Sommaire du dossier : Marie
- La Vierge au Moyen Orient par Illario Antoniazzi*
- Que me reste-t-il de Marie ? Par Jean Fontaine, Père Blanc
Pour la deuxième année consécutive le GRIC de Tunis a organisé une table ronde le 15-3-2017, s’inscrivant dans le cadre des rencontres « Ensemble avec Marie », qui rassemblent, le 25 mars, des chrétiens et des musulmans de tous horizons, désirant, à l’instar des Libanais, vivre, autour de la figure de Marie, un temps de convivialité, de prière et de partage. Le texte qui suit est l’intervention que Monseigneur Antoniazzi a prononcée à cette occasion.
Parler de la piété pour la Vierge en Orient est pour moi revivre avec profonde émotion les nombreuses années passées dans le Patriarcat de Jérusalem en strict contact avec les rites des églises orientales.
Permettez-moi de commencer par la fête de ce jour en orient : l’Annonciation de la Vierge. Mon cœur tressaille de joie car dans la basilique de l’Annonciation à Nazareth, où habitait la Vierge, j’ai été consacré évêque. Mais il y a une autre place aussi importante « la fontaine de la Vierge », fontaine qui existe jusqu’à nos jours. Selon la tradition l’ange Gabriel apparut à la Vierge à la fontaine quand elle puisait l’eau et la salua en disant : « Je vous salue Marie pleine de grâce ». Effrayée par ce salut elle s’échappa à la maison où elle retrouva l’Ange qui la tranquillisa en disant : « N’aie pas peur car tu as trouvé grâce auprès de Dieu ». Dans sa maison devait se réaliser pour les chrétiens le mystère de l’Annonciation. Là, où habitait la Vierge, il y a une écriture avec un mot en plus que dans l’Évangile : « Hic Verbum caro factum est » « Ici » le Verbe s’est fait chair, « Huna tajassadat kelimat ullah ». Les chrétiens d’orient le savent bien : le christianisme commença chez eux, à Nazareth. Aujourd’hui à Nazareth il y a la réjouissance populaire, tous chrétiens et musulmans, le cœur rempli d’allégresse, fêtent la Vierge. Aujourd’hui la Vierge les invite à oublier leurs difficultés, leurs divisions et les appelle à l’unité, à l’amour chrétiens et musulmans ensemble.
En orient, la Vierge est la Protectrice et la Patronne des chrétiens depuis les temps apostoliques. Après la Résurrection du Christ sa vénération s’étendit à toute l’Église orientale jusqu’à surpasser la vénération de tous les autres saints y compris les martyres qui étaient considérés comme la plus belle image du Christ souffrant. Son exaltation atteint son apogée avec le concile d’Ephese en 431 où elle fut proclamée la Théotokos, la Mère de Dieu.
Quand j’étais curé dans le sud de la Jordanie, à coté de ma mission dans le désert, les ruines du village de Rabba, l’ancienne Areopolis attiraient toujours mon attention. Le sud de la Jordanie, au quatrième siècle, était chrétien et y existaient de nombreux évêchés. Rufinus, évêque d’Areopolis, se mit un jour en chemin pour participer au Concile œcuménique à Ephese. Son nom est dans la liste des évêques qui ont proclamé solennellement la maternité de Marie : la Théotokos. Il revenait dans son diocèse d’Areopolis après des mois de voyage et bâtissait une des plus anciennes Églises dédiée à la Vierge. Sur l’architrave de la porte principale des ruines de sa cathédrale, on peut encore lire en Grec : Théotokos, à la Mère de Dieu. Même si le village aujourd’hui est presque complètement musulman, chrétiens et musulmans se retrouvent pour prier « Sitna Mariam », pour les uns, la « Théotokos » pour les autres. Là, la Vierge met tout le monde d’accord car ils sont tous des fils qui la vénèrent les uns et les autres.
Déjà à la fin du temps apostolique existait à Jérusalem la vénération pour la Vierge Marie : en témoigne le Protévangile de Jacques datant de la seconde moitié du deuxième siècle.
