Sommaire du dossier : 2008-2010 : Vivre ensemble
- Musulmans et chrétiens, modalités du vivre ensemble.
- Alliance avec Abraham et Pactes du Coran M J Horchani GRIC Tunis
- Les “égarés” dans le Coran A. Nouira GRIC Tunis
- A la rencontre de l’autre
- Vivre ensemble : droit à la résistance,devoir du dialogue S.Lajmi
- Lieux de culte : regards croisés A. Makni GRIC Tunis
- Vivre ensemble : une attitude intérieure, un chemin pour grandir Par Nadia Ghrab-Morcos Gric Tunis
Pourquoi explorer encore ce thème qui semble appartenir à un passé très lointain ? Parce que « Aborder l’actuel sans toucher au refoulé, c’est inhiber la pensée sous l’effet de la peur » [1]. En outre, ce travail n’est pas une étude de religion comparée, mais un dialogue qui accueille les différences de lecture. Notre but n’est pas de faire une étude scientifique des textes, mais de voir jusqu’à quel point nos deux traditions, la judéo-chrétienne et la musulmane, peuvent se retrouver autour d’un même thème concernant notre relation avec Dieu, cherchant ce qui nous est commun et ce qui est spécifique à chacun. Il est possible de parler ensemble, mais de façon constructive, de manière telle que chacun comprenne mieux les convictions de l’autre. Les israélites parlent des Alliances entre Dieu et les hommes, conclues, en particulier par Noé, Abraham, Moïse. Les chrétiens parlent d’une Nouvelle alliance en Jésus-Christ et reconnaissent les Alliances du Premier Testament. Mais on parle plus rarement des Pactes du Coran, le Pacte dit « des Prophètes » (Sourate 3, verset 81 et Sourate 33, verset 7), et le Pacte dit « général », aussi appelé Pacte de l’unicité (Sourate 7 verset 172-173), conclu avec tous les humains (mithâq). Ce sont aussi des engagements solennels qui rappellent les Alliances antérieures : « Nous avons reçu des engagements de tous les Prophètes, de toi, de Noé, d’Abraham, de Moïse, de Jésus, fils de Marie. Et ces engagements étaient solennels » (sourate33, verset 7) Pour les Alliances du premier et du deuxième testament, nous avons choisi délibérément de ne traiter que l’Alliance avec Abraham car elle a eu et elle a encore un impact important sur les relations entre les croyants des trois monothéismes. En particulier nous tenterons de savoir qui est concerné par cette Alliance, question incontournable pour quiconque s’engage dans un dialogue interreligieux. Le Pacte coranique a-t-il quelque chose à voir avec l’Alliance biblique ?
A- L’Alliance avec Abraham
Le terme alliance dans le langage actuel a diverses acceptions. L’une correspond à l’union contractée par engagement mutuel. Une autre se réfère à l’anneau nuptial, symbole de l’union entre un homme et une femme. L’une suppose un contrat dont les termes devront être respectés. L’autre un lien d’amour. Dans la traduction française du Pentateuque, le mot alliance, traduction du terme hébreu « berît » [2], apparaît 78 fois et 298 fois dans toute la Bible. Dans les traductions de la Bible en grec, (la Septante) on trouve surtout le terme “diathèkè”. Ce mot signifie en bon grec classique “contrat, convention”, mais en grec de l’époque helléniste de plus en plus “testament”. Les traducteurs de la Bible grecque en latin connaissaient surtout ce sens de “testament”, ce qui a donné la terminologie : « l’ancien et le nouveau testament ». En fait le double sens de “diathèkè” semble plutôt venir du fait qu’une alliance avec Dieu reflétait l’intention de Dieu qu’on ne pouvait pas changer, comme c’est le cas d’un testament : le défunt a laissé sa volonté, et c’est à prendre ou à laisser. Le mot en latin classique serait “foedus”. Dans la pensée chrétienne, le but de l’Alliance, quelle qu’elle soit, est d’amener l’Homme à reconnaître et accepter Yahvé comme son Dieu et à vivre en harmonie avec lui. Les renouvellements d’alliance sont nécessaires pour rétablir cette harmonie lorsqu‘il y a eu rupture par l’Homme. La première Alliance est celle avec Noé ; il n’y a pas d’Alliance avec Adam [3]. L’Alliance avec Noé vient rétablir l’harmonie détruite par le péché d’Adam et Eve. Puis Dieu passe d’une alliance universelle avec Noé, à une alliance avec un homme Abram/ Abraham. Deux récits en sont faits dans le livre de la Genèse : Gn 15 qui met l’accent sur le rite et Gn 17 sur la Parole. Chacun a un vocabulaire spécifique : par exemple la dénomination de Dieu est YHWH en Gn 15 et El Shaddaï en Gn 17. Il s’agit donc de deux traditions différentes qui ont néanmoins été retenues par les rédacteurs du Pentateuque. Etant donné l’importance de cette alliance pour le dialogue islamo-chrétien, nous examinerons les deux récits.
