La fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune
Le 4 février 2019, au cours d’un voyage du pape François dans les Emirats Arabes Unis, lui-même et le Grand imam d’al-Azhar, Ahmed Al-Tayyeb, ont signé un document commun intitulé : La fraternité humaine, pour la paix mondiale et la coexistence commune. Cet événement en a surpris plus d’un, surprise liée, entre autres, à la personnalité des deux signataires et au lieu choisi pour cette signature. La promulgation du document a été précédée d’une préparation longue (au moins une année), mais très discrète. En fait, on sait maintenant qu’il y eut plusieurs rencontres entre le pape François et l’imam d’al- Azhar, qu’elles ont tissé des liens d’amitié entre eux, et qu’elles ont permis la rédaction de cette déclaration commune.
Le texte suivant n’a pas la prétention d’étudier le document dans toutes ses implications. Celui-ci a d’ailleurs fait l’objet d’analyses de la part de personnes compétentes, et il a provoqué des réactions nombreuses, les unes favorables et même enthousiastes, les autres parfois très critiques, surtout du côté chrétien.
Après une présentation de son contenu, je me propose de donner un aperçu (très incomplet) de la manière dont il a été reçu, avant d’envisager quelques domaines dans lesquels il pourrait être mis à profit.
I -Analyse du document
Quelques lignes introductives rappellent tout d’abord que ce document est le fruit d’échanges fraternels et sincères, qu’il invite tous les croyants à s’unir et à travailler ensemble, afin qu’il devienne un guide pour les nouvelles générations envers la culture du respect réciproque, dans la compréhension de la grande grâce divine qui rend frères tous les êtres humains.
Suit une sorte de Préambule, qui énumère toutes les catégories sociales et toutes les valeurs que notre monde actuel, dans son individualisme, sa soif de pouvoir ou de richesse, tend à oublier, à négliger ou même à mépriser. Chacune de ces catégories et valeurs est introduite par l’expression au nom de, une façon d’affirmer que, au-delà des deux signataires, ce sont elles qui nous demandent justice. En voici la liste :
Quelques lignes introductives rappellent tout d’abord que ce document est le fruit d’échanges fraternels et sincères, qu’il invite tous les croyants à s’unir et à travailler ensemble, afin qu’il devienne un guide pour les nouvelles générations envers la culture du respect réciproque, dans la compréhension de la grande grâce divine qui rend frères tous les êtres humains.
- Dieu lui-même, qui a créé tous les êtres humains égaux
- L’âme humaine innocente que Dieu a interdit de tuer
- Les pauvres, les personnes dans la misère, dans le besoin, et les exclus
- Les orphelins, les veuves, les réfugiés et les exilés ; les victimes des guerres, des persécutions et des injustices ; les prisonniers et les torturés
- Les peuples qui ont perdu la sécurité, la paix et la coexistence
- La « fraternité humaine », qui embrasse tous les hommes, les unit et les rend égaux
- La liberté, que Dieu a donnée à tous les êtres humains
- La justice et la miséricorde, fondements de la prospérité et pivots de la foi
- Toutes les personnes de bonne volonté, présentes dans toutes les régions de la terre.
Au moment de dénoncer les maux du monde contemporain, qui sont déjà sous-entendus dans l’énumération précédente, le pape et l’imam se présentent, le premier comme le représentant de tous les catholiques d’Orient et d’Occident, le second comme représentant des musulmans d’Orient et d’Occident. Et ils déclarent adopter la culture du dialogue comme chemin, la collaboration commune comme conduite, la connaissance réciproque comme méthode et critère.
Viennent alors mentionnées les tares de notre époque :
- Les guerres et conflits, la dégradation environnementale, le déclin culturel et moral.
- Une conscience humaine anesthésiée, l’individualisme, les philosophies matérialistes.
- Une détérioration de l’éthique, un affaiblissement du sens de la responsabilité.
- L’extrémisme religieux et l’intolérance qui conduisent à une violence aveugle
- L’injustice et l’absence de distribution équitable des ressources naturelles
- La remise en question de la famille et de l’institution familiale
- Les menaces contre la vie (génocides, terrorisme, avortement, euthanasie, etc…)
- La déviation des enseignements religieux et l’usage politique des religions.
