Par Lajmi Chabchoub Samia Gric Tunis
Remarques préliminaires
Le monde musulman est, depuis quelques décennies, bouleversé par la montée fracassante et turbulente d’un certain extrémisme religieux qui n’a pas tardé à envahir la place publique ici et là et à s’imposer, bon gré malgré, comme unique source de référence islamique à laquelle devraient obédience les musulmans.
Confrontés à une situation inédite dans l’histoire de l’islam civilisationnel et religieux, nous oserions dire que nous sommes à l’ère de la suprématie d’un ostracisme religieux, susceptible de se convertir en ostracisme social, qui contraindrait la sagesse à céder sa place à l’inanité, au fanatisme, à l’ intolérance et au sectarisme. Les préjugés auxquels s’ajoutent la méconnaissance et, de surcroît, l’instrumentalisation des textes coraniques[1], ont servi de base pour la propagation de cette dérive nihiliste se cachant derrière un voile religieux.
Si l’injonction à frapper d’obsolescence certains versets du Coran dits violents[2], est affligeante pour les musulmans, porter, sur ces mêmes versets, un regard nouveau et une réflexion nouvelle, est un impératif. La question de fond est de percevoir comment les rendre audibles, lisibles, et en pleine concordance avec la valeur première de l’islam : la miséricorde[3] et l’objectif suprême du message coranique qui est d’aider l’être humain à assumer la responsabilité de la gérance / lieutenance (khilāfa)[4].
Si telle est la valeur de l’homme et l’importance du projet qui lui est réservé dans le discours de la religion de la miséricorde, il sera alors d’une importance capitale que de s’interroger sur la place consacrée par le Coran à la liberté et, particulièrement, à la liberté de croyance [5].
En effet, c’est à cette interrogation que le présent texte entend apporter une réponse. Loin de prétendre à l’exhaustivité, le texte voudrait prouver que la liberté de croyance, dans le Coran, est une exigence intimement liée à la volonté et à la sagesse divine et ipso facto elle ne saurait être abrogée.
En raison du nombre élevé des versets relatifs à la liberté de croyances, leur catégorisation[6] en quatre unités autour de thèmes précis, m’a servi de cadre global pour mieux examiner, comprendre les tenants et les aboutissants du verset, traiter, comparer, analyser et évaluer la notion de liberté de croyance retenue dans le Coran.
-
La première unité de versets: la diversité est un Commandement divin
La conception coranique de l’existence repose fondamentalement sur deux faits :
-L’unité du Créateur, Dieu est Un dans son Essence, ses Attributs et ses Actions. Sans faille et Eternel (Samad), Dieu est en dehors du temps et en dehors de l’espace.
-La pluralité de la création : excepté Dieu, tout est changeant (mutaghayyir) et divers (muta‘adid). La diversité est sanctifiée comme étant la pierre angulaire de la Création. Il s’agit d’une diversité écologique, anthropologique et religieuse explicitement reconnue et évidente. Ces mesures sont appelées à être vécues comme des expressions multiples d’un message essentiellement et foncièrement unique, qui a été adressé par Dieu à des peuples vivant dans des lieux et des temps différents.
« A chacun de vous Nous avons assigné une législation et un plan à suivre. » (5/ 48)
Dieu a créé les êtres humains égaux dans leur humanité générale et semblables dans leurs caractéristiques primaires communes. Ils diffèrent à un degré ou à un autre au sein de l’environnement humain.
L’existence de communautés plurielles (chacune avec ses spécificités), exprime une volonté divine inéluctable. La diversité et la différence font donc partie du projet divin et persisteront jusqu’au jour de la résurrection. « Et si ton Seigneur avait voulu, Il aurait fait des gens une seule communauté. Or, ils ne cessent d’être en désaccord (entre eux,) » (11 /19). Qui songerait alors à effacer cette diversité ou à la réduire ?[7]
En outre, Dieu n’a pas créé le monde et sa diversité « en vain », mais pour nous éprouver. Dotés d’un libre arbitre et en faisant usage de nos facultés, nous passons cet examen tout au long de la vie.
« Béni soit celui dans la main de qui est la royauté. Et Il est capable de toute chose. Celui qui a créé la mort et la vie dans le but de vous éprouver ceux parmi vous qui feraient la meilleure œuvre. Et c’est Lui le Puissant, le Pardonneur » (67/1-2).
Dans cette optique, Il est impensable de refuser le droit au libre choix et d’imposer la foi. Cela contredit les principes fondamentaux de la religion qui ont énoncé la diversité, la dignité[8] de tout être humain et la justice au cœur du Message de son Livre Saint.
Au contraire, faire de la liberté de croyance un déterminant de l’ensemble des actions de l’être humain, c’est rendre tout être humain responsable de ses propres actions : l’individu est religieusement responsable des actes, des attitudes et des pensées fondés sur l’intention et la volonté. Sans la liberté, la responsabilité n’aurait aucun sens : « Les actions n’ont lieu que par les intentions et la personne obtient ce qu’elle a eu comme intention ».[9] L’être humain aura à rendre des comptes le jour du Jugement dernier, excepté celles accomplies sous la contrainte. En effet, la liberté de croire ou de ne pas croire, la liberté d’entreprendre, celle d’opinion et bien d’autres lui sont ainsi reconnues.
Ceci dit, l’homme doit être conscient que sa personne n’est pas la mesure de toute chose et que son monde ne constitue qu’une infime partie de la Création. Cette condition humaine est mise en exergue par le Coran : « Vous n’avez acquis qu’une infime partie du savoir » (17/85).
Il est donc clair que la reconnaissance et le respect de la pluralité des chemins, des cultures, des religions et ce qui en découle en termes de liberté, sont une vérité coranique non abrogeable.
Les Prophètes eux-mêmes n’ont pas été autorisés à guider leurs peuples par la contrainte. La guidance ne saurait prendre appui sur la coercition.
2-La deuxième unité de versets: la mission des Prophètes est la transmission de la vérité
Malgré la perfection et la justice des Prophètes[10] , leur mission est bien définie par le texte coranique.
« Nous t’avons envoyé avec la Vérité en tant qu’annonciateur et avertisseur, Il n’est pas une nation qui n’ait déjà eu un avertisseur. »(35/24).