1) L’Alliance dans le chapitre 15 de la Genèse.
Les exégètes présentent ce chapitre comme une relecture de traditions particulières anciennes en fonction d’une situation et des préoccupations nouvelles des Israélites en exil en Babylonie au VI° siècle avant JC. Ainsi , à travers le récit de l’alliance avec le patriarche, le rédacteur s’adresse aux exilés qui sont implicitement invités à imiter la foi de leur ancêtre pour pouvoir à leur tour bénéficier du serment divin.
Les Paroles de l’Alliance
La conclusion de l’Alliance n’apparaît qu’aux versets 17 à 21 : « Ce jour-là Yahvé conclut une alliance avec Abram en ces termes :’A ta postérité, je donne ce pays’ » Mais cette promesse d’une terre est logiquement précédée d’une promesse de descendance, suite à la plainte du patriarche : « Voici que tu ne m’as pas donné de descendance et qu’un des gens de ma maison héritera de moi. Alors cette parole de Yahvé lui fut adressée : « celui-là ne sera pas ton héritier, mais bien quelqu’un de ton sang » Gn 3-4
Le signe de l’Alliance
Ici il n’y a pas de signe pour rappeler l’Alliance, mais les versets 9-11, 17 décrivent en détail le rite d’Alliance « entre les morceaux [4] » –qui pouvait être profane-, et qui symbolise l’engagement solennel des deux parties.
Les caractéristiques de l’Alliance
Elle est unilatérale : elle est « conclue » par Dieu.
Le caractère universel n’apparaît pas directement, puisqu’elle est conclue entre Dieu et un homme Abram.
C’est parce qu’Abram a cru, contre toute vraisemblance, que sa descendance serait aussi nombreuse que les étoiles du ciel, que Yahvé va contracter une Alliance avec lui : « Abram crut en Yahvé qui le lui compta comme justice » (Gn 15,6). Abram est juste parce qu’il accorde une confiance absolue à la parole de Dieu : il est le croyant par excellence.
La promesse de la terre a une importance particulière, du fait qu’elle est associée à un rite d’Alliance. Elle prend tout son sens dans l’espoir des captifs de quitter Babylone comme Yahvé a fait sortir Abram « d’Ur des Chaldéens pour lui donner ce pays en possession » (Gn 15, 7).
2) L’Alliance dans le chapitre 17 de la Genèse, versets 1 à 14
Après le chapitre 16 consacré au premier récit de la naissance d’Ismaël, le Chapitre 17 revient sur le thème de l’alliance, diversifiant les promesses du chapitre 15.
Les paroles de l’Alliance Gn 17
J’établis mon alliance entre moi et toi et je t’accroîtrai extrêmement (v2) Moi voici mon alliance avec toi : tu deviendras père d’une multitude de peuples. Et l’on ne t’appellera plus Abram, mais ton nom sera Abraham[5] car je te fais père d’une multitude de peuples (v4-5) J’instituerai mon alliance entre moi et toi et ta race après toi, de génération en génération, une alliance perpétuelle, pour être ton Dieu et celui de ta race après toi ; à toi et à ta race après toi, je donnerai le pays où tu séjournes, tout le pays de Canaan, en possession à perpétuité, et je serai votre Dieu. (v7-8)
Le signe de l’Alliance
Et voici mon alliance qui sera observée entre moi et vous, c’est-à-dire ta race après toi : que tous vos mâles soient circoncis (v10). Mon alliance sera marquée dans votre chair comme une alliance perpétuelle. L’incirconcis, le mâle dont on n’aura pas coupé la chair du prépuce, cette vie-là sera retranchée de sa parenté : il a violé mon alliance. (v13b-14).