Face à tous ces dysfonctionnements, les signataires expriment leurs certitudes et convictions sur les points suivants :
- Les religions invitent à la paix, à la fraternité, à la coexistence
- La liberté (notamment de croyance et de pensée) est un droit de toute personne
- La justice doit être basée sur la miséricorde
- Une culture du dialogue et de l’acceptation de l’autre sont indispensables
- Ce dialogue devrait porter sur les valeurs spirituelles, humaines et sociales communes
- La protection des lieux de culte est garantie par les religions et les lois humaines
- Le terrorisme n’est pas dû à la religion, mais aux interprétations erronées des textes religieux et aux politiques basées sur l’injustice
- Le concept de citoyenneté suppose l’égalité, pour tous, des droits et des devoirs[1]
- La relation entre Orient et Occident est une indiscutable et réciproque nécessité
- Il est indispensable de reconnaître les droits de la femme ainsi que sa dignité
- Les droits fondamentaux des enfants doivent être garantis et préservés
- Les droits des personnes âgées, des faibles, des handicapés et des opprimés est une exigence religieuse et sociale, qui doit être garantie et protégée.
En conclusion, l’imam et le pape souhaitent que cette Déclaration
Soit une invitation à la réconciliation et à la fraternité entre tous les croyants, ainsi qu’entre les croyants et les non croyants, et entre toutes les personnes de bonne volonté.
Soit un appel à toute conscience vivante qui rejette la violence aberrante et l’extrémisme aveugle ; appel à qui aime les valeurs de tolérance et de fraternité, promues et encouragées par les religions.
Soit un témoignage de la grandeur de la foi en Dieu qui unit les cœurs divisés et élève l’esprit humain.
Soit un symbole de l’accolade entre Orient et Occident, entre Nord et Sud, et entre tous ceux qui croient que Dieu nous a créés pour nous connaître, pour coopérer entre nous et pour vivre comme des frères qui s’aiment.
Ceci est ce que nous espérons et cherchons à réaliser, dans le but d’atteindre une paix universelle dont puissent jouir tous les hommes en cette vie.
Comment caractériser le Document d’Abu Dhabi ?
Tout d’abord, il me paraît important de faire abstraction du statut des deux signataires. Certes, on ne peut nier qu’ils tiennent un rang éminent au plan international, l’un étant une autorité reconnue dans l’islam sunnite, le second exerçant l’autorité suprême dans le catholicisme. Toutefois, malgré la solennité qui a accompagné sa signature, la présente Déclaration ne peut prétendre être considérée comme un document officiel ni d’Al-Azhar ni du Vatican (comme le sont par exemple, du côté catholique, les encycliques pontificales ou les décisions d’un concile). Il ne s’agit pas non plus d’une déclaration islamo-chrétienne, comme celles qui sont parfois publiées à l’issue de colloques internationaux ayant réuni des participants des deux religions, qui s’adressent avant tout à leurs coreligionnaires.
En fait, le contenu et la portée du document sont bien plus larges. Celui-ci est intitulé La fraternité humaine, laquelle englobe naturellement toute l’humanité. Le sous-titre : pour la paix mondiale et la coexistence commune, revendique la même extension. Le cheikh et le pape entendent s’exprimer « au nom de » toutes les catégories de personnes énumérées précédemment, c’est-à-dire tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, souffrent et meurent par suite des tares du monde contemporain. D’autre part, les signataires s’adressent aux leaders du monde, aux artisans de la politique internationale et de l’économie mondiale, aux intellectuels, aux philosophes, aux hommes de religion, aux artistes, aux opérateurs des médias et aux hommes de culture en toute partie du monde. Dans un autre paragraphe du document, sont interpellés également les parents et les éducateurs. Il est clair que nous avons là un texte qui revendique une portée universelle, sans tenir compte des frontières religieuses, politiques ou sociales.
Si nous considérons maintenant les domaines dans lesquels les destinataires sont invités à s’engager, nous trouvons répandre la culture de la tolérance, de la coexistence et de la paix ; intervenir, dès que possible, pour arrêter l’effusion de sang innocent et mettre fin aux guerres, aux conflits, à la dégradation environnementale et au déclin culturel et moral. Il est demandé en outre à tous de cesser d’instrumentaliser les religions pour inciter à la haine, à la violence, à l’extrémisme et au fanatisme aveugle, et de cesser d’utiliser le nom de Dieu pour justifier des actes d’homicide, d’exil, de terrorisme et d’oppression. Il est nécessaire également d’interrompre le soutien aux mouvements terroristes par la fourniture d’argent, d’armes, de plans ou de justifications, ainsi que par la couverture médiatique, et de considérer tout cela comme des crimes internationaux. Enfin, en ce qui concerne les femmes, les enfants, les personnes âgées et les handicapés, on se référera à ce qui est dit plus haut.
