Nous musulmans et chrétiens du GRIC de Tunis sommes profondément émus et tristes après les drames affreux de Conflans Sainte Honorine, de Nice, mais aussi d’Avignon*.
Tristes parce que ces événements sont à l’opposé de ce qui fait notre foi aux uns et aux autres. Le Coran dit « Mon Seigneur est miséricordieux et aimant » (11,90) ; ou aussi : Ne dites pas à celui qui vous offre la Paix : Tu n’es pas croyant ! » (4,94) et encore « Votre Seigneur s’est prescrit à lui-même la miséricorde » (6,54), sans oublier : « Voici quels sont les serviteurs du miséricordieux : ceux qui marchent humblement sur la terre et qui disent ‘Paix’ »(25,63).
Les catholiques entendent le jour de la Toussaint résonner ces mots : Heureux les doux, heureux ceux qui ont faim et soif de justice, heureux les miséricordieux, heureux les cœurs purs, heureux les artisans de paix (Mt 5,4-9). Nul opprobre sur l’autre, mais des appels à vivre en Paix.
Tristes parce que ces événements sont à l’opposé de ce que nous vivons. Nos fois sont différentes, mais nous croyons au même Dieu essayant tous de tendre vers lui, même si nos chemins sont différents. Faire découvrir à l’autre ce qui nous fait vivre, apprendre de l’autre à purifier notre relation à Dieu, cela est non seulement possible mais crée des liens d’amitié personnelle et sociale.
Tristes parce qu’en tant que croyants, mais aussi en tant qu’êtres humains tout simplement, nous croyons que la vie est sacrée. L’injonction faites aux hommes depuis la nuit des temps « tu ne tueras point » serait-elle devenue inaudible ? Et la souffrance n’a pas de religion : les tueurs comme les victimes ont un père, une mère, des frères et sœurs qui pleurent.
Tristes parce que ces actes barbares propagent des idées fausses sur les religions, très loin de ce que vit l’énorme majorité des croyants, qu’ils tentent de dresser les communautés les unes contre les autres et qu’ils font alors se lever des illégitimes justiciers des deux côtés.
Tristes parce que l’un des tueurs est un jeune tunisien et que nous avons pris notre part à la réflexion sur les causes de la dérive islamiste en publiant des articles sur ce sujet (en particulier : « Nouvelles formes de religiosité et radicalisation violente des jeunes tunisiens » par Samia Lajmi Chabchoub, ou « Le concept de non-violence, dans différents contextes religieux » par Nadia Ghrab-Morcos), en organisant des tables rondes sur le thème « Ensemble contre la violence ». Et la Tunisie n’a pas été épargnée par des attentats commis par ses enfants, sur son sol.
Mais nous sommes aussi pleins d’espérance.
Nous n’ignorons pas le poids de l’histoire, ni les difficultés économiques, ni les troubles du cœur humain. Mais nous pensons qu’il y a le meilleur quelque part, au fond de tout homme. Parents, enseignants, hommes politiques, ne blessons pas les enfants et les jeunes, formons-les à l’esprit critique, donnons l’exemple d’une vie en accord avec nos principes, offrons-leur une vie digne, et ne les utilisons pas à des fins idéologiques. Orientons, accompagnons les tendances passionnelles vers plus d’humanité. Tout cela est déjà en route, ne renonçons pas.
Nous sommes pleins d’espérance parce que de plus en plus nous reconnaissons que nous avons des racines communes et profondes humainement bien sûr, mais aussi philosophiquement, scientifiquement, et aussi parce que l’avenir pour protéger la planète ne pourra se faire qu’ensemble.
Nous sommes pleins d’espérance devant toutes les femmes et tous les hommes en recherche spirituelle –et ils sont nombreux-car celle-ci conduit nécessairement au progrès de l’humanité entière. Ayons le courage de parler, mais aussi le courage d’écouter, car chaque femme, chaque homme que nous rencontrons a quelque chose à nous dire, en particulier de Dieu.
Nous sommes pleins d’espérance parce que l’immense majorité des croyants regarde l’autre différent comme étant aimé de Dieu, parce que des musulmans ont le courage –oui aujourd’hui il est parfois risqué de le faire- d’affirmer que la religion n’autorise pas à tuer au nom de Dieu, parce que des musulmans prennent soin des chrétiens et que des chrétiens prennent soin des musulmans.
Nous ne vivons pas dans les nuages mais essayons seulement de penser et d’agir dans la vie quotidienne selon l’appel à la fraternité voulu par Dieu dans nos deux religions. Et Dieu ne saurait se contredire.
*Quelques heures après l’attentat à Notre Dame à Nice, un jeune français, identitaire, a attaqué au couteau un commerçant maghrébin. Il a été tué par la police.