Les caractéristiques de l’alliance
C’est un don de Dieu à Abraham, instaurant une relation unique « entre toi et moi ». Contrairement au récit de Gn 15, elle ne se conclut pas par un rite, mais repose sur la parole solennelle de Dieu.
Cette alliance est perpétuelle, c’est-à-dire que l’engagement divin ne pourra jamais être rompu. Pour que cela puisse être possible l’engagement est pris entre Abraham et sa race après lui. A ce stade du discours, la descendance d’Abraham, est constituée uniquement d’Ismaël, alors âgé de treize ans.
Les biens de l’alliance sont au nombre de trois : 1- la promesse d’une grande fécondité, ce qui se traduit par le changement de nom du patriarche qui devient Abraham et qui sera « père d’une multitude de nations ». 2-la promesse d’un lien spécifique, à savoir être le Dieu d’Abraham et de toute sa descendance 3-la promesse d’une terre.
Contrairement à l’alliance noachique, l’homme est ici sollicité en respectant le commandement de la circoncision. Cette condition n’est pas accessoire, car sa transgression entraîne une terrible sanction : l’exclusion de la communauté de l’alliance.
3) L’Alliance avec Isaac dans le chapitre 17 de la Genèse, versets 18 à 21
Après la demande de circoncision[6], tout semble avoir été dit, mais le discours rebondit avec une promesse qui concerne Sara et qui se traduira ici encore par un changement de nom : « Saraï ta femme tu ne l’appelleras plus Saraï, mais son nom est Sara. (v 15) » « Je te donnerai d’elle un fils » dit Dieu à Abraham. Celui-ci, réaliste, ne peut croire à un tel miracle et il répond : « Qu’Ismaël vive devant ta face ». Il voudrait comprendre qu’il s’agit d’Ismaël et que ce soit lui le bénéficiaire de l’Alliance. Mais Dieu le détrompe, ce fils naîtra de Sara.
Les paroles de l’Alliance
Ta femme Sara te donnera un fils, tu l’appelleras Isaac, j’établirai mon alliance avec lui, comme une alliance perpétuelle, pour être son Dieu et celui de sa race après lui (Gn17,19). En faveur d’Ismaël aussi, je t’ai entendu : je le bénis, je le rendrai fécond, je le ferai croître extrêmement, il engendrera douze princes et je ferai de lui un grand peuple (Gn 17, 20). Mais mon alliance, je l’établirai avec Isaac, que va enfanter Sara, l’an prochain en cette saison (Gn 17,21). Les caractéristiques de l’Alliance
L’indétermination du verset 7 est levée : la descendance est celle d’Isaac et non d’Ismaël.
L’alliance redevient une promesse puisqu’Isaac n’est pas encore né.
Pour autant Dieu ne se désintéresse pas d’Ismaël, puisque Dieu lui promet une bénédiction sans limites.
La place d’Ismaël
A ce point de notre travail, il convient de se poser la question fondamentale : la concentration de l’Alliance sur Isaac a-t-elle pour corollaire d’exclure Ismaël ? Les versets 24 et 25 relatant la circoncision d’Abraham associent étroitement Ismaël. Pourquoi doit-il être circoncis sinon parce qu’il participe à la bénédiction de Gn 17,5-6 en réalisant en partie la promesse qu’Abraham sera « père d’une multitude de peuples ». Dieu confirme cette appartenance lorsque Sara demande le renvoi d’Agar et d’Ismaël puisque, devant la tristesse d’Abraham, Il dit : « du fils de la servante je ferai aussi un grand peuple car il est de ta race » (Gn 21- 12). D’ailleurs, en Gn (25,12-18) est donnée la descendance d’Ismaël, concrétisation de la promesse divine. Elle se termine par la mort d’Ismaël au verset 17 décrite par le même terme que pour la mort d’Abraham, terme[7] réservé aux justes. Cette similitude est porteuse de sens. Il est à remarquer aussi qu’Ismaël chassé avec sa mère revient à Hébron pour la mort d’Abraham. Le verset 9 (Gn 25) commence ainsi : « Isaac