S’agissant du respect de la vie, on pourrait peut-être s’interroger sur certaines maladresses ou omissions. Doit-on mettre sur le même plan les actes de terrorisme ou de génocide, et l’euthanasie ? L’interdiction de tuer ne concerne-t-elle que le « sang innocent » ? Et pourquoi n’est-il fait aucune allusion à la peine de mort ? A moins que l’on considère que cette question relève du débat interne de chaque Etat.
Quoi qu’il en soit, le programme est immense ; il est à la mesure des maux dont souffre notre planète. De ce fait, on peut éprouver la crainte d’être ensevelis sous cette avalanche d’engagements, et le document risque de rester un catalogue de vœux pieux, comme le sont tant de décisions ou de condamnations des instances internationales, et de ne pas se traduire par des actions concrètes C’est pourquoi il a été créé un Comité pour sa mise en pratique. Celui-ci est, pour l’instant, composé de huit membres : cinq musulmans, deux chrétiens et un juif. Deux rencontres ont déjà eu lieu : la première s’est tenue au Vatican, le 11 septembre 2019 (une date choisie à dessein), et la seconde à New York, dans le cadre de la session de l’ONU.
Il me paraît intéressant de mentionner le programme qui a été assigné à ce Comité :
- Promouvoir des idéaux comme la tolérance, la coopération et la coexistence.
- Organiser des activités concrètes, comme des rencontres au niveau régional et international, entre les leaders religieux, mais aussi avec des responsables d’organisations internationales.
- Solliciter l’adoption de mesures nationales pour le respect réciproque et la coexistence.
- Superviser la « Maison de la Famille abrahamique » (mosquée+église+synagogue), dont la première pierre a été posée par le pape et le cheikh d’Al-Azhar, à Abu Dhabi, et dont la construction devrait commencer en 2020.
Dans le communiqué qui annonce la création de ce Comité, il est rappelé que le Document d’Abu Dhabi exprime « un engagement à unir toute l’humanité et à travailler pour la paix dans le monde, afin de s’assurer que les générations futures puissent vivre dans un climat de respect réciproque et de saine coexistence ». La mention des « générations futures » nous donne à comprendre qu’il s’agit là d’un projet de longue haleine.
Dans l’avion qui le ramenait d’Abou Dhabi à Rome, le pape François a tenu une conférence de presse pour répondre aux nombreuses questions des journalistes qui l’accompagnaient. Retenons-en quelques précisions. « Le Document, dit le pape, ne s’est pas éloigné d’un millimètre de Vatican II ». A une autre question, il répond : « Pour moi, il y a un seul grand danger en ce moment : la destruction, la guerre, la haine entre nous. Et si nous, croyants, ne sommes pas capables de nous donner la main, de nous embrasser, et également de prier, notre foi sera vaincue. Le Document naît de la foi en Dieu, qui est le Père de tous et Père de la paix, et qui condamne toute destruction, tout terrorisme ».
II-Que pouvons-nous dire, pour le moment, de la réception du Document[2] ?
Commençons par les réactions négatives, qui sont parfois fort virulentes, et cela du côté chrétien, et plus précisément catholique. Elles sont surtout le fait de personnes appartenant souvent à des milieux « traditionalistes », qui n’ont jamais accepté les décisions du concile Vatican II, en traitant d’hérétiques les papes et les évêques qui ont travaillé et travaillent à les mettre en œuvre. Ces milieux sont logiques avec eux-mêmes, en critiquant un texte qui se veut totalement fidèle au Concile. Une phrase, en particulier, a soulevé de graves critiques ; il s’agit de l’affirmation que « le pluralisme et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine ». Ce qui fait problème, c’est le fait d’avoir inclus dans la liste la pluralité de religions. Leur raisonnement est le suivant : les religions se contredisent les unes les autres sur tel ou tel article de foi ; or une seule détient la vérité ; donc Dieu ne peut vouloir la diversité des religions, car alors il voudrait l’erreur.
Il existe fort heureusement des réactions positives au Document. Elles proviennent surtout de pays où la coexistence chrétiens-musulmans est parfois problématique.
