« Ce que nous avons fait de bien avec les Chrétiens, nous nous devions de le faire, par fidélité à la foi musulmane et pour respecter les droits de l’humanité [huqûq al-insâniyya]. Car toutes les créatures sont la famille de Dieu, et les plus aimés de Dieu sont ceux les plus utiles à sa famille. Toutes les religions apportées par les prophètes depuis Adam jusqu’à Muhammad reposent sur deux principes : l’exaltation du Dieu très haut et la compassion pour ses créatures. En dehors de ces deux principes, il n’y a que des ramifications sur lesquelles les divergences sont sans importance.
Et la loi de Mohamed est parmi les doctrines, celle qui montre le plus d’attachement et donne le plus d’importance au respect de la compassion et de la miséricorde, et à tout ce qui assure la cohésion sociale et nous préserve de la dissension.
Mais ceux qui appartiennent à la religion de Mohamed l’ont dévoyée. C’est pourquoi Dieu les a égarés. La sanction a été de même nature que la faute ».
Ce texte est la réponse de l’Emir Abd El Kader à Monseigneur Pavy qui le remerciait de son intervention en faveur des chrétiens de Damas lors des massacres de 1860 (cité dans L’Emir Abd El Kader Témoin et Visionnaire, pp37-38 de P Lory, D. Rivet,H. Teissier et al , Ibis Presse, Paris 2004)
Cent trente ans après sa mort ce texte est encore étonnamment d’actualité et visionnaire pour le dialogue islamo-chrétien. La lutte de l’Emir contre l’armée française fait partie de l’Histoire. Mais peut-être avait-il pu comprendre qui étaient les Chrétiens au cours de ses incarcérations en 1848, à Toulon, Pau, puis Amboise. Son séjour forcé à Pau est peut-être le plus significatif. Le choix de Pau avait été fait par Lamartine qui s’était trouvé mêlé de très près au débat sur la colonisation. A cette époque Pau attire des anglais, des hommes d’affaires, des philanthropes. L’Emir accueille aussi bien des gens simples que des personnalités religieuses, catholiques et protestantes (Antoine Dupuch, ancien évêque d’Alger, Charles Eynard, protestant genevois, le comte Alfred de Falloux). Après le chef de guerre, l’Emir se révèle alors aux Français comme un homme de dialogue et de spiritualité. Au moment de partir pour Amboise, ses amis palois l’entourent remplis d’émotion et l’Emir leur déclare : « En quittant Pau je laisse un morceau de mon cœur ». Cela est d’autant plus vrai que plusieurs de ses enfants, décédés lors de son incarcération sont enterrés au cimetière de Pau.
Les palois se souviennent de cet « illustre captif » et diverses association tente de faire revivre sa mémoire et son message.
En 1998, l’association Echelle inconnue lance un projet en référence à la Smala de l’Emir Abd El Kader. En 2008 , un colloque à lieu au château de Pau à l’occasion du bicentenaire de la naissance de l’Emir. Différentes actions ont été menées dans l’ esprit de tolérance et de respect mutuel dont Abd El Kader a su témoigner : Rencontre suer la laïcité au Centre social du Hameau avec la participation du rabbin de Pau, de l’imam Fouad Saanadi et de l’abbé Joseph Gattelier (2008), Concert pour la Paix avec la participation d’une chorale juive, d’une chorale chrétienne et d’un groupe de musiciens arabo-andalous(2010), Manifestation de solidarité avec les chaldéens de Pau (2010), Conférences sur la place de la femme dans les printemps arabes (2012), sur les relations entre la France et l’Algérie et entre Israël et Palestine (2012)…
L’Association Culture Plurielle, le Groupe d’Amitié islamo-chrétien de Pau, le Groupe de dialogue islamo-chrétien de la Paroisse Notre-Dame du Hameau, ainsi que l’Association Culturelle Israélite de Pau œuvrent ensemble pour que le passage de l’Emir dans leur ville continue à porter des fruits, dans un esprit de tolérance. (Pour plus de renseignements se reporter à leur site : http://sites.google.com/site/associationcultureplurielle)
Photo : Damas 1860