et Ismaël ses fils, l’enterrèrent dans la grotte de Makpéla ». Le rédacteur du texte a donc eu le souci de rappeler qu’Ismaël est fils d’Abraham au même titre qu’Isaac, même si l’inversion des noms par rapport à l’ordre chronologique[8] évoque la prééminence d’Isaac. Les autres fils qu’Abraham avait eus avec des concubines ne sont évoqués que pour dire qu’Abraham, de son vivant, les avaient envoyés loin de son fils Isaac. (Gn 25, 6) Par sa circoncision Ismaël manifeste de manière visible que le Dieu d’Abraham est son Dieu. Et tous ses descendants continueront à respecter ce signe c’est-à-dire « ne violeront pas l’Alliance » avec Dieu. La terrible sanction du verset 14 ne les concerne donc pas. Si, de fait la réalisation du projet divin d’alliance passe par Isaac, Dieu n’abandonne pas pour autant ce fils d’Abraham qu’est Ismaël, de même qu’il ne se désintéresse pas des autres peuples descendants d’Abraham. De plus la dualité Ismaël-Isaac n’apparaît pas dans le Coran. Elle devient une rivalité à partir de l’époque abbasside (762-1258) et se développe ensuite dans une utilisation du spirituel à des fins nationalistes ou communautaristes. Le nom d’Ismaël est traditionnellement avancé, dans les pays musulmans, dans le récit du sacrifice d’Abraham. Dans le Coran, le « fils » n’est pas désigné nommément (sourate 37, 101-111), ce qui souligne l’universalité du récit offert à la méditation. Car, pour le musulman, ce qui importe c’est l’attitude de foi et de soumission des deux fils d’Abraham et de tout croyant.
B- Les Pactes dans le Coran[9]
Le vocabulaire coranique concernant cette question peut être soit ‘akd’, ‘ahd’ ou ‘mithak’ en passant d’une notion plus étroite à une notion générale ; ‘akd’ correspond à un contrat entre les personnes,’ahd’ peut se traduire par pacte, bonne fois, allégeance, bonnes œuvres ; ‘mithak’ concerne plutôt le Pacte primordial avec Adam, les prophètes, les Bani Israîl. Il est question dans le Coran de deux Pactes conclus entre Dieu et les Hommes. Ces Pactes ont été interprétés par de très nombreux commentateurs comme ayant eu lieu dans la préexistence[10]. Ces deux pactes sont, pour les musulmans, un rappel (et non un remplacement) des Alliances ayant précédé l’Islam : les anciennes avec les hebreux, la nouvelle avec les chrétiens. En effet le Coran se désigne fréquemment comme le rappel (dhikr), redisant à l’homme ce qu’il a oublié.
1) Le Pacte dit « général », aussi appelé Pacte de l’unicité
Les Paroles du Pacte :
« Allah tira du dos des fils d’Adam[11] leurs descendants et requit ainsi leurs témoignages : ‘ Ne suis-je pas votre Seigneur ?’ dit-il. Ils répondirent : ‘Oui, nous l’attestons’. Après cet aveu, vous ne pourrez pas dire au jour de la résurrection : ‘ Nous ignorions cela’ ». (Sourate 7 verset 172) « Vous ne pourriez pas dire non plus : ‘ Avant nous, nos pères associaient d’autres divinités à Allah et nous n’avons fait que leur succéder, Nous feras-tu expier les erreurs des injustes ?’ » (Sourate 7, verset 173).
Les caractéristiques du Pacte :
C’est une reconnaissance et un engagement pris par tous les croyants, de n’adorer que Dieu L’Unique. Il se veut universel. Le Pacte est inscrit dans la nature de tous les hommes (fitra)[12] et Dieu fait témoigner les humains du monothéisme inscrit dans leur nature. Au moment où les musulmans prononcent la « shahâda[13] », ils réactualisent le témoignage du Pacte originel, et attestent de la connaissance innée de Dieu que celui-ci a déposée en eux en les créant.
Allah se montre pédagogue et fait en sorte que la décision de l’homme soit prise en toute connaissance de cause et qu’il puisse tenir ses engagements.