C’est le cas dans le sud des Philippines, notamment dans l’île de Mindanao, où de vieux contentieux entre les deux communautés ont créé, depuis presque un demi-siècle, une situation marquée par la violence. Des groupes djihadistes en ont profité pour s’établir et sévir dans la région. Le Mouvement Silsilah pour le dialogue[3] a salué chaleureusement la publication du Document sur la fraternité humaine. « Nous sommes heureux, dit son communiqué du 7 février 2019, que, dans ce document officiel, soit clairement mentionnée l’importance de la culture du dialogue comme chemin vers la paix. Nous croyons que cela constitue le point de départ d’une plus profonde compréhension du dialogue soutenu par l’amour ».
Au Liban, parmi les plus hautes autorités religieuses du pays, le mufti de la République, le patriarche maronite et le cheikh druze, avaient salué avec enthousiasme le Document dès sa parution. En juin 2019, l’Assemblée des évêques grecs melkites décide de travailler à sa diffusion et à son approfondissement. « L’intention est de favoriser l’avènement de nouvelles générations en mesure de reconstruire la coexistence entre les diverses composantes sociales et religieuses, dans les pays où est présente l’Eglise grecque melkite ». Suivent des mesures concrètes pour diffuser et étudier le Document. Entre temps, l’Eglise maronite avait adopté une position similaire.
Du côté musulman, nous trouvons tout d’abord une Déclaration publiée, dès le 19 février 2019, par The European Muslim Leaders Maglis (EuLeMa), et signée par 17 leaders musulmans d’Europe. Ceux-ci, ayant pris connaissance du Document d’Abu Dhabi, se disent décidés à étudier « les moyens et les voies pour en mettre en œuvre le contenu, ainsi qu’une stratégie commune pour en développer le succès ».
Bien qu’elle ne fasse pas référence, de manière explicite, au texte d’Abu Dhabi, on ne peut passer sous silence la Charte de La Mecque, datée du 29 mai 2019. Elle a été publiée à l’issue d’un colloque international qui a réuni plus de 1200 religieux musulmans provenant de 139 pays. En 29 paragraphes, elle aborde l’ensemble des grands sujets de discorde dont souffre le monde contemporain : racisme, conflits de civilisations, violence, terrorisme, atteintes à l’environnement, déni de liberté et de citoyenneté, attaques contre les lieux de culte, condition de la femme, problèmes de la jeunesse. Des directives sont énoncées pour lutter contre ces maux. Comme on le voit, la plupart de ces points apparaissent déjà dans le Document d’Abu Dhabi. La Charte de La Mecque, étant une déclaration « à usage interne » de la communauté musulmane, ne traite pas du dialogue interreligieux. Toutefois, elle rappelle explicitement la Charte de Médine conclue par Muhammad et ses Compagnons émigrés, avec leurs alliés médinois, parmi lesquels se trouvaient des tribus juives.
Du côté musulman encore, un texte d’une quinzaine de pages, intitulé La fraternité pour la connaissance et la coopération, et signé par 22 intellectuels sunnites, chiites ou soufis provenant de 19 pays, a été publié en juillet 2019. Ce document affirme : « Nous désirons non seulement adhérer au rappel de la Déclaration d’Abu Dhabi, mais aussi promouvoir un commentaire et une coordination internationale d’échange et de collaboration entre chrétiens et musulmans ». Suivent là aussi des propositions concrètes pour mettre en œuvre cette coordination. Les signataires voient dans la Déclaration « une nouvelle phase du dialogue en train de s’ouvrir ». Nous espérons, ajoutent-ils, qu’elle sera « le point de départ (autant qu’un point de non retour) qui nous encourage à nous engager, réellement, comme hommes, comme frères, comme personnes religieuses, afin de découvrir et de pratiquer ces trésors de connaissance spirituelle et métaphysique dont les traditions religieuses sont encore les dépositaires ».
Le 1er juillet 2019, le pape a reçu le Président et le Vice-Président de la Universal Peace Federation (UPF), qui regroupe des associations travaillant à instaurer la paix internationale. Au cours de l’entretien qui a duré 30 minutes, le pape a remis à ses visiteurs une copie de la Déclaration d’Abu Dhabi. L’UPF mettra celle-ci au programme de sa prochaine assemblée générale, qui se tiendra en juillet 2020.
III-Des pistes de réflexion et d’action ?
