édition en format de poche, Albin Michel, 2001 (1ère édition Pygmalion/Gérard Watelet, 2000)
Compte-rendu de lecture par GRIC Tunis
On savait Salah Stétié grand poète. On le connaissait grand traducteur, et grand amateur de littérature universelle. On le découvre ici excellent connaisseur de l’Islam. Sa biographie du Prophète Muhammad est à la fois érudite et lyrique. Elle se lit et se relit avec un sérieux plaisir, dû à l’encyclopédisme de l’auteur, allié à sa sensibilité, et à une rare honnêteté intellectuelle. Dans l’avant-propos de son ouvrage, Salah Stétié précise sa position :
« Je ne suis ni un spécialiste de l’histoire des religions ni un hagiographe. Mon islam est un islam culturel. Je suis né dans ce milieu : je lui appartiens par ma famille, par mes racines, par une partie non négligeable de mon identification intellectuelle ou spirituelle, de mon identité ontologique. Je n’en tire aucune conclusion particulière mais, simplement, de me reconnaître musulman me rassure au niveau de ma fidélité envers moi-même, envers les autres, à l’heure difficile que voici, difficile pour l’Islam et la totalité de ses peuples » (p.13)
Plus loin, il explicite sa démarche :
« Il m’appartient, dans la faible mesure de mes moyens, de rappeler qu’une admirable architecture conceptuelle et morale comme celle que l’Islam a sécrétée au fil des âges, qu’une magnifique chaîne de penseurs, de philosophes, de mystiques et d’inspirés, ne sauraient être reniées l’une et l’autre » (p.14)
Et Salah Stétié tient ici ses engagements. Il nous offre 333 pages (en édition de poche) d’une qualité exceptionnelle, tant par le contenu que par le style, qui rappellent qui fut le fondateur de l’Islam. Ce texte rend toute la complexité du personnage de Muhammad, pacifique qui fit la guerre, mystique solitaire et chef d’une communauté, fédérateur des tribus arabes sans successeur désigné… Les cartes géographiques, le glossaire, la bibliographie viennent compléter le paysage, et les citations, extraites du Coran, des Traditions (ahâdith), des exégèses classiques et modernes, illustrent remarquablement chaque fait et chaque trait du Prophète. Un chapitre est consacré au rapport de l’Islam naissant avec les autres religions du Livre, et un autre aux relations de Muhammad avec les femmes. Dans ces deux chapitres notamment, le Christianisme est omniprésent, et sert de référent. Et Salah Stétié de s’interroger sur les raisons de la rencontre manquée entre le Christianisme et l’Islam, ces deux témoignages d’une même Vérité. Et de constater des différences non pas dans l’essence, mais dans l’existence de Jésus et de Muhammad. Salah Stétié écrit à ce propos :
« L’humain christique est lié, pour l’essentiel, à la douleur et au tragique de notre condition. Malgré certains moments de joie profonde et grave présents dans les Evangiles, malgré la préférence donnée à Marie la contemplative sur Marthe l’occupée, la préoccupée, malgré la tendresse manifestée par Jésus envers Marie-Madeleine la flamboyante, il n’y a pas, il ne saurait y avoir du Christ une face heureuse, et qui veuille regarder vers l’ici-bas comme vers le lieu où l’homme et la femme ont leurs habitudes au quotidien, ont leur corps quotidien et les exigences de ce corps, lié fût-il ou délié de l’esprit. »(p.273)
A contrario, l’Islam et son prophète font grand cas du corps. Salah Stétié cite cette parole de Muhammad (rapportée dans un hadîth) :
« Ce que j’ai le plus aimé au monde, ce sont les femmes, les parfums et la prière » (p.74).
Le mot « incarnation » prend dans cette biographie tout son sens, qui nous montre un prophète faisant toutes les expériences humaines, désirant, se parant, et priant avec son cœur et son corps. L’ouvrage de Salah Stétié nous paraît bien plus instructif que les autres biographies du Prophète de l’Islam : certaines sont des éloges à peine déguisés, d’autres, se voulant objectives, en paraissent dépréciatives. Ce qui plaît ici, c’est la modération dont fait preuve l’auteur. Il n’encense ni ne dénigre. Il n’extrapole ni ne dissimule. Il raconte, illustre, argumente, et ne cesse de s’interroger. Son esprit critique donne au livre une force incontestable, tout en nous rendant palpable la vie en Arabie au 7ème siècle, et proche celui qui initia l’une des plus grandes religions du monde. Mis à part son titre (on eût préféré Muhammad à Mahomet), cette biographie du Prophète sonne juste de la première à la dernière ligne.
Le dernier chapitre du livre s’intitule « Lumière » et on y lit que « jamais plus que dans le Coran la lumière n’aura joué de rôle spirituel essentiel » (p.331). En conclusion, Salah Stétié évoque an-noûr al-muhammadi, la « Lumière muhammadienne » chère aux soufis.
De cet ouvrage remarquable, on sort donc éclairé. Et avide d’encore plus de lumière, c’est-à-dire, de connaissance de l’Unique et d’amour des différences.