La mission désignée au Prophète Mohammed est celle d’annoncer l’islam comme une religion qui s’inscrit dans la continuité de toutes les religions abrahamiques. Il est chargé de rappeler que le principe du monothéisme est le fondement de toutes les religions et d’exhorter ses adeptes à croire en tous les Messagers qui l’ont précédé. Dans la sourate Al-Baqara (2/129) l’invocation[11] faite par le Prophète Ibrahim et son fils Ismail après la construction de la Kaaba énonce les niveaux de la mission du Messager :
-transmettre la Parole divine aux gens : »il récite devant eux les Signes de Dieu » ‘’يَتْلُو عَلَيْهِمْ ‘’آيَاتِكَ
-enseigner et expliciter le sens de la Parole divine « il leur enseigne le Livre« يعَلِّمُهُمُ الْكِتَابَ » en expliquant ce qui leur parait ardu à comprendre et en détaillant ce qui est énoncé de façon globale.
-enseigner la Sagesse الحكمة« « c’est-à-dire la connaissance utile accompagnée des bonnes actions.
-purifier « يُزَكِّيهِمْ« leurs âmes des vices de la parole, de l’action et de la croyance par une éducation spirituelle et morale[12].
En sa qualité de modèle universel et en son rôle exclusif de transmetteur, le Prophète indique la voie du juste milieu afin de forger une société juste et pieuse. Il n’a pas à se soucier de l’acceptation ou du refus de son message.
« Et s’ils se détournent, Nous ne t’avons pas envoyé pour être leur tuteur : tu n’es chargé que de transmettre le message » (42/48)
Le Prophète responsabilise : “Celui qui fera un bien du poids d’un atome le verra et celui qui fera un mal du poids d’un atome le verra.” (7-8)
La méthode à suivre est celle déjà initiée par les Messagers et les Prophètes précédents .Elle est définie ainsi par le Coran : « Appelle les gens au sentier de ton Seigneur par la sagesse et la bonne exhortation. Et discute avec eux de la meilleure façon. Car ton Seigneur connait le mieux celui qui s’égare de Son sentier et c’est Lui qui connait le mieux ceux qui sont bien guidés » (16/125).
Dieu a mentionné dans le Coran les revendications des polythéistes, leurs idées et leurs soupçons avec leurs charges d’infidélité, de méchanceté et de laideur, sans jamais ordonner de couper les langues de ceux qui parlaient, ni de les tuer. Au contraire Il répondait à ces aberrations avec des arguments et des preuves.
La sagesse, la bonne exhortation et la responsabilisation[13] constituent donc l’attitude digne d’un Messager de Dieu. Sans blesser les gens ni les intimider, le Prophète ne doit pas être dur. Il doit faire preuve d’indulgence et de patience :
« Mais si tu étais rude, au cœur dur, ils se seraient enfuis de ton entourage » (3/159)
En lui enseignant la bienfaisance, le Coran a averti le Prophète des risques de la controverse/ jadal au cas où il y est contraint. Ce dernier recours ne doit pas amener le dialogue à se transformer en altercation /mirā’ conduit par « la volonté de discréditer le discours d’autrui en insistant à montrer ses défauts et n’ayant pour objectif que d’outrager et humilier l’interlocuteur ». [14] Le commandement divin est clair « Ne leur tiens donc pas rigueur, exhorte-les, et dis-leur des paroles convaincantes ». (4/3).
Le verset (45) de la Sourate Qāf mentionne clairement qu’il n’appartient aucunement au Prophète de contraindre les gens à croire «Nous savons mieux ce qu’ils disent. Tu n’as pas pour mission d’exercer sur eux une contrainte. Rappelle donc, par le Coran celui qui craint Ma menace. Tu n’as pas pour mission d’exercer sur eux une contrainte » (50/45) .Celle-ci est en contradiction avec les valeurs défendues par le Coran.
L’adhésion des gens et leur bonne guidance n’entrent pas dans la mission du Prophète. Dieu seul connaît ceux qui sont disposés à la bonne guidance et ceux qui ne le sont pas. « Ce n’est pas à toi de les guider vers la bonne voie, mais c’est Dieu qui guide qui Il veut » (2/272).
Le Coran appelle le Prophète à ne pas se sentir responsable si le message divin est rejeté. Il ne lui appartient ni de guider les gens vers la bonne voie ni de les contraindre à croire. C’est contraire aux valeurs coraniques. La conversion doit être une décision personnelle régie par une conviction ferme et un choix libre : « La vérité émane de votre Seigneur. Que croie celui qui veut, et dénie celui qui veut » (18/29)
Ces verbes au mode impératif ḏakkir (rappelle) balliġ (transmets)asda’(expose clairement) anḏir (avertit) baššir (annonce la bonne nouvelle) cités dans le Coran à plusieurs reprises, définissent le rôle du Prophète . En sa qualité de témoin et de transmetteur qui conseille le convenable et déconseille l’inconvenant, il n’a pas à user du contrôle et de la coercition. .
3-La troisième unité de versets: la contrainte n’est pas à la mesure des grandes fins de la création .
Les versets coraniques abondent dans le sens de la liberté .Comme il est susmentionné, la liberté humaine est l’une des valeurs suprêmes de l’Islam et l’un des objectifs supérieurs (maqāssid) de ses enseignements. Un des rôles les plus importants de la foi monothéiste c’est, qu’en liant le croyant à Dieu, elle le libère de toute forme de servitude .Dans le Coran le nombre de versets qui défendent et protègent la liberté de croyance et qui la considèrent comme l’essence de l’être dépassent les 200 versets.
Ce nombre considérable de versets a été révélé pour souligner la liberté de l’homme de choisir ce qu’il croit et de ne pas le forcer à adopter une croyance ou à la changer .Ses choix restent absolus .La croyance est une affaire humaine spéciale entre l’homme et son Créateur.
A la tête des versets qui soulignent la liberté de croyance vient le verset de la sourate Al-Baqara « Nulle contrainte en religion Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement »(2/256)
Le verset (2/256) comporte à la fois une interdiction ferme de contraindre une personne à se convertir et une négation catégorique de la possibilité de la foi obtenue par la force.[15]
Ceci est rendu explicite pour deux raisons fondamentales :
-Premièrement : la non contrainte est justifiée définitivement par des versets clairs prouvant que la foi est le chemin de la vérité et que l’incrédulité est la voie du fourvoiement.
-Deuxièmement : le terme « contrainte » dans le verset est un nom indéfini. Précédé par une négation, il désigne dans ce cas un précepte général (hukm ‘āmm).
En effet, l’origine et l’essence de la religion dans le Coran est dans la soumission de l’âme. La foi est une question de cœur et de conscience qui ne peuvent être à la portée d’une quelconque forme d’exercice de la contrainte. Le fait que l’islam ne permet pas de forcer le musulman à accomplir ses rites et ses obligations est une traduction explicite de cette vision ancrée dans les textes.