On l’appelle Protévangile car il nous rapporte le « credo » des chrétiens et les événements antérieurs à ceux qui sont relatés dans les Évangiles canoniques. Cet Évangile apocryphe nous parle surtout de la Vierge et tend à réfuter les attaques des non chrétiens qui, après l’époque apostolique, visaient à discréditer la foi chrétienne sur la virginité de Marie.
Cet apocryphe nous raconte la piété des fils de la première génération chrétienne qui avaient reçu la bonne nouvelle directement du Christ ou des apôtres et qui connaissaient les noms des parents de la Vierge et les détails de sa vie. Il est émouvant, en lisant cet évangile apocryphe, de voir les chrétiens se réunir pour la prière autour du tombeau vide de la Vierge surtout pour la fête la plus ancienne, sa « dormition ». Le corps de celle qui était la Theotokos, ne pouvait subir les conséquences de la mort. La dormition de la Vierge au Moyen Orient est certainement une des fêtes les plus anciennes de l’Église.
Quand le Pape Pie XII en 1950 proclamait le dogme de l’Assomption de la Vierge, l’Église orientale y croyait déjà, sans que ce soit un dogme pour elle, depuis l’ère apostolique.
À Jérusalem, au Wadi Cédron, se trouve une Église presque enterrée par des gravats, tellement de fois Jérusalem a été détruite et rebâtie après les invasions. Deux tombeaux vides sont encore intacts : celui du Christ dans la basilique de la Résurrection et, dans l’Église de la Dormition, celui de la Vierge.
Chaque année le 15 aout, fête de l’Assomption, j’allais à Jérusalem au Wadi Cédron. Avec joie je me confondais parmi les fidèles orientaux pour prier, comme les premiers chrétiens, autour de son sépulcre vide, et fêter solennellement sa Dormition. Pour les compatriotes de Marie, la Vierge s’est endormie et se trouve au-delà de la mort dans la lumière divine que les Écritures appellent le « Royaume de Dieu ». Ils l’implorent pour qu’elle tourne son regard maternel du ciel vers ses enfants sur la terre, vers leurs souffrances, vers leur pèlerinage terrestre qu’ils sont en train d’accomplir vers le même royaume de Dieu où elle, avec son Fils les attend.
La piété Mariale entre l’orient et l’occident
On peut penser que la dévotion de la Vierge Marie est un vrai trait d’union entre le monde chrétien occidental et oriental. On ne peut nier que cette réalité ait un fondement solide. En Orient catholiques et orthodoxes vénèrent la Vierge profondément. Tout de même il y a des différences dans leur rapport avec la Vierge. Par exemple les orthodoxes ignorent complètement la prière très priée en occident « Je vous salue Marie », mais la différence de base se trouve dans la répugnance orientale vers la dogmatisation de la Vierge en Occident.
L’expérience mariale orientale s’exprime surtout dans le langage des hymnes, dans la poésie religieuse, dans les homélies très raffinées des anciens et nouveaux pères de l’Église et dans la délicatesse des Icones et surtout dans la liturgie solennelle. Tout nous parle de Marie. La théologie scolastique devient pour elle superflue, trop rationnelle et, par conséquence, incapable de parler d’une réalité si importante et être comprise par les fidèles. L’Orient a une théologie très limitée sur la Vierge et il ne sépare jamais la Vierge du mystère du salut. La tradition orientale met la figure et le rôle de la Theotokos dans l’ensemble du mystère et l’histoire du salut. Plutôt que de programmer un chapitre à part qui comprend les mérites et les privilèges de la Vierge, la tradition préfère la contempler dans la prospective du mystère Christologique et la voir comme la première glorifiée dans sa maternité miraculeuse.
L’Orient laisse parler l’intuition de son sentiment plus que les définitions rationnelles et doctrinales ou dogmatiques. Il puise les louages de Marie dans l’abondance des images bibliques et dans la liturgie qui devient ainsi un trésor d’hymnes, de louanges et d’actions de grâce à Dieu qui a honoré une fille de notre humanité et élève en elle l’humanité à un niveau si haut.