Les réactions précédentes (et il y en eut d’autres) montrent bien que le Document signé par le Pape et l’Imam est loin de laisser indifférents les milieux qui ont la capacité de le diffuser et de collaborer à sa mise en œuvre. Mais il est indispensable de ne pas en rester au plan théorique, et de se donner des objectifs concrets. Il me semble que, à partir du Document lui-même, et des diverses déclarations émises par des personnes ou des groupes, nous pouvons envisager les pistes suivantes.
1-Education. Dans le préambule du Document, les signataires souhaitent que celui-ci « devienne un guide pour les nouvelles générations, envers la culture du respect réciproque, dans la compréhension de la grande grâce divine qui rend frères tous les êtres humains ».Une phrase qui sollicite l’engagement des éducateurs, qui sont au service des « jeunes générations » Avant de procéder à la signature du Document, le pape François a prononcé un discours qui, entre autres, explicite ce thème de l’éducation. S’inspirant du logo créé pour son voyage (une colombe avec un rameau d’olivier), il déclare : « La paix, pour prendre son envol, a besoin d’ailes qui la soutiennent, les ailes de l’éducation et de la justice ». Au sujet de l’éducation, il ajoute : « Il est important pour l’avenir de former des identités ouvertes, capables de vaincre la tentation de se replier sur soi et de se raidir. Investir dans la culture favorise une diminution de la haine et une croissance de la civilisation et de la prospérité. Education et violence sont inversement proportionnelles ».
Nous retrouvons le même souci de l’éducation dans l’une ou l’autre des réactions signalées précédemment. Encore une fois, les responsables de l’éducation, à tous les niveaux, sont ici directement concernés.
2-Médias et réseaux sociaux. « Nous nous adressons, dit le Document, aux intellectuels, aux philosophes, aux hommes de religion, aux artistes, aux opérateurs des médias et aux hommes de culture en toute partie du monde, afin qu’ils retrouvent les valeurs de la paix, de la justice, du bien, de la beauté, de la fraternité humaine et de la coexistence commune, pour confirmer l’importance de ces valeurs comme ancre de salut pour tous, et chercher à les répandre partout ».
Nous vivons à l’ère du Web et d’Internet. Textes, photos, vidéos, peuvent atteindre en un instant le monde entier. Nous sommes en présence d’une arme à double tranchant, qui peut être extrêmement nocive, mais aussi fort utile pour diffuser les valeurs énumérées dans le Document. Le Pape lui-même donne l’exemple en utilisant le réseau social Twitter. De même, les auteurs de La Fraternité pour la connaissance et la coopération ont lancé « une plateforme de communication, sur laquelle pourront être présentés des projets ou recherches de travail, connaissance et collaboration entre chrétiens et musulmans dans le monde ».
3-Médiations. Les mêmes auteurs ajoutent dans leur conclusion:« Par le passé, les ordres contemplatifs étaient des bastions fondamentaux de l’orthodoxie et de la spiritualité, tant dans la chrétienté (catholique et orthodoxe) que dans l’islam, et rien ne les empêche de remplir ce rôle à nouveau, en œuvrant comme médiateurs entre les croyants et religieux de nos deux religions, en vue d’une entente spirituelle véritable ». Ce qui est dit ici concernant musulmans et chrétiens, peut être envisagé dans la résolution de nombreux conflits. Il nous est probablement difficile d’imaginer que n’importe quelle personne, ou même des groupes, puissent interpeller avec efficacité des responsables politiques, économiques, militaires, etc. Et pourtant, pensons à l’impact que peuvent avoir actuellement, surtout auprès des jeunes, les interventions d’une Greta Thunberg, sur la question cruciale de l’environnement[4]. De plus, nous avons des exemples de médiations qui ont mis fin à des conflits nationaux ou internationaux, ou bien les ont évités. Ainsi la communauté Sant’ Egidio, de Rome, a joué un rôle décisif avec plusieurs pays : Albanie, Mozambique, Serbie, Guatemala, Burundi. De même, en 1984, la diplomatie de Jean-Paul II a évité une guerre probable entre l’Argentine et le Chili, dans un conflit de frontières. Un « traité perpétuel de paix » fut signé au Vatican Et le pape François lui-même aurait été appelé à l’aide dans le conflit interne du Venezuela.