En outre, si Dieu considérait que la foi pouvait se réaliser par la contrainte il aurait enjoint à ses Messagers de forcer les gens à croire. Au contraire, il a interdit au Prophète d’agir dans une telle direction «Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants? » (10/99). Les croyances ne peuvent être soumises à la coercition, même si cela relève d’un désir ardent du bien des autres « Et la plupart des gens ne sont pas croyants malgré ton désir ardent. »(12/103).
Plus qu’un commandement moral confié aux individus, la liberté de croyance est un droit prescrit et préservé par des sanctions divines. Il est donc illicite de contraindre les gens à embrasser l’Islam ou à y rester. La contrainte est contraire aux principes de l’épreuve (liberté et responsabilité), de la justice et de la foi. Elle contredit les instructions coraniques obligeantes .Elle ne génère point des croyants sincères mais des hypocrites imposteurs dont les paroles sont contraires à ce qu’ils pensent dans leur for intérieur.
Il est donc inconcevable de contraindre par la menace ou imposer par la terreur ou même par un simple regard inquisiteur ce qui, en principe , relève d’une adhésion intime et personnelle dans un acte totalement libre[16].En islam la coercition est complètement rejetée elle ne peut établir ni mariage, ni divorce ni vente ou autre transaction. Comment peut-elle alors établir une religion ?
En fait le Coran a entouré la liberté de croyance de plusieurs garanties[17] :
-Garantie de la religion elle-même qui considère la violation de ce droit comme une violation de la religion. La liberté de croyance n’est pas seulement un droit de l’homme, mais aussi un devoir et une nécessité. Son exercice est un devoir de dévotion ; tout manque est passible de sanction.
Ce passage coranique « Si Allah ne repoussait pas les gens les uns par les autres, les ermitages seraient démolis, ainsi que les églises, les synagogues et les mosquées où le nom d’Allah est beaucoup invoqué » (22/40) fait de la défense de la liberté religieuse la cause supérieure pour laquelle il peut être fait recours aux armes.
.-Garantie méthodologique concrétisée par :
*l’appel du Coran à libérer les esprits de la domination des caprices et des désirs qui restreignent la pensée « As-tu vu la personne qui a pris sa passion pour divinité? Ou alors, est-ce toi qui vas lui être garant? » (25/43).
*Son déni véhément de ceux qui se sont donnés une autorité extérieure qui leur trace ce qu’ils doivent penser et faire « Non, (ils) disent: “ nous avons trouvé nos ancêtres sur une religion. Et certainement nous atteindrons la guidée en suivant leurs traces». (43/22)
*L’établissement de sanctions pour ceux qui imposent des restrictions à leur raison. L’homme est fortement appelé à utiliser les moyens de connaissance, de jugement et de décision « Et ils disent : “Si nous avions écouté ou compris, nous ne serions pas parmi les gens de l’enfer“. » (67/10)
-Garanties punitives de l’au-delà si la personne viole son devoir d’user de sa raison et livre la maitrise de sa vie aux autres (dirigeants, traditions, sectes, cheikhs…) . Elle doit en porter le fardeau de la négligence de ce qui lui a été octroyé « Et quand tout sera accompli, le Diable dira: “Certes, Allah vous avait fait une “promesse de vérité”, tandis que moi, je vous ai fait une promesse que je n’ai pas tenue… Ne me faites donc pas de reproches; mais faites en à vous-mêmes… Certes, un châtiment douloureux attend les injustes » (14/22).La responsabilisation est la plus grande garantie de l’exercice effectif de la liberté.
-Garanties légales par l’interdiction de l’inquisition. Seul ce que le croyant déclare est pris en considération , indépendamment de ce qui est dans sa conscience .Il a le droit de manifester sa croyance religieuse dans la pratique, de la défendre et de critiquer les croyances qui la contredisent y compris les croyances islamiques. Le Coran rapporte de nombreuses conversations dans lesquelles des personnes d’autres religions expriment leurs opinions sur leurs croyances et discutent avec ceux qui s’y opposent et critiquent ce qui leur est contemporain des croyances islamiques. Elles n’ont été soumises à aucune contrainte à cause de cela. Aucun rapporteur ou historien n’a mentionné que le Prophète a contraint une quelconque personne à embrasser l’Islam, ou qu’il a acquiescé à cela[18] .
Ceci dit, les anciens juristes ont considéré que le verset (2/256) est abrogé[19] par :
– deux autres versets de la Sourate At-Tawbah :
-Le verset du Sabre (9/5) « Lorsque les mois d’interdiction seront écoulés, tuez les Polythéistes là où vous les trouvez, attrapez-les, cernez-les, et guettez-les dans toute embuscade ».
« فَإِذَا انسَلَخَ الأَشْهُرُ الْحُرُمُ فَاقْتُلُواْ الْمُشْرِكِينَ حَيْثُ وَجَدتُّمُوهُمْ وَخُذُوهُمْ وَاحْصُرُوهُمْ وَاقْعُدُواْ لَهُمْ كُلَّ مَرْصَدٍ«
-Le verset de la jizya (9/29) « Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce qu’Allah et Son Messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils versent la capitation par leurs propres mains, en état d’humiliations ! »
« قاتِلُوا الَّذِينَ لَا يُؤْمِنُونَ بِاللَّهِ وَلَا بِالْيَوْمِ الْآخِرِ وَلَا يُحَرِّمُونَ مَا حَرَّمَ اللَّهُ وَرَسُولُهُ وَلَا يَدِينُونَ دِينَ الْحَقِّ مِنَ الَّذِينَ أُوتُوا الْكِتَابَ حَتَّىٰ يُعْطُوا الْجِزْيَةَ عَن يَدٍ وَهُمْ صَاغِرُون»
– un hadith du Prophète qui dit : « Il m’a été ordonné de combattre les hommes jusqu’à ce qu’ils témoignent qu’il n’est de divinité que Dieu et qu’ils croient en moi [en tant que Prophète de Dieu] et en ce que j’ai apporté »[20]
Il est à noter que le verset (2/256) figure dans une sourate médinoise[21].Le contexte est donc bien loin d’être celui de la faiblesse de la jeune communauté musulmane[22]. En plus, ce verset est placé après les versets (190-194) puis les versets (216-217) de la sourate Al-Baqara où le combat est explicitement mentionné. Ceci rend problématique la question de son abrogation .En effet, si l’objectif du combat était la conversion de tout un chacun pourquoi alors revenir sur ce qui a été annoncé auparavant ? N’est-ce pas une contradiction ?[23]
Mis dans le cadre des versets (9/ 1-15), le verset fait ressortir une atmosphère générale de guerre. Le sujet et le contexte réfèrent aux polythéistes de la péninsule[24], les tribus qui leur sont alliées, les hypocrites et ceux qui parmi les juifs se sont associés à eux. Ce sont avant tout des guerriers qui ont violé les pactes conclus avec le Prophète .Ils ont tenté de l’assassiner et ont planifié un coup d’État religieux à travers la mosquée Al-Dirār[25].