L’Orient a dogmatisé la Vierge d’une manière limitée. Il a proclamé et proclame ce qui est indissolublement lié à la divinité du Christ comme l’affirmation dogmatique du concile d’Ephese (431) contre Nestorius, où Marie est proclamée Mère de Dieu, la Theotokos. Pour ce motif dans toutes les icones mariales la Vierge est toujours représentée avec son Fils et jamais tout seule.
J’ai la nostalgie, puisque nous sommes en Carême, des « Madayeh » des louanges à la Vierge propre à ce temps : les cantiques avec les hymnes, les paroles poétiques avec leurs racines bibliques, la piété des fidèles qui louent la Theotokos, élèvent le cœur vers des hauteurs célestes et notre âme glorifie le Seigneur qui a fait en elle des merveilles.
Les Icones mariales.
On ne peut parler de la piété des fidèles orientaux vers la Vierge sans attirer l’attention sur les icones et leur grandiose réalisation. L’iconographe, après avoir prié et jeuné, « écrit » l’icône il ne la peint pas. Elle est un livre saint et ce que l’Évangile dit avec ses paroles, l’icône le dit avec ses images et ses couleurs. Elle est considérée « une fenêtre ouverte sur le mystère » ou même un « traité » de théologie à couleur » qui a comme but la sanctification des croyants à travers la prière et le sens de la vue. Elle est plus qu’une image religieuse, elle est un chemin qui porte à Dieu à travers la Theotokos et les saints.
L’oriental aime prier devant l’icône car elle attire sa pensée et son âme vers le Seigneur et cela lui procure sérénité et paix. Sa prière est un signe de fidélité à la volonté de Dieu comme l’ont vécue la Vierge et les saints présents dans l’icône. Le chrétien ainsi, a la sensation de vivre dans un dialogue vivant et personnel avec les saints de l’icône qui deviennent comme les interprètes et les intermédiaires entre lui et Dieu.
Devant l’icône, une flamme brule toujours en signe de la foi des fidèles et elle a une place d’honneur dans chaque Église et chaque maison. En y entrant on est accueilli par une famille spirituelle et on se sent entouré de la lumière de la Vierge et des saints qui élèvent la pensée et le cœur vers le Seigneur et nous obligent librement à l’adorer et le glorifier en méditant les merveilles qu’Il a accompli dans ses créatures. Avec respect, le fidèle baise l’icône et avec ce geste il veut signifier son désir d’appartenir dès aujourd’hui au royaume de Dieu où se trouvent les saints des icônes et surtout la Mère de Dieu car, nous le rappelle l’Évangile, l’Esprit Saint est venu sur elle, et la puissance du Très Haut l’a prise sous son ombre. (Lc 1,35).
Conclusion
Je termine avec un dialogue qui m’a beaucoup impressionné. L’Église orthodoxe en Palestine, sous l’occupation turque, a vécu pendant des siècles un abandon total. Les Églises ont été fermées et les fidèles ne pouvaient pas pratiquer. Malgré cela la foi chrétienne est restée présente. J’ai demandé au vieux prêtre orthodoxe de ma paroisse : « pourquoi la foi n’a pas disparu puisque tout était contraire à sa présence ? ». « C’est vrai, me dit-il, la foi de mes ancêtres était invisible mais vivante et jamais éteinte comme le feu sous les cendres. Dans chaque famille il y avait une icône de la Vierge et autour de la Theotokos mes ancêtres se réunissaient, les portes fermées, pour la prier et avec elle supplier son Fils Jésus de les garder fidèles à la foi. C’est notre amour envers la Vierge qui a sauvé notre foi. Quand on aime la Mère on ne peut trahir son Fils ».
*Monseigneur Ilario Antoniazzi, né en Italie est actuellement archevêque de Tunis, après avoir longtemps séjourné en Jordanie et en Galilée.