Conclusion
En cette année 2020, tous ceux qui auscultent le monde de façon impartiale prononcent un terrible diagnostic. Ce monde-là, le nôtre, est atteint de plusieurs maladies graves.. L’insécurité (des quartiers urbains occupés par des barbelés et des patrouilles armées), la violence portée à son paroxysme qui torture et qui tue sans distinction, les migrations de masse (avec leurs milliers de noyés), les injustices de toutes sortes, l’insouciance à l’égard de l’environnement (villes devenues irrespirables, océans encombrés de plastique, incendies à répétition) : voilà quelques-unes des maladies dont souffre notre planète ; et celles-ci exigent des traitements urgents.
A travers le Document d’Abu Dhabi, deux personnalités de premier rang expriment leur préoccupation, dénoncent les graves dysfonctionnements de notre époque et appellent à une mobilisation internationale en vue d’y remédier. En qualité de responsables religieux, ils le font au nom de leur foi ; mais leur voix s’adresse à tous, y compris les incroyants, car nous sommes tous habitants d’une planète malade et parfois incontrôlable.
Naturellement, un texte, même proclamé et signé des plus hautes autorités religieuses, ne va pas résoudre tout de suite tous les problèmes ! Mais chacun de nous devrait se demander : Que puis-je faire pour que cet appel ne reste pas sans résultat ? Tout seul, peut-être pas grand-chose. Mais avec d’autres, on peut envisager des actes concrets (même modestes). Les initiatives qui sont mentionnées dans les pages précédentes pourraient nous donner des idées, notre imagination faisant le reste !
Et nous qui sommes engagés dans le dialogue entre musulmans et chrétiens, nous pouvons faire nôtres ces paroles prononcées par le fondateur du Mouvement Silsilah : « Nous avons choisi la voie étroite de ceux qui, pour promouvoir une culture de dialogue et de paix,… pensent qu’il faut d’abord se changer soi-même afin de changer la société ». D’autant plus que nos textes fondateurs nous incitent à cette « conversion ». « Dieu ne modifie rien en un peuple, avant que celui-ci ne change ce qui est en lui »[5]. « Hypocrite, ôte d’abord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour ôter la paille qui est dans l’œil de ton frère » [6]
- [1]Sujet sensible dans un certain nombre de pays. Dans le discours prononcé juste avant la signature du Document, l’Imam s’est adressé aux chrétiens d’Orient en ces termes : « Vous êtes des citoyens et non des minorités… Vous êtes des citoyens et vous bénéficiez de tous vos droits et devoirs ». Sujet sensible dans un certain nombre de pays. Dans le discours prononcé juste avant la signature du Document, l’Imam s’est adressé aux chrétiens d’Orient en ces termes : « Vous êtes des citoyens et non des minorités… Vous êtes des citoyens et vous bénéficiez de tous vos droits et devoirs »↩
- [2] Dans la suite du texte, quand j’utilise le mot avec majuscule, il désigne le Document d’Abu Dhabi.↩
- [3] Ce mouvement, créé en 1984 par un prêtre italien travaillant au sud des Philippines, me paraît particulièrement emblématique. Dans un contexte très difficile (plusieurs de ses membres ont d’ailleurs été assassinés), il réussit à réaliser la collaboration de chrétiens et de musulmans, par des programmes de sensibilisation, de formation et de partage culturel. Un programme éducatif, à base de culture du dialogue, est également mené auprès des prisonniers. Des initiatives de réconciliation entre les communautés ont été prises, des actions cherchent à impliquer les élèves et étudiants dans les écoles de l’enseignement public. Des sessions et rencontres réunissent des associations musulmanes et chrétiennes, des représentants de l’enseignement, etc., afin d’informer la population. Cette expérience de dialogue est fondée sur des valeurs religieuses communes. Ajoutons que le texte d’une prière commune est à la disposition de toutes ces personnes ; son contenu non confessionnel permet à tous les croyants, sans distinction de religion, de l’utiliser.
Le Mouvement envisage le dialogue « en quatre directions : avec Dieu, avec soi-même, avec le prochain et avec la Création ».↩
- [4] Qu’il suffise de rappeler que, le 27 septembre 2019, dans le cadre de Friday for Future (grève du vendredi pour le climat), une manifestation a rassemblé 500.000 personnes à Montréal, y compris le premier ministre Justin Trudeau↩
- [5] Coran, Sourate al-Ra`d (13 :11).↩
- [6] Luc 6 :42.↩