La spécification se trouve dans la parole Divine qui dit « à l’égard des associateurs avec qui vous avez conclu un pacteالى الذين عاهدتم من المشركين » (9/1)
Les versets (9/ 2-3) n’appellent pas à leur extermination comme il est prétendu par certains commentateurs, mais préviennent qu’ils ne pouvaient plus habiter la péninsule .Le délai fixé est de 4 mois. S’ils ne la quittent pas ils seront exposés au combat.
Deux exceptions sont faites dans les versets (9/4 et 6).
-Celle du verset (4) concerne les polythéistes qui ont établi un pacte à durée déterminée et ne l’ont pas rompu : le pacte conclu ne prend pas fin mais, il ne sera pas renouvelé pour les polythéistes de la péninsule.
-Celle du verset (6) concerne le cas du polythéiste guerrier qui demande la sécurité pour entendre la parole de Dieu .Un délai doit lui être accordé et le verset précise « puis fais-le parvenir à son lieu de sécurité ». Il est clair qu’il n’y a là aucune indication de contrainte en religion. Alors, si l’incrédulité était la cause réelle de la guerre, pourquoi accorder cette chance à un polythéiste guerrier ?
L’objectif n’est donc pas forcément de tuer les polythéistes à cause de leur incrédulité : ils peuvent choisir de ne pas se convertir à l’islam mais, ils seront expulsés de la péninsule. Le verset (9/ 5) évoque aussi la possibilité de leur emprisonnement « capturez-les ». Or, les prisonniers[26] selon les termes du verset (47/4) peuvent être relâchés « Enfin, lorsqu’ils auront abandonné le combat et ses lourdeurs (les armes et le matériel nécessaire),… (Laissez-les) soit comme une faveur (sans contre-valeur فَإِمَّا مَنًّا بَعْدُ) ou bien comme une rançon (contre une valeur وَإِمَّا فِدَاء) ».Dans ce cas les prisonniers polythéistes seront relâchés hors de la Péninsule[27].
En d’autres termes, Nul ne doit être tué parce qu’il est non-musulman, mais uniquement pour son agression contre l’Islam.
Le hadith qui dit : « Il m’a été ordonné de combattre les hommes jusqu’à ce qu’ils témoignent qu’il n’est de divinité que Dieu et qu’ils croient en moi [en tant que Prophète de Dieu] et en ce que j’ai apporté » a conduit des juristes à conclure qu’il abroge le verset« Nulle contrainte en religion ! » . D’où l’obligation de combattre les gens pour les conduire à se convertir à l’islam.
Or, si tel était l’objectif du combat contre les polythéistes, le Prophète aurait –il pu dire quelques jours avant sa mort: « Faites sortir les polythéistes de Jazīrat al-‘arab » ?[28] Ainsi, se trouve confirmée la thèse des juristes qui ont insisté sur la portée restreinte et non générale de ce hadith[29] . En effet, dans le même hadith rapporté par an-Nassā’ï [30] le mot « المُشرِكِيْن« (« les polythéistes ») prend la place du mot « النَّاس« (« les hommes »).
Donc à l’expiration des 4 mois, ces polythéistes guerriers ne peuvent plus être acceptés sur la terre de la péninsule. Par contre, les autres polythéistes et les Gens du Livre avaient toujours le droit de résider dans Dār al-Islām tout en gardant leur religion. Le verset (9/5) indique donc une mesure spécifique à la région de la Péninsule arabique.
Le même contexte (complot et guerre) s’applique au verset de la jizya (9/29).
« Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce qu’Allah et Son Messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils versent la capitation par leurs propres mains, en état d’humiliation ! »
Il est clair ,comme susmentionné, que l’ordre est donné aux musulmans de se délier de leurs engagements et de combattre les polythéistes qui ont rompu unilatéralement le traité de non-agression avec le Prophète(la trêve de Ḥudaybiyya)tout en projetant de lui faire la guerre .Mais qu’en est –il des Gens du Livre cités dans le verset?
L’exégèse classique affirme que la totalité du verset (9/29) concerne les Gens du Livre. C’est un argument scripturaire qui fixe leur statut et leur sort .Il vient annuler toutes les valeurs de tolérance imposées par d’autres sourates dans les relations avec les Gens du Livre prônant une guerre permanente contre eux jusqu’à l’établissement de la domination des musulmans. Les minorités religieuses du fait de leur statut de ḏimmis (protégés / sous la protection) sont obligés de verser annuellement l’impôt ou la jizya.
Cependant, l’examen de cette interprétation à la lumière du Coran, soulève plus d’une interrogation quant à son exactitude. En effet, le verset dit à propos des guerriers concernés qu’ils «ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce qu’Allah et Son Messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité ».Or, selon le Coran , les Gens du Livre ne doivent être regardés ni traités de la même manière puisqu’ils «ne sont pas tous pareils » (3/113).Plusieurs versets font l’éloge de
– ceux qui croient sincèrement en Dieu et au Jour dernier
« Il y a parmi les Gens du Livre, une communauté qui aux heures de la nuit, récite les versets d’Allah en se tenant debout et se prosternent. Ils croient en Allah et au Jour dernier, ordonnent le convenable, interdisent le blâmable et concourent aux bonnes œuvres. Ceux-là sont parmi les gens de bien. » (3/113-114)
-ceux qui interdisent « ce que Dieu et Son Messager ont interdit » Le mot son Messager ne signifie pas ici nécessairement le Prophète Mohammed. La preuve est ce qui est dit dans le verset précité (3/114). Ordonner le convenable et interdire le blâmable inclut l’interdiction de ce que Dieu et le Messager ont interdit, comme l’interdiction de l’injustice, du polythéisme, du mensonge, de la désobéissance et du meurtre.
