Un colloque international a été organisé par l’IRMC-Tunis et l’ISERL-Lyon le mercredi 15 mai 2013, à la bibliothèque de l’IRMC
Oissila Saaidia, historienne, professeur d’histoire contemporaine, à l’ISERL, université Lyon2, et Myriam Achour Kallel anthropologue, à la Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis, chercheure associée à l’IRMC, en ont assuré la coordination.
Le Thème, D’une croyance à l’autre : le cas de l’islam, est peu traité dans le monde arabe, ce qui explique la présence d’une assistance nombreuse et la richesse des débats qui ont suivi. Les sujets choisis par les intervenants ont été traités avec beaucoup de compétences, mais aussi beaucoup de respect et de professionnalisme, ce qui, à aucun moment n’a laissé de la place pour la polémique.
Les interventions ont porté sur :
–Pour Oissila Saaidia : De Mohamed à Jean‐Mohamed : Abd el‐Jalil ou l’itinéraire d’une conversion au catholicisme.
-Pour Chérif Ferjani : De la difficulté d’être un « athée musulman » !
-Pour Myriam Achour Kallel : L’étude de la conversion à la foi baha’ie en Tunisie : une « mémoire collectée » ?
-Pour Katia Boissevain sur : Les conversions au christianisme à Tunis : vers quel protestantisme ?
-Pour Karima Dirèche : Réseaux évangéliques au Maghreb. Approche croisée Maroc/Algérie.
–PourMustapha Oukacha : Le statut juridique des non musulmans dans les pays du Maghreb : reconnaissance théorique, mise en œuvre réduite.
–PourBernard Botiveau : Le pluralisme religieux questionné par les soulèvements arabes. L’exemple des relations entre sunnisme et chiisme.
– Pour Claude Prudhomme : L’Eglise catholique contre la liberté religieuse ?
Résumés des communications
« D’une foi à l’autre : le cas de l’islam »
IRMC, Tunis, 15 mai 2013
Myriam ACHOUR
L’étude de la conversion à la foi baha’ie en Tunisie : une « mémoire collectée » ?
Le terrain effectué auprès de convertis baha’is en Tunisie m’a amené à comprendre le processus de conversion comme non seulement la reformulation d’une mémoire sociale mais en plus comme une action exercée pour resignifier cette mémoire : l’histoire est ainsi reconstruite. Cette conversion religieuse a permis aux acteurs que j’ai fréquentés de construire leur ancien groupe d’appartenance en tant qu’altérité par le partage d’une autre mémoire sociale que celle de la société « englobante » : reformulation de l’identité nationale et de la vision du monde plus globalement. La question que j’aimerais soulever est la suivante : dans quelles limites l’étude de la conversion peut être envisagée comme action sur l’histoire et rapport au passé ?
Katia BOISSEVAIN
Les conversions au christianisme à Tunis : vers quel protestantisme ?
A travers cette communication, fondée sur des terrains ethnographiques courts entre 2009 et 2012, je souhaite présenter la réalité nuancée des conversions au protestantisme en Tunisie (à Tunis). Malgré leur nombre limité, l’étude des motivations des acteurs et des réorganisations symboliques qui sont à l’œuvre nous renseignent à plusieurs égards. Tout d’abord, le choix de ces convertis pour le protestantisme évangélique et dans une moindre mesure, pour le pentecôtisme évangélique (deux pôles des néo-évangélistes) pose la question de la variété et de l’histoire du paysage chrétien en Tunisie, revivifié par la présence des Africains subsahariens depuis 2005. Ensuite, il nous interroge sur la manière dont les convertis réévaluent l’appartenance à l’identité nationale tout en s’amarrant à un universalisme chrétien. Enfin, l’étude du choix religieux en Tunisie, de surcroît pendant la période de transition révolutionnaire que le pays traverse, nous oblige à intégrer les questions politiques et juridiques posés par la pluralisation religieuse.
Bernard BOTIVEAU
Le pluralisme religieux questionné par les soulèvements arabes. L’exemple des relations entre sunnisme et chiisme
En tenant compte d’agencements particuliers selon les pays du Proche-Orient, le pluralisme religieux s’est historiquement structuré dans cette région en fonction d’une norme islamique dont Al-Azhar avait le quasi-monopole de l’interprétation juridique et politique. En particulier, le changement de religion était généralement condamné d’où qu’il vienne. Les soulèvements arabes mettent en évidence que cet équilibre est une nouvelle fois remis en cause, qu’il s’agisse de la relation des coptes à l’islam égyptien ou des débats internes à l’islam sunnite. En prenant l’exemple des relations entre sunnisme et chiisme dont la géopolitique actuelle produit des effets inattendus au Proche-Orient et en Egypte, pays de tradition sunnite, on tentera de saisir quels sont les enjeux d’un questionnement sur l’interprétation des normes religieuses dominantes qui reste lié aux projets de sortie de l’autoritarisme.
Karima DIRÈCHE
Réseaux évangéliques au Maghreb. Approche croisée Maroc/Algérie
Le Maghreb est considéré, depuis plus d’une décennie, comme une terre de mission par diverses obédiences néo-évangéliques mondialisées. Les conversions se multiplient, les lieux de culte émergent un peu partout accompagnés de revendications publiques d’une liberté de culte et de conscience. Ces dernières ont déclenché un véritable débat national en Algérie et au Maroc et des réactions plutôt autoritaires et souvent répressives de la part des autorités politiques et religieuses. Les réseaux de prédication et de formation des leaders religieux locaux laissent apparaître toute leur complexité dans les connections souvent floues à des Églises d’Europe et d’Amérique du Nord. Cette présence chrétienne bien éloignée des Églises catholique et protestante du temps colonial alimente un débat public sur la citoyenneté et la diversité religieuse et fait écho à toute la réflexion de l’État de droit au Maghreb.