On peut remarquer avec J. Berque [14] que l’on passe de l’Adam biblique à l’humanité toute entière, et avec A. Chouraqui que « la divinité d’Allah est inscrite dans l’être même de l’homme »[15]
Résonances
Le pacte de « l’unicité » avec le dialogue entre Dieu et les hommes, n’est pas sans rappeler le livre du Deutéronome (26, 16-18) où Moïse dit : « Aujourd’hui le Seigneur ton Dieu te commande de mettre en pratique ces commandements et ces décrets. […]. Aujourd’hui, tu as obtenu du Seigneur cette déclaration : qu’il sera ton Dieu et que tu suivras ses chemins, que tu garderas ses commandements […]. Aujourd’hui, le Seigneur a obtenu de toi cette déclaration : que tu seras son peuple particulier, comme il te l’a promis, et que tu devras garder tous ses commandements. […] Le verset 172 a suscité une littérature importante chez les mystiques musulmans. « Ils y voient la raison pour laquelle l’homme, même le plus primitif, ressent une attraction vers Quelqu’un qui serait son créateur. Ils infèrent de là, entre autres que l’homme devra être tenu pour responsable au jour de la résurrection »[16]. E. Montet [17] dans une conférence au Collège de France confirme cette responsabilité morale : « Voici le sens de ses paroles : Dieu fit comparaître un jour toutes les générations futures qui devaient naître d’Adam pour leur faire prendre librement un engagement solennel d’obéissance, engagement qu’elles devaient violer plus tard de sorte que Dieu pût leur rappeler au dernier jour cet engagement violé par elles et se servir contre elles de leur propre témoignage. Ce passage n’aurait de sens, si l’idée de liberté morale n’y était impliquée ». Ce Pacte est universel « conclu hors du temps avec l’humanité toute entière » [18]. C’est en ce sens que son message « s’adresse à tout homme, juifs et chrétiens inclus » [19].
2) Le Pacte dit « des Prophètes »
Les Paroles du Pacte :
« Allah reçut des Prophètes l’engagement suivant sous la foi du livre et de la sagesse qui leur avaient été révélés : ‘Si un nouveau prophète apparait et vous confirme ce que vous savez déjà, faites-lui confiance et prêtez lui votre entier concours’. ‘Acquiescez- vous à cela, insista-t-il ? En assumez-vous la responsabilité ?’ Ils répondirent : ‘Nous y acquiesçons.’ Il conclut : ‘Prenez-en témoignage et moi aussi j’en témoigne’. » (Sourate 3, verset 81) « Nous avons reçu des engagements de tous les Prophètes, de toi, de Noé, d’Abraham, de Moïse, de Jésus, fils de Marie. Et ces engagements étaient solennels » (Sourate 33, verset 7)
Les caractéristiques du Pacte
Dieu est un des partenaires du Pacte.
ce Pacte est un engagement des Prophètes, et à leur suite, du peuple des croyants, puisque « l’engagement pris par les prophètes se situe dans l’intemporel, il vaut pour leur communauté » [20].
cet engagement est solennel, et A Chouraqui [21] note qu’il est irréversible, qu’il engage non seulement Allah, les prophètes, mais aussi le devenir de l’humanité et son salut éternel.
c’est la reconnaissance d’une solidarité entre les envoyés de Dieu et l’engagement pris par les prophètes de faire confiance et de confirmer les dires de ceux qui les ont précédés.
Jésus est venu confirmer le Pentateuque et donc les Alliances qu’il contient.