– ceux qui croient en la religion de la vérité. Le verset (3/114) a mentionné dans leur description « Ceux-là sont parmi les gens de bien. {وَأُولَئِكَ مِنَ الصَّالِحِين} » . Il n’est pas logique de les compter parmi les justes, sauf s’ils professent la religion de la vérité sachant que la « religion de vérité » ne désigne pas seulement la religion du Prophète Mohammed même si elle est considérée la plus complète[31]. L’Islam est la religion de tous les Prophètes. Être musulman implique de reconnaître l’authenticité de toutes les religions révélées avant l’islam. Le Coran est explicite sur cet héritage : « Dites: «Nous croyons en Allah et en ce qu’on nous a révélé, et en ce qu’on a fait descendre vers Abraham et Ismaël et Isaac et Jacob et les Tribus, et en ce qui a été donné à Moïse et à Jésus, et en ce qui a été donné aux prophètes, venant de leur Seigneur: nous ne faisons aucune distinction entre eux. Et à Lui nous sommes Soumis» (2/136)
Notons que certains chercheurs modernes considèrent que le terme dīn al–ḥaqq dans le segment « et qui ne professent pas la religion de la vérité » ne désigne pas seulement l’islam. La preuve est que dans la littérature exégétique très peu d’auteurs ont limité le terme « religion » (dīn) dans le verset (3 / 19) « La religion, auprès de Dieu, est l’islam » à la révélation donnée au Prophète Mohammed. C’est plutôt le principe d’abandon confiant à Dieu qui est visé par ce verset.
En langue arabe le verbe dāna/yadīnu a plusieurs sens parmi lesquels on cite « être loyal » et « être fidèle à » d’où l’importance de l’interprétation qui considère le verbe wa lā yadīnnūna, désigne la non observance du devoir de préserver les pactes et les contrats exemptes de fraude, de trahison et de tromperie .De son côté, le mot dīn a lui aussi plusieurs significations parmi lesquelles on retient tradition et coutume .En ce sens « dīn al–ḥaqq »désigne « la coutume véritable » ce qui donne au segment « wa lā yadīnnūna dīn al–ḥaqq » la signification suivante: ceux qui ne respectent pas « la coutume véritable » de s’engager réellement à honorer les traités et les accords[32]
Si le traité de trêve est signé par les Qurayshites « la coutume véritable/dīn al–ḥaqq »suppose qu’il soit aussi respecté par tous leurs alliés. Ainsi se trouve expliqué le fait que certains polythéistes (transgresseurs du pacte de non-agression) et certains Gens du Livre l’ayant rompu par solidarité d’alliance soient réunis dans le même verset ordonnant de les traiter de la même manière : ils sont des agresseurs. Mais rien dans tout ce qui a été avancé ne laisse entendre une déclaration de guerre permanente contre les Gens du Livre en général.
Nous ne trouvons pas un seul verset dans le Coran qui autorise l’agression « Combattez dans le sentier d’Allah ceux qui vous combattent, et ne transgressez pas. Certes. Allah n’aime pas les transgresseurs! »(2/190) (Verset qualifié de muhkam, sans équivoque). L’ouverture des hostilités qualifiée dans le verset d’« agression » ne peut muter en « jihad » et devenir un devoir. Transformer l’injustice en justice et la transgression en obligation légale est sans doute une œuvre politique destinée à justifier à la fois l’expansion de l’empire califal et la taxation des populations ainsi soumises.
En fait, et conformément aux préceptes du Coran, Il est commandé aux musulmans de lutter légitimement pour se défendre et défendre leur religion. Ils sont tenus d’être justes et bienfaisants envers les non-combattants qui n’ont pas pris part aux agressions « Allah ne vous défend pas d’être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Allah aime les équitables » (60/8)
La sévérité contenue dans le verset (9/29) est strictement circonstanciée .Elle est dirigée vers ce groupe de guerriers qui doit être combattu jusqu’à sa reddition .Vaincus, ils seront astreints à reconnaitre que les mains des musulmans sont au-dessus des leurs et à verser « la capitation par leurs propres mains, en état d’humiliation ! ». Dans ce verset (9/29) en particulier, il est commandé de lutter légitimement pour se défendre et défendre sa religion. L’ordre du combat est donné uniquement contre ceux qui parmi les Gens du Livre ont attaqué les musulmans.
Il est d’une grande importance de s’arrêter à la question de la jizya. Celle-ci a servi de titre au verset dit abrogeant des versets coraniques qui précèdent et qui appellent à traiter les Gens du Livre de la meilleure manière.
Des juristes et des chercheurs contemporains ont contesté l’interprétation classique qui fait de la jizya un tribut de capitation. Se basant sur sa racine « jazā » qui signifie rétribuer, le terme jizya aurait le sens de rétribution en compensation de la vie sauve et de la protection. La jizya correspond donc au tribut que devait payer la tribu vaincue à ses vainqueurs en signe de soumission .C’est une pratique courante dans le monde bédouin de l’époque. La définition mentionnée est dans cette optique la plus correcte en raison de sa cohérence avec les versets coraniques contenant les termes dérivant de cette même racine « jazā ». Le nom «al-jazā’ » ne peut pas être défini par « impôt » ou « taxe » sinon comment expliquer ces versets :
« Le voleur et la voleuse, à tous deux coupez la main, en punition (jazā’an) pour ce qu’ils ont fait comme châtiment de la part d’Allah. Allah est Puissant et Sage (Possesseur de la Sagesse et du Jugement » (5/ 38))
« Allah donc les récompense pour ce qu’ils disent par des Paradis sous lesquels coulent les ruisseaux, où ils demeureront éternellement. Telle est la récompense (Jazā’u) des bienfaisants. » (5/85) ?
La définition de la jizya, en tant que tribut de « capitation », n’a pas de fondement dans le texte coranique .Elle est vraisemblablement venue suite à l’imposition illégale des taxes à tous les Gens du Livre. Par conséquent, la jizya ne peut être qu’un « tribut de capitulation » payé une seule fois, au moment où les vaincus (transgresseurs du pacte) se soumettaient aux vainqueurs musulmans et la versent « par leurs propres mains, en état d’humiliation ! » .
Les règles de vexations édictées par certains exégètes dans une surinterprétation du dernier segment du verset «par leurs propres mains, en état d’humiliation » ont été réfutées par des commentateurs anciens et vigoureusement critiquées par des savants contemporains dont Mitwallī Ibrāhīm Sālaḥ [33] pour qui :
– le mot « main ‘’ne peut être pris dans le sens littéraliste mais dans le sens de la capacité comme il l’est dans les versets ci-après:
« ……et rappelle-toi David, Notre serviteur, doué de forces ( ذَا الْأَيْدِ ) »(17/38)
« Et rappelle-toi Abraham, Isaac et Jacob, Nos serviteurs puissants et clairvoyants ( أُوْليِ الْأَيْدِي وَالْأَبْصَا ر)» (38/45).
De là, le sens du segment «jusqu’à ce qu’ils versent la capitation par leurs propres mains… , حَتَّىٰ يُعْطُوا الْجِزْيَةَ عَنْ يَد » serait « jusqu’à ce qu’ils donnent la jizya et qu’ils soient capables de la donner ».Selon cette lecture le verset parle de la capacité des Gens du Livre à payer la jizya,et non pas la capacité des musulmans à les humilier.