Chérif FERJANI
Jameleddine Ben Cheikh et Marcel Reggui : quitter l’islam en lui restant fidèle
Quitter une religion pour en embrasser une autre, ou pour devenir athée, est souvent synonyme de rejet viscéral de la communauté et de la foi que l’on quitte. Jameleddine Bencheikh, devenu « musulman athée » et Mahmoud-Marcel Reggui, devenu chrétien, font partie des musulmans qui ont quitté la religion de leurs ancêtres pour mieux s’y intéresser, mieux la comprendre, combattre les préjugés dont elle est l’objet. Chacun à sa manière et dans son domaine, ils ont contribué à mieux la faire connaître. Le propos de cette communication est de rendre compte de la démarche de ces deux Français du Maghreb dont le parcours est fascinant.
Mustapha OUKACHA
La protection juridique des non-musulmans au Maghreb : une application limitée
La question des non-musulmans au Maghreb se pose essentiellement en termes de dignité et de droit, avec un dispositif normatif assez important et parfois audacieux, mais d’une efficacité somme toute relative. On ne jouit pas toujours des droits et libertés reconnues par les textes juridiques nationaux et internationaux, ainsi, outre les discriminations habituelles dont ils sont régulièrement l’objet, certains groupes minoritaires sont aujourd’hui menacés dans leurs existences même.
Pour pouvoir répondre à des interrogations évidentes dans des Etats de droit, qui sont chez nous des préoccupations très sérieuses qui revêtent un caractère urgent, les législations ainsi que les institutions doivent impérativement s’adapter aux mutations profondes qui traversent la société maghrébine.
Une absence ou une mauvaise prise en charge de ces besoins élémentaires transformera le discours des non-musulmans du pacifisme à l’extrémisme, et la conversion en prosélytisme d’affrontement et de violence. Cela exige bien évidement, des Etats forts et des constitutions plus unitaires garantissant une citoyenneté égale. Les Etats du Maghreb gagneraient en maturité en consacrant une protection juridique à la hauteur de leurs engagements internationaux en matière des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Claude PRUDHOMME
L’Eglise catholique contre la liberté religieuse ?
Il faut attendre le concile Vatican II et la déclaration Dignitatis humanae adoptée à la fin de la dernière session (décembre 1965) pour que le principe de la liberté religieuse soit proclamé par l’Église catholique, à partir d’un texte préparé par le théologien américain jésuite John Courtney Murray. Cette déclaration est le seul texte qui a donné naissance à une opposition très minoritaire (le texte est approuvé par 1954 voix contre 249) mais organisée et durable, dont sortira le schisme intégriste de Mgr Lefebvre. Le concile semble à cette occasion prendre le contre-pied des condamnations répétées d’une « liberté funeste » inscrite par la papauté du XIXe s. au rang d’une des « principales erreurs de notre temps ». En 1965 la liberté de conscience de l’individu comme instance ultime paraît prendre le pas sur l’obligation d’adhérer à la vérité religieuse contenue dans le catholicisme et seule voie assurée vers le salut.
L’interprétation de ce changement suppose d’abord de revenir au choix et à la lecture des textes fondateurs du christianisme (Nouveau Testament) sur lesquels adversaires et partisans de la liberté religieuse se sont affrontés. Elle implique ensuite de replacer les prises de position dans leur contexte. Celui-ci éclaire dans un premier temps la condamnation de l’article 10 de la DDHC* depuis sa proclamation en 1789 jusqu’à la Première guerre mondiale, la mise au pas des catholiques libéraux, puis l’infléchissement qui s’amorce dans les années 1930, et finalement le tournant de 1965.
Mais s’agit-il d’un changement dans la manière de dire ou de penser ? Une analyse du texte montre que le ralliement à la liberté religieuse ne met pas fin à toutes les ambiguïtés. En faisant de la liberté religieuse le fondement de toutes les libertés, l’Eglise catholique (E.C.) continue à se démarquer de la philosophie sous-jacente à la DDH de 1789 comme à celle de 1948. En parlant de liberté religieuse et non de liberté de religion, encore moins de liberté de culte, elle maintient une distance qui peut conduire à des malentendus.
En somme le ralliement apparent de l’E.C. à la liberté religieuse comme emblème des droits de l’homme et à la liberté de conscience comme autorité suprême masque des divergences persistantes dans la légitimation de la liberté de religion, dans la manière de définir son contenu, dans la conception de l’Etat et de la société qu’elle engage.
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »
Oissila SAAIDIA
De Mohamed à Jean-Mohamed : Abd el-Jalil ou l’itinéraire d’une conversion au catholicisme
L’actualité autour des conversions au christianisme dans les sociétés musulmanes de doit pas occulter l’ancienneté du processus. La figure de Jean-Mohamed Abd el-Jalil atteste d’une conversion au catholicisme dans la première moitié du XXe siècle dans un contexte politique marqué par la colonisation. La contribution s’intéresse au processus qui a conduit ce jeune Marocain à demander le baptême puis à prendre l’habit franciscain tout en conservant un lien indéfectible avec ceux qu’il qualifiait de « frères séparés ». Tout comme Jameleddine Bencheikh et Mahmoud-Marcel Reggui, Jean-Mohamed Abd el-Jalil a contribué à faire connaître Les aspects intérieurs de islam – titre d’un de ses ouvrages – pour combattre les préjugés en direction de ses anciens coreligionnaires. Il est aussi un acteur incontournable de l’évolution du discours officiel de l’Eglise catholique sur les musulmans dont la déclaration conciliaire Nostra Æetate témoigne.