Résonances
Il semble admis que cette sourate a été révélée à la suite de l’arrivée en l’an 9 de l’hégire (631), à Médine, d’une délégation chrétienne de Najrân (nom d’une région et d’une ancienne ville du Yémen septentrional). Elle comprenait une soixantaine de professeurs, de théologiens et de notables, ayant à leur tête l’Evêque Abû Hâritha ben Alqama. L’objet de leur visite était une prise de contact avec le Prophète pour s’informer de sa mission et des rapports de celle-ci avec le christianisme. La discussion porta sur divers points théologiques et en particulier sur la nature du Christ, discussion qui se solda par un désaccord. Mais Boubakeur Hamza [22] souligne que « au cours de leur séjour, les chrétiens purent célébrer leur messe dans la mosquée même du Prophète ». Même si les affirmations ne sont peut-être par très scientifiques, il est intéressant, en raison de la date (1782) de relire le commentaire de C.E. Savary [23] : « Lorsque Dieu donna les tables de la loi à Moïse au Sinaï, il fit paraître devant lui les âmes de tous les prophètes et forma avec elles une alliance. Elles s’engagèrent à n’adorer jamais qu’un Dieu et il leur promit à ce prix, son assistance. C’est le sentiment des docteurs musulmans et des talmudistes ». Ceci est confirmé par Abu-Sahlieh [24]qui se réfère au Talmud (Sanhédrin 59 a) Le verset 81 de la Sourate 3 fait l’objet d’interprétations nuancées. Certaines sont très directives : « Selon ce verset, Allah a demandé à chacun des messagers antérieurs et comme condition préalable à leur mission de reconnaître et d’annoncer la venue de Mohammed comme Messager [25] ». D’autres sont plus ouvertes : « Chaque prophète devait s’engager à croire et à soutenir celui qui serait envoyé après lui. » [26] Nous touchons ici à une polémique récurrente entre chrétiens et musulmans, souvent formulée ainsi par les musulmans : « Pourquoi ne voulez-vous pas reconnaître Mohammed comme prophète, alors que nous reconnaissons et vénérons Jésus et sa mère Marie ? » Il faut rappeler que « Aïssa » dont parle le Coran ne correspond pas au « Jésus » auquel croient les chrétiens et qu’on ne peut donc pas parler de reconnaissance de Jésus, Fils de Dieu. D’autre part l’Eglise s’interroge avec sérieux (depuis le concile de Vatican II et la Déclaration Nostra Aetate sur les relations entre l’Eglise catholique et les autres religions, préoccupation qui s’est traduite par la rencontre d’Assisse en 1986 où Jean-Paul II a invité les représentants des principales religions du monde à venir prier ensemble pour la Paix) sur la place du Prophète Mohammed dans l’ensemble de la prophétie monothéiste. Signalons une des dernières publications sur ce propos : L’estime de la foi des autres par Henri de la Hougue[27].
C-Conclusion
1-La notion d’Alliance dans le premier testament est assurément une façon humaine de concevoir les relations de Dieu avec son peuple. La Bible reflète toujours l’état d’esprit et l’expérience de ceux qui ont contribué à former le texte : les alliances sont incarnées, liées à l’histoire d’Israël pour affirmer son identité. Par exemple Dieu garantit à son peuple, s’il est fidèle, secours, terre, victoire, et chaque génération privilégie l’un ou l’autre de ces dons. Pour le musulman, les Pactes sont Parole immuable de Dieu. Ils inspirent la vie du croyant à tous instant, aussi bien dans sa relation à Dieu que dans ses relations avec les hommes, car ils résument la tâche et la responsabilité du croyant. L’Alliance et les Pactes sont, dans le temps et pour chaque homme, liés à la quête de Dieu. 2-Pourquoi y a-t-il des alliances, une nouvelle alliance, un renouvellement de l’alliance ? Le but des Alliances dans la Bible est d’amener les hommes à reconnaître et à accepter Yahvé comme leur Dieu et à vivre en harmonie avec lui. Mais comme l’homme oublie Dieu, une nouvelle alliance est chaque fois nécessaire pour le rétablissement de cette harmonie. Avec Noé l’alliance surgit au moment où la création est menacée et condamnée dans son existence même : elle a besoin d’être sauvée. Alliance et salut vont de pair. Cette idée se retrouve dans l’alliance avec Abraham dont l’avenir est compromis du fait de sa stérilité. Et l’alliance conclue au Sinaï est le terme d’une longue marche qui a fait sortir le peuple hébreu du pays de l’esclavage. Mais le peuple choisit de