– le sens d’humiliation donné par l’exégèse classique au terme » « saġār » [34] « et traduit par en état d »humiliation «وهم صاغرون» ne pourrait être correct, car si le terme « saġār » est le synonyme d’humiliation , le segment du verset(27/ 37)comportant ce même terme « وَلَنُخْرِجَنَّهُم مِّنْهَا أَذِلَّةً وَهُمْ صَاغِرُونَ » serait « et nous les en expulserons tout humiliés et humiliés » ce qui est incorrect et insensé.
Le « saġār » désignerait dans cette optique la défaite ou la faiblesse matérielle qui par elle-même n’entrainerait pas systématiquement l’humiliation. Un combattant peut être vaincu ou tué sans pour autant perdre son estime de soi et sa dignité.
Le sens le plus probable selon Mitwallī Ibrāhīm Sālaḥ serait : Combattez-les jusqu’à ce qu’ils donnent la jizya et qu’ils soient capables de la donner, et pardonnez s’ils ne sont pas en mesure de rendre le tribut, ou faites-en une dette jusqu’à ce qu’ils soient dans l’aisance. Cette interprétation est la plus cohérente avec la diction divine « Et Ma miséricorde embrasse toute chose » ( 7/156) .En effet, l’interprétation classique rend le Coran silencieux sur la décision à prendre dans le cas où les vaincus sont incapables de verser le tribut (situation qui peut se produire) tandis que l’interprétation mentionnée prévoit une réponse qui est plus appropriée à la religion de la miséricorde.
Si le Coran déclare accepter la paix avec les polythéistes « s’ils inclinent à la paix جنحوا للسلم » (8/61) avant d’être vaincus dans le combat sans restriction ni condition[35] , c’est à fortiori qu’il ne stipule pas d’impôt ou autre chose pour les Gens du Livre agresseurs s’ils inclinent à la paix dans les mêmes conditions[36].
Prenant en compte tous ces détails, force est de constater qu’ il n’est pas logique que le verset de la jizya soit abrogeant des versets tolérants envers les Gens du Livre vu qu’il ne s’écarte pas du cadre général du statut spécial attribué par le Coran aux Gens du Livre, en particulier les Chrétiens. Il en est plutôt une extension.
En conclusion la jizya est purement une amende ou une compensation pour le préjudice matériel ou moral que les musulmans ont subi de la part de certains des Gens du Livre. Pour cette raison, le verset (9/29) ne peut être appréhendé de façon inconditionnelle.
La jizya s’apparente donc à la compensation garantie par toute législation à la suite d’un manquement par l’une des parties aux obligations qui y sont requises, sans aucun lien avec leur croyance ou non ou incroyance. La jizya n’a rien d’une punition infligée aux Gens du Livre pour leur adhésion à leur religion et leur refus d’embrasser l’Islam d’où l’interdiction de leur imposer de choisir entre la conversion et le payement de la jizya[37]. Dieu a clairement résolu le problème de la foi et de l’incrédulité « Quiconque le veut, qu’il croie, quiconque le veut qu’il mécroie» (18/29)
Partant des versets (4) et (7) de la sourate At-Tawbah qui interdisent explicitement d’offenser les polythéistes faisant alliance avec les musulmans peut-on admettre que le Coran permet de combattre et de tuer les Gens du Livre pacifiques qui n’ont pas pris part aux agressions ? N’est-ce pas le Coran lui-même qui a dit « Et tu trouveras certes que les plus disposés à aimer les croyants sont ceux qui disent: «Nous sommes chrétiens». C’est qu’il y a parmi eux des prêtres et des moines, et qu’ils ne s’enflent pas d’orgueil. » (5/ 82)
N’est-il pas légitime de considérer la thèse de l’abrogation du verset (2/256) par le verset de la jizya soutenue par l’exégèse traditionnelle comme une surinterprétation hors texte dont le but est de soumettre le verset (9/29) à la volonté politique et à la logique d’exploitation financière mises en place bien après le Coran par le pouvoir califal impérial ?
Il en est de même pour la thèse de l’abrogation basée sur le hadith cité plus haut .Un nombre de juristes ont insisté sur le fait que le hadith ne peut abroger le Coran. Il faut que l’abrogeant ait la même force que l’abrogé. Or, les hadiths n’ont pas la force du Coran. Pour Ibn Taymiyya, un hadîth à lui seul ne peut pas abroger un verset du Coran ; c’est seulement un verset coranique qui peut abroger un autre.
En outre, l’abrogation peut porter sur les prescriptions, les obligations, les interdictions et les sanctions en rapport avec les choses temporelles. Mais ,elle ne peut porter sur les informations(akhbar/dogmes) transmises par le Coran portant sur ce qui fut dans le passé, sera dans l’avenir, ce qu’il nous a promis, les récits des nations précédentes, ce qui est du paradis, de l’enfer, de la résurrection et de la création des cieux et de la terre. Il en est de même des qualités de Dieu[38].
Dieu ne peut informer d’une chose et de son contraire c’est dit dans le Coran: « Qui est plus véridique que Dieu en parole? » (4/87) Des Ulémas réformistes précisent qu’informant sur un dogme, le verset (2/256) ne peut être abrogé. Par ailleurs, le rôle de la Sunnah est de clarifier le Coran et à ce titre elle ne peut abroger le texte qu’elle clarifie. En plus, la Sunnah est temporelle, elle ne peut abroger le Coran qui est intemporel.[39]
On peut même aller plus loin et dire que les plus grands ouvrages d’exégèse ont été rédigés par des sunnites, tenants du dogme du « Coran incréé »[40] alors que les significations de l’abrogation qu’ils ont soutenues signifient un changement. Ceci pousse à s’interroger : comment serait-il correct d’affirmer l’abrogation et dire en même temps que le Coran est incréé ? N’y a-t-il pas là une mentalité de fragmentation qui dit une chose et transcende ses exigences logiques ?
Contester le principe mu’tazilite du « Coran créé » ne suppose- t-il pas nier l’abrogation/invalidation et considérer tout ce qui est prétendu avoir été abrogé comme produit des efforts d’al-mujtahidīn et non des règles qui s’appliquent au discours coranique ?
Défendre le dogme du Coran incréé implique logiquement de traiter les textes « contradictoires » ou « équivalents » comme textes de portée générale/absolue et des textes particularisés/restreints et assigner ensuite le général au particulier et l’absolu au restreint. De cette manière la question d’abrogation /invalidation affectant le statut incréé de la parole divine ne se pose plus.
4-La quatrième unité de versets : arguments prétendus en faveur de l’usage de la contrainte
Les versets compris dans cette unité peuvent être répartis en deux catégories :
- -Les versets de l’apostasie.
- -Les versets du combat et du jihad.
- Je traiterai seulement la première catégorie.
Il est à noter que ce qui a été mentionné dans les paragraphes précédents sur la liberté de croyance (et qui fait partie des objectifs majeurs de l’Islam[41] et de ses règles générales ahkām kulliyya) constitue une base pour l’approche des versets de l’apostasie.
On parle d’apostasie Riddah[42] quand :
-un homme(ou femme) dûment musulman (musulmane) affirme ouvertement quitter l’islam et embrasser une autre religion.
– un musulman(ou musulmane) qui tient une parole ou fait une action de mécréance majeure kufr akbar, et se considère toujours musulman (musulmane). Dans ce cas précis, il revient au qādhī ou au muftī d’établir une preuve juridiquement valable (iqāmat ul-hujja) et le déclarer apostat (murtadd).
Dans le Coran l’apostasie est certes un acte très grave passible dans l’au-delà d’une énorme sanction. La question qui se pose est de savoir si l’apostasie est passible d’une sanction temporelle ?
L’apostasie est mentionnée dans plusieurs versets (au moins dans treize endroits).
Certains versets en parlent sans la nommer. C’est le cas des versets (3/86-90) « Allah guiderait-Il des gens qui n’ont plus la foi après avoir cru …Allah ne guide pas les gens injustes. Ceux-là, leur rétribution sera qu’ils auront sur eux la malédiction d’Allah …Ils y demeureront éternellement. …En vérité, ceux qui ne croient plus après avoir eu la foi…, leur repentir ne sera jamais accepté… »[43]
Dans d’autres versets la riddah est explicitement indiquée « Et ceux qui parmi vous abjureront leur religion et mourront infidèles, vaines seront pour eux leurs actions dans la vie immédiate et la vie future. Voilà les gens du Feu: ils y demeureront éternellement. » (2/17)
Bien que condamnant vivement l’apostasie, les versets coraniques relatifs à la question ne prévoient aucune sanction terrestre « Et nul doute que dans l’au-delà, ils seront les perdants » (27/ 109)
Aucun verset ne laisse entendre qu’il faudrait tuer l’apostat .Le verset (2/217) qui parle de la mort de L’apostat « Et ceux parmi vous qui adjureront leur religion et mourront infidèles, vaines seront pour eux leurs actions dans la vie immédiate et la vie future. Voilà les gens du Feu : ils y demeureront éternellement. » évoque clairement le châtiment en l’au-delà mais, n’indique rien sur les faits conduisant à sa mort.
Dans le verset (5/54) Dieu menace de remplacer les apostats qui négligent l’établissement de ses lois par d’autres qui se soumettront à Lui et suivront ses commandements.
Les versets (3/72-73 ) qui relatent un fait qui existait à l’époque du Prophète ( celui de certains des Gens du Livre qui avaient l’habitude de croire puis de ne pas croire, afin d’introduire le doute dans le cœur des croyants) ne mentionne pas que le Prophète les a tués ni qu’il a tué ceux qui lui ont conseillé de le faire.
Même le verset (9/74) dans lequel Dieu affirme châtier «d’un châtiment douloureux en ce monde et dans l’autre » les apostats et leurs alliés qui ont proféré des paroles impies , ont renié la foi musulmane après l’avoir embrassé et ont ourdi un complot contre le Prophète , rien n’est indiqué quant aux douleurs qui leur sont infligées dans ce monde .
Bien qu’il soit question d’un coup d’État contre le pouvoir et la religion, le jihad qui est commandé dans ce verset ne dépasse pas le jihad de la parole, de la réprimande et de l’interdiction. En effet, le Prophète n’a pas combattu ces gens avec l’épée. Il leur a fait honte à travers un sermon dans sa mosquée et les en a expulsés.
En plus, le Coran a présenté dans des textes (beaucoup moins nombreux que ceux de l’apostasie) des cas de péchés (moins horribles que la riddah) et a tenu à clarifier les punitions qui leur sont réservées en ce monde, alors si l’apostasie avait eu une punition ici-bas, l’endroit aurait été approprié dans ces versets pour la mentionner. Ne pas la mentionner pourrait être considéré comme une présomption forte et prépondérante sur l’absence de celle-ci.
Ces raisons parmi beaucoup d’autres ont poussé des Ulémas et des intellectuels à affirmer que le verset « Nulle contrainte en religion » (2/256) s’impose et fonde les bases coraniques de la liberté de croyance. Seul Dieu se réserve le droit de juger de la foi de ses créatures et de les punir.
Quant aux hadiths du Prophète, il est apparent que ceux qui établissent la liberté de croyance restent peu connus[44]. Les juristes qui défendent la peine capitale s’appuient sur deux hadiths pour justifier la mise à mort de l’apostat dont le degré d’authenticité de l’un est objet de controverses, tandis que l’autre est interprété par beaucoup de juristes dans le sens de la Hiraba[45]
Donc, l’apostasie dont il est question-là est l’apostasie pure, c’est-à-dire le changement de la croyance et ce qui en découle en termes de pensées, perceptions et comportements sans trahir le groupe ou le quitter pour rejoindre ses ennemis à quelque titre que ce soit.
Il n’est pas sans intérêt de rappeler deux choses :
-les guerres d’apostasie menées par Abou Bakr ont eu lieu contre certaines tribus qui s’étaient rebellées après la mort du Prophète sous prétexte que l’obéissance n’est due qu’à lui. C’est en fait une dissidence qui menace l’Etat naissant, d’où la nécessité de le préserver et d’assurer sa stabilité.
– Un critère essentiel retenu par les savants du hadith pour distinguer le hadith authentique de celui qui ne l’est pas c’est sa non-contradiction avec le Coran et la tradition prophétique.
Comme il a été mentionné plus haut, l’authenticité du hadith cité par ‘Ikrima et transmis par Ibn Abbas: « Quiconque change sa religion, tuez-le. » est contestée. A part les réserves sur la personne de ‘Ikrima, la narration d’Ibn Abbas rapportée par certains compilateurs des hadiths dont Al- Bukhārī, n’a pas été reprise par Muslim,[46] ce qui diminue sa portée.
Ce hadith ne va pas seulement à l’encontre des versets de la paix, de la liberté et de la reconnaissance de la pluralité, mais aussi à l’encontre de la tradition prophétique. Les Ulémas sont unanimes à dire qu’au aucun apostat n’a été exécuté du vivant du Prophète.
Le second hadith a été rapporté par Abdullah Ibn Masʿūd. Le hadith précise que « le sang d’un musulman, qui accepte qu’il n’y a d’autre Dieu que Dieu et que je suis Son Prophète, ne peut être versé que dans trois conditions : en cas de meurtre, pour une personne mariée qui s’adonne au sexe de manière illégale, et pour celui qui s’éloigne de l’islam et quitte les musulmans ».
En plus qu’il ne bénéficie pas selon certains d’une large chaine de transmission, les mots du hadith n’indiquent pas de façon univoque l’apostat en général. Cet ajout de la part du Prophète « celui qui s’éloigne de l’islam et quitte les musulmans التارك لدينه المفارق للجماعة »ne peut être sans effet sur la décision, car dans les termes prophétiques cela signifie rébellion, désobéissance et guerre. C’est ce que laisse entendre une autre version du même hadith relaté par Aïcha la femme du Prophète où sont utilisés les termes suivants: « …et un homme qui sort, combattant Dieu et Son Messager »[47] En combinant les deux hadiths on se rend compte que les hadiths mentionnant la peine de mort ne visaient que « l’apostat guerrier » (al-muhārib) qui rejoint les ennemis du Prophète . L’apostasie à l’époque du Messager était associée à l’inimitié et à la guerre contre l’islam, ce qui équivaut à déclarer une rupture totale avec ce qui fait l’entité de la Oumma [48]. C’est un cas de “Hiraba”.
L’apostasie, comme une forme de pratique de la liberté de croyance, n’était pas connue à l’époque du Prophète. Ce dernier traitait donc d’un crime complexe où le politique se mêlait au juridique et au social vu le changement de loyauté et d’appartenance accompagnant systématiquement l’apostasie.
On peut objecter et dire que le Prophète a donné l’ordre d’exécuter six hommes[49]. En effet, Ces hommes appartenaient à la tribu de Banū ‘Urayna. Suite à leur conversion, ces hommes sont tombés malades .Le Prophète les a envoyés profiter du climat du Sahara et boire le lait des chamelles. Une fois guéris, ces hommes ont tué le gardien et ont apostasié. En fait, ces hommes n’ont pas été exécutés à cause de leur apostasie[50] mais, parce qu’ils avaient tué le gardien en le faisant souffrir par la crevaison de ses yeux.
Les clauses du pacte d’Al Houdaybiya donnent une autre preuve. En fait, le Prophète qui était en position de force n’a pas réfuté cette exigence des Qurayshites «Si un membre de Quraych se réfugie chez Mohammad sans l’autorisation de son maître, il sera renvoyé à La Mecque, tandis que si un partisan de Mohammad revient à La Mecque, il ne sera pas renvoyé à Médine »[51].
Le Prophète a donc accepté sans poser la moindre exigence de laisser partir toute personne qui abandonne l’islam. La question qui s’impose est la suivante S’il y avait une limite légale (حد شرعي), le Messager accepterait-il la condition susmentionnée ?
L’affirmation selon laquelle l’apostat est tué uniquement pour l’apostasie est en contradiction claire et inextricable avec le principe selon lequel il n’y a pas de contrainte en religion. Une bonne compréhension de la Sunnah du Prophète, montre qu’il n’y a pas de punition pour l’apostat dans ce monde tant qu’il ne s’implique pas dans des affaires qui sapent les fondements de la communauté et portent atteinte à la sécurité de l’Etat et de la société. L’apostat qui n’agit pas de la sorte devrait poursuivre sa vie quotidienne normalement sans crainte, Un nombre non négligeable de juristes, de chefs religieux et intellectuels musulmans sont de cet avis[52]. L’Etat à l’époque prophétique s’est étendu à plus d’une religion[53]
Il convient de noter que durant son califat, Umar Ibn Al-Khattāb a déclaré à propos de l’exécution d’apostats qui ont joint les polythéistes que s’il était présent, il les aurait emprisonnés[54]. De son côté ʿUmar Ibn Abd Al-‘Azīz, a ordonné – suite à un écrit adressé à lui au sujet d’apostasie d’un groupe de personnes – de replacer sur eux la jizya et de les laisser.[55] Certes, les deux hommes connaissaient le hadith « Quiconque change sa religion, tuez-le. ».Ils ne l’ont pas considéré comme étant une règle d’ordre général applicable dans toutes les situations.
On ne peut manquer d’indiquer que l’apostasie renvoie à une palette de situations vécues par la communauté comme un acte transgressif à travers lequel sont franchies des barrières réelles et symboliques : c’est l’appartenance dans son ensemble, et pas seulement le religieux, qui est en cause. L’Autre n’est plus celui qui est loin géographiquement ou celui devenu l’objet de la haine historique, mais il est dans le « nous » d’où un processus d’altérisation et des réactions violentes de rejet. Symbole de la menace et du désordre l’apostat est l’ennemi à éradiquer.
Conclusion
Pour conclure notons qu’il n’est pas étonnant que se multiplient, dans les sociétés qui portent encore l’héritage de l’humiliation coloniale et postcoloniale, les peurs et les réserves vis-à-vis de la liberté de religion. Ce type de liberté est souvent confondu avec l’idée de conspiration.
En outre, la peur n’est pas spécifique aux cercles traditionalistes ; elle est visible chez des milieux qui se considèrent libéraux ou même progressistes .Ceux-ci n’ont pas seulement peur de la liberté de croyance mais de la religion perçue comme le symbole de l’obscurantisme. La liberté de croyance se trouve ainsi, soumise à la pression des deux côtés. Attisée et manipulée par les pouvoirs politiques, cette double peur a servi de moyen peu coûteux et efficace pour faire taire les intellectuels agaçants et exclure les opposants politiques. Avec l’avènement du nommé « Etat islamique » et de son « jihad sacré »elle a fini par se transformer en une arme redoutable pour anéantir un grand nombre de musulmans et de non musulmans accusés d’infidélité.
Partant de là, dévoiler la réalité de la place accordée par le Coran à la liberté de croyance était l’objectif de cette modeste réflexion (qui ne relève pas d’un travail de spécialiste et ne prétend pas traiter les différents aspects de ce sujet épineux). D’après ce qui a pu être recueilli de détails et d’arguments le présent article a essayé d’approcher et de mettre en exergue que
– la liberté humaine est l’une des valeurs suprêmes de l’islam et l’un des objectifs supérieurs (maqāssid) de ses enseignements. La liberté de croyance est un droit prescrit et préservé par des sanctions divines.
– le Coran interdit de contraindre les gens à embrasser l’Islam ou y rester.
– la prétendue abrogation du verset « Nulle contrainte en religