositions éthiques de dialogue interreligieux. Par exemple, la déclaration Une éthique mondiale proposée par le Parlement des religions du monde et rédigée par le théologien Hans Küng, est d’un type « éthique de responsabilité », tandis que la position éthique de nos groupes GRIC est d’un type « éthique de la conviction ».

    L’important pour la première est le résultat du dialogue : un grand accord universel satisfaisant simultanément les intérêts de tous, tandis que, pour une éthique de conviction, ce qui est important n’est pas la conséquence mais le processus en soi, la communication qui s’établit entre les personnes et le plus d’intelligibilité de la foi personnelle et de la foi de l’autre qui font que les parties qui participent au dialogue s’accroissent dans le processus, indépendamment du résultat final.

    Mais quelle peut être la finalité du dialogue ? Quelques considérations me viennent à l’esprit :
     Il est au service de la paix et de la concorde des êtres humains.
     Il cherche une expérience plus profonde que sa propre expérience religieuse.
     Il est au service de la conversion de l’autre (c’est le prosélytisme).
     Il cherche un accord de minima universels, une éthique civique à base religieuse.

    Si nous nous situons dans la logique interne d’une proposition éthique de responsabilité, laquelle de ces finalités est la plus noble, la plus morale, la plus éthique, à mettre au dessus de tout ? Quelques-unes de ces considérations sombrent-elles dans le terrain de l’injuste ou de l’immoral, comme le prosélytisme manipulateur, par exemple ?

    Une conception éthique du dialogue de type « conséquencialiste » utiliserait des impératifs hypothétiques, pour utiliser la nomenclature kantienne, de la sorte :
     Si tu veux la paix, dialogue.
     Si tu ne veux pas la guerre entre les religions, évite toute imposition en dialoguant.

    Le problème que je vois dans ce type de logique éthique est double :

     D’abord : un problème de confiance ou de contrôle du soupçon. La finalité du dialogue n’est pas toujours explicite. Dans un dialogue honnête, il faut s’assurer qu’on partage les mêmes finalités. Sinon il y a réellement quelques finalités cachées qui ne sortent pas à la surface. Il faut du temps pour s’assurer que les véritables finalités de l’autre correspondent à nos finalités propres et qu’il n’y a pas de « intentions cachées », des arrière-pensées. Dans n’importe quel cas, il faut constamment refaire confiance pour éviter un soupçon.
     Deuxièmement : un problème d’objectifs atteints, conquis. Ou de rendements. Qu’est-ce qu’il arrive quand la finalité poursuivie n’est pas atteinte ? Qu’est-ce qu’il arrive quand les temps du dialogue ne sont pas ceux que nous voudrions ou nous croyions qu’ils devraient être ? La tentation est très claire : ou bien nous forçons le dialogue ou bien nous nous fatiguons et nous nous décourageons par le manque de « résultats » obtenus.

    Si le dialogue se considère une valeur en soi, par contre, la nuance est bien différente. Dans la mesure où nous utilisons le dialogue avec une finalité, il resterait affaibli dans son sens premier.

    C’est comme l’amitié. Si on utilise l’amitié comme une finalité, il semble que l’on introduit en elle quelque chose qui l’abaisse à être un intérêt. Nous sommes des amis par la valeur que nous donnons à notre propre amitié, indépendamment du rendement que nous puissions en soustraire.

    Si quelqu’un pouvait reconnaître qu’il est ami d’un autre avec une finalité, ne manquerait-il pas quelque chose à cette amitié ? Ne se rendrait-il pas faible quand cette finalité ne serait pas atteinte ?

    Si on ne veut pas être si puriste, nous pourrions le dire d’une autre façon. Dans la mesure où l’amitié est par intérêt, elle perd sa valeur et s’éloigne vers l’immoralité. Dans la mesure où l’amitié se maintient dans le terrain de la reconnaissance de la valeur de l’autre comme une fin en soi même, on se situe directement dans la moralité. Ou bien nous dirions que l’amitié n’a pas dépassé un état initial de seul intérêt ou de curiosité, ou bien nous dirions qu’il lui manque quelque chose pour être une véritable amitié.

    Si la finalité du dialogue est stratégique, quand on se rend compte qu’il ne sert pas à établir la finalité préétablie ou atteindre la finalité préétablie, faudrait-il l’abandonner ? Si le dialogue ne sert pas nous approcher à une meilleure « pacification », ne faut-il pas l’établir ? S’il ne me sert pas pour le prosélytisme, pour la conversion de l’autre, le dialogue ne m’intéresse-t-il plus ?

    Si le dialogue est une fin en soi, s’il est une valeur en soi, il entre dans la considération des impératifs catégoriques, en suivant la nomenclature kantienne : « Fais A », « Ton obligation est faire A », « Ton devoir est A ». Et ce devoir, il faut l’accomplir avec une indépendance de toute stratégie dirigée vers les résultats.

    Quelque fois cela peut aller jusqu’à être une position héroïque comme, par exemple, le cas des moines de la Trappe de Tibhirine en Algérie.

    Pourquoi devrions-nous considérer le dialogue comme une valeur en soi et non comme un instrument stratégique ? La réflexion sur la sociabilité naturelle d’Aristote. Nous avons la parole et pour cela nous sommes des êtres sociaux par nature. Nous sommes des êtres pour la communication. De cette façon, notre obligation morale serait de prendre comme une fin en soi la communication humaine.

    V

    Cinquième considération : Deux propositions de dialogue à partir d’une perspective éthique croyante : Le fellowship (compagnonnage) de Jacques Maritain et L’Hospitalité sacrée de Louis Massignon.

    J’ai utilisé jusqu’ici quelques réflexions philosophiques qui sont applicables à n’importe quel domaine du dialogue humain. Mais quelle est la nouveauté, la particularité introduite au sein du dialogue quand il s’agit de personnes de foi celles qui dialoguent sur leur propre option religieuse ?

    Le dialogue interreligieux n’est pas seulement le lieu où l’on manifeste la dignité humaine de ceux qui croient mais, encore, c’est un lieu où l’expérience de Dieu se fait présente et, par conséquent, c’est une théophanie. Il n’y a pas seulement un rapport humain ; nous pouvons y découvrir aussi un accès à la transcendance. D’une autre façon, ce ne sont pas seulement nous, les hommes de foi, qui parlons à travers ce propre dialogue, mais c’est le propre Dieu qui nous rend visite et qui nous parle au travers de ce dialogue même entre nous. Et c’est à cause de cela qu’une éthique croyante qui parie fort pour un dialogue interreligieux devra être une éthique de l’accueil, délicat et exquis, de l’autre.

    Pour finir ma présentation et ne pas dépasser le temps, je vais mettre en relief deux expériences, deux réflexions croyantes – je vous prie de m’excuser pour avoir utilisé deux auteurs chrétiens – sur le dialogue interreligieux et sa conséquence éthique.

     Jacques Maritain nous parle de fellowship [5], compagnonnage entre personnes qui appartiennent à des traditions religieuses différentes, comme d’une amitié, ou un amour, consistant en une « mutuelle dilection en Dieu et pour Dieu ». Ce rapprochement ne peut se faire qu’ « en supposant que chacun va au maximum de fidélité à la lumière qui lui est montrée » et qu’il n’est pas obtenu au prix du relativisme ou d’une sorte de minimum commun de vérité accordée.

    Il s’agit pour commencer de « …reconnaître que l’autre existe, non comme un accident quelconque du monde empirique, mais qu’il existe devant Dieu et qu’il à droit à exister » et demande aussi mettre en valeur « tout ce que les croyances autres que la nôtre comportent de vérité et de dignité, de valeurs divines et humaines ». Et c’est ce respect pour l’autre en sa différence qui nous aide à entrer « …dans une mutuelle compréhension les uns des autres. Elle n’est pas supra-dogmatique, mais elle est supra-subjective ; elle ne nous fait pas sortir de notre foi, elle nous fait sortir de nous-mêmes. C’est dire qu’elle nous aide à purifier notre foi elle-même de la gangue d’égoïsme et de subjectivité où nous tendons instinctivement à l’enclore. »

    L’autre est, dans une certaine mesure, un ange gardien qui m’oblige à sortir de moi-même, d’un faux paradis, et qui exige pour cette même raison un respect désintéressé et sans aucun arrière-pensée. C’est une amitié paradoxale et douloureuse en même temps qui demande toujours être en chemin – d’où vient s’accompagner tout au long du chemin – et ne pas s’installer confortablement en elle.

    « Elle comporte inévitablement une sorte de déchirement du cœur : fixé à la vérité qu’il aime, et fixé au prochain qui ignore ou méconnaît cette vérité… Je me méfie d’une amitié entre croyants de toutes dénominations qui ne serait pas accompagnée d’une sorte de componction, ou de douleur de l’âme ; qui serait aisée et confortable… le devoir de fidélité à la lumière, de la suivre toujours pour autant qu’on la voit, est un devoir qui ne s’élude pas ». Une éthique déchiré entre deux devoirs, le devoir du respect pour l’autre, qui nous empêche toute séduction et toute manipulation et, en même temps, la douleur à cause de ce même respect pour l’autre, parce qu’on l’aime et parce qu’on voudrait le meilleur pour lui.

     Autre expérience, celle de Louis Massignon, ami et disciple de la spiritualité de Nazareth de Charles de Foucauld, pour qui le dialogue interreligieux est « substitution » (badalya) et hospitalité sacrée. Le dialogue est substitution (badalya) dans le sens de saisir l’autre de l’intérieur, en se mettant à sa place, en s’y identifiant, d’une certaine manière, de toute son intelligence et de tout son cœur. Et il est hospitalité parce que « pour comprendre l’autre, il ne faut pas se l’annexer mais devenir son hôte » [6].

    Il s’agit de se mettre à la place de l’autre parce qu’à travers ce déplacement, de cette sortie de soi même, en se laissant accueillir par l’autre, et en accueillant l’autre, le propre Dieu se manifeste. Autrui représente, rend présent le Tout-Autre. L’hôte humain rend présent l’Hôte divin.

    En reprenant les mots de Massignon, Jean-François Six écrit : « Je dois le dire, ce sont les Arabes qui m’ont appris cette religion de l’hospitalité ; il y a quarante ans de cela, arrêté, en danger de mort, dénoncé comme un espion colonialiste. Mais j’étais l’hôte et j’ai été sauvé ; après trois jours, relâché par respect de Dieu, de l’Hôte. » Et nous connaissons l’évocation extraordinaire de sa conviction. « L’Étranger qui m’a visité, un soir de mai… » Evocation faite en réponse à une enquête sur l’idée de Dieu qu’il présente comme l’Hôte. « On comprend l’autre en se substituant mentalement à l’autre, en entrant dans la « composition de lieu » de l’autre, en reflétant sur soi la structure mentale, le système de pensée de l’autre. Cette substitution qui est une sortie hors de soi, n’est pas exempte de souffrance car elle est une et avant tout, une « surgie » de Dieu entre nous ». A travers celui que nous recevons, c’est Dieu lui-même qui nous visite. [7] »

    Par Jordi Jiro

    1. [1]Sept vies pour Dieu et l’Algérie. Bayard Éditions/Centurion, Paris 1996, p 226.↩
    2. [2]Rawls, J. : Teoría de la justicia. México : FCE, 1985 ; Justicia como equidad. Materiales para una teoría de la justicia. Madrid : Ed. Tecnos, 1987 ; Sobre las libertades. Barcelona : Ed. Paidós, 1990↩
    3. [3]Weber, M. : “la política como vocación.” Dans El político y el científico. Madrid : Alianza Editorial, 1967. Pour une analise sur cette distinction voire : Roman, B. : “Los retos de la ética en el nuevo milenio”. Revista : Ars Brevis núm. 6, 2000, p. 311-336. Torralba, F. i altres : Les ètiques d’avui. Barcelona : Claret, 1977.↩
    4. [4]« Est bien, ce qui finit bien ». Défendent cette position des auteurs comme Wiliam James, Pragmatismo, un nuevo nombre para algunas viejas maneras de pensar (1907), John Dewey, Experiencia y naturaleza (1929), auteur de la théorie instrumentaliste ou, dans l’actualité, Richard Rorty, Consecuencias del pragmatismo (1982). James disait que les idées deviennent véritables dans la mesure qu’elles nous aident à entrer en rapports satisfaisants avec autres parts de notre expérience, ainsi “une idée est vraie si on croit qu’elle a du profit pour nos vies”. Dewey soutenait que les rapports d’un organisme avec son entourage sont quelques fois satisfaisants pour lui et autres insatisfaisants. Pour lui une situation peut devenir meilleure par ajustage mutuel, processus qu’il appelle en anglais inquiry, ajustage mutuel entre un organisme et son entourage, avec la finalité de la satisfaction ; on peut déduire de tout cela qu’une action ou une croyance est bonne ou mauvaise selon les conséquences satisfaisantes pour l’organisme en question.↩
    5. [5]Jacques Maritain : Qui est mon prochain ? Dans : Principes d’une politique humaniste. Œuvres complètes vol. IV, p. 290.↩
    6. [6]Cité par Jean-François Six : Cahiers de l’Herne n° 13, p. 265.↩
    7. [7]Opus cit. p. 265.↩
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