rompre l’alliance en adorant le veau d’or. Vient alors l’alliance avec Lévi : Dieu met à part une tribu, une tribu sacerdotale, pour un peuple sacerdotal. Malheureusement, le premier acte liturgique posé par les lévites est un sacrifice non voulu par Dieu. Dieu conclut alors une alliance avec David (2 S 23,5) et sa maison, chargée, au moyen du pouvoir royal, d’assumer et d’assurer la mission du peuple. David pèche lui-même. D’autres suivront comme celle conclue avec Josué (Jos 24,25-28), Vient alors celle annoncée dans le livre de Jérémie (Jr 31,32-34). L’oracle n’annonce pas un changement de loi, mais une nouvelle relation avec la loi de Dieu dans le sens d’une intériorisation. Au lieu d’être écrite sur des « tables de pierres », la loi sera écrite par Dieu sur les « cœurs », ce qui implique un consentement et une implication personnelle que l’on retrouve dans les Pactes du Coran. Après chaque rupture d’alliance par les hommes, une nouvelle alliance rend possible un nouveau départ pour le peuple de Dieu, car « les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance » (Rm 11-29). Pour les chrétiens, comme l’humain ne peut jamais être en totale harmonie avec le divin, le Christ sera le « médiateur » d’une « meilleure alliance », « fondée sur de meilleures promesses » (He 8-6). Les pactes du Coran veulent rappeler de manière claire et synthétique, les Alliances précédentes, par exemple dans la sourate 2, début du verset 83 : « Nous fîmes prendre aux fils d’Israël l’engagement de n’adorer qu’ Allah » ; c’est dire que Dieu renouvelle sans cesse le pacte du monothéisme, avec tous les peuples auxquels il envoie des prophètes. Ou encore dans la sourate 2, verset 40 : « 0 enfants d’Israël, reconnaissez les faveurs que je vous ai faites. Tenez vos engagements vis-à-vis de moi si vous voulez que je tienne les miens. Et surtout craignez-moi ». Est-ce que cela ne signifie pas que « l’alliance du monothéisme » selon l’expression de R. Arnaldez [28], qui résulte de l’envoi de prophètes à Israël, est une alliance qui a valeur pour tous les hommes appelés à croire, et qui peut se renouveler avec tous les peuples ?
Selon Armand Abecassis [29] : ‘Aucune alliance ne rend caduque ni ne remplace les alliances antérieures. Une « nouvelle alliance » ne signifie que son renouvellement et son empreinte plus profonde dans l’existence personnelle et collective, au sein de l’alliance générale et universelle contractée avec l’humanité depuis Noé, l’ancêtre de tous les hommes.’ 3- Le destinataire des Alliances ou des Pactes est l’humanité toute entière L’Alliance avec Noé, concerne toute la création. L’Alliance avec Abraham est certes conclue avec un peuple, mais « en qui toutes les nations de la terre seront bénies » (Gn 12,3). Dans l’Alliance faite avec Moïse, celui-ci se révèle comme l’intercesseur entre Dieu et le peuple d’Israël. Mais si le peuple choisi respecte les clauses de l’alliance et vit en harmonie avec Dieu, l’humanité entière en sera bénie et donc sauvée. L’Alliance avec Lévi (Mal 2,4 ou Jr 31,31.33-34), engage la tribu qui va descendre de lui. Mais en respectant les ordonnances divines, notamment dans le cadre du service liturgique, les lévites se maintiendront dans l’harmonie avec Dieu, et au-delà d’eux-mêmes en feront bénéficier le peuple et au-delà l’humanité. Le soir du Jeudi Saint au moment de l’institution de l’Eucharistie Mathieu (26,28) ou Marc (14,24) soulignent tous deux le caractère universel du salut apporté par le Christ : « ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés ». Les Pactes du Coran engagent eux aussi le devenir de l’humanité. Dieu n’a cessé de parler aux hommes, de nouer avec eux une « conversation variée et étonnante »[30]. Ce dialogue est une nécessité pour réveiller le désir de connaitre Dieu, désir mis au cœur de l’homme, mais souvent étouffé ou oublié. C’est ce que rappelle le Pacte Général du Coran. Et la notion de « fitra », n’est pas étrangère au christianisme ; pour preuve ces propos du Pape Jean-Paul II dans le préambule de l’Encyclique « La foi et la raison » (1998) : « C’est Dieu qui a mis au cœur de l’Homme le désir de connaître la vérité et, au terme de le connaître lui-même, afin que, le connaissant et l’aimant, il puisse atteindre la pleine vérité sur lui-même ». Nos différences auraient-elles le sens d’une communion[31] ?
- [1]Les Trois monothéismes, Daniel Sibony Editions du seuil, mars 1992 et juin 1997, page 12↩
- [2]Les quelques remarques étymologiques du mot « alliance » comme du mot « pacte » dans la deuxième partie de cette étude nous ont semblé nécessaires pour relativiser la signification d’un mot liée à un contexte et à une époque↩
- [3]De très nombreuses traditions prophétiques musulmanes, s’appuyant sur un hadith, suggèrent que les pactes coraniques, dont il sera question dans la deuxième partie de ce travail, auraient eu lieu dans la préexistence, entre Dieu et les âmes humaines dotées de vie et de conscience avant l’incarnation, précisant que Dieu a frotté le dos d’Adam. Pour elles, l’Alliance avec Noé n’est donc pas la première ↩
- [4]Celui qui prête serment passe entre les moitiés d’animaux disposées face à face en prononçant une formule imprécatoire ↩
- [5]Léon Askénazi dans Leçon sur la Torah chez Albin Michel, 2007, note qu’Ismaël nait d’Abram alors qu’Isaac naitra d’Abraham (page 62) ↩
- [6]A aucun moment le Coran ne mentionne la circoncision comme une obligation, même si la plupart des commentateurs la recommandent ↩
- [7]Voir Léon Askénazi, « Leçons sur la Torah », Albin Michel 2007 page 87 ↩
- [8]La place d’ainé dans la Bible réserve bien des surprises : l’offrande d’Abel est agréée, pas celle de Caïn ; Isaac est préféré à Ismaël et Jacob prendra la place d’Esaü ! ↩
- [9]La traduction des versets coraniques est celle de Noureddine Bin Mahmoud revue et corrigée par Fawzi Cbaaban aux Editions Dar el Fiker (Damas 1980). Elle prend plus de liberté que d’autres traductions par rapport au texte arabe mais privilégie le sens ↩
- [10]De nombreuses traditions prophétiques suggèrent l’idée qu’ils auraient eu lieu entre Dieu et les âmes humaines avant leur incarnation, l’âme transcendant totalement la matérialité du corps ↩
- [11]D’autres traductions disent « le dos d’Adam » et non « le dos des fils d’Adam », en conformité avec le Hadith. Cette terminologie a fait l’objet de nombreux commentaires ↩
- [12]Pour le mot « Fitra », Al Sharif al Murtada (fin du IV°/X°S.) propose : « Lorsque Dieu a créé les hommes, Il les a composés de telle façon qu’ils ont toutes les capacités nécessaires pour Le connaître, témoigner de Sa puissance et L’adorer. Ils ont véritablement un rôle de témoins bien qu’en réalité il n’y ait là ni témoignage, ni reconnaissance. Tout ceci est du domaine de l’allégeance. » Cité dans le Dictionnaire du Coran, Paris 2007, Ed Robert Laffont ↩
- [13] C’est une formule rituelle de prière qui consiste en l’attestation de l’unicité de Dieu et de la mission prophétique de Mohamed ↩
- [14]Coran, J. Berque, Ed Albin Michel 1995, p 184 ↩
- [15]Coran, A. Chouraqui, Ed Robert Laffont Paris 1991, p 337 ↩
- [16]Cité par M Hamidullah , p221,dans sa Traduction du Coran Ed Amana Corporation USA 1985 ↩
- [17]E. Montet, De l’état d’esprit et de l’avenir de l’Islam, Paris, 1911, p 31. ↩
- [18]Les versets douloureux de David Meyer, Yves Simon, Soheib Bencheikh Ed Lessius Paris 2007 p145 ↩
- [19]Idem ↩
- [20]Coran, Jacques Berque, Albin Michel, 1995, p 79. ↩
- [21]Coran, A. Chouraqui, Ed Robert Laffont Paris, 1991, p 842 ↩
- [22] Coran Cheikh Boubakeur Hamza,Ed ENAG, Alger,1989, p 59 ↩
- [23]Coran, C.E.Savary, Ed Garnier frères Paris, 1782, p 153 ↩
- [24]Coran, Abu-Salieh Ed de l’Aire Suisse, 2008 ↩
- [25]Coran, Dar Alouloum Alislamiyah, Beirut (sans auteur, sans date), p 60 ↩
- [26]Coran, M. Chiadmi, Ed Tawhid France 2006, p 60 ↩
- [27]Ed Désclée de Brouwer, Paris mai 2011 ↩
- [28]Le Coran, guide de lecture, par R. Arnaldez, Ed Desclée, Paris, 1983 ↩
- [29]In En vérité je vous le dis Edition N°1 Biblio essais Paris, 1999 page216 ↩
- [30]Paul VI Ecclésiam suam n° 72 ↩
- [31]Titre d’une réflexion de Christian de Chergé in l’Invincible espérance Ed Bayard/Centurion 1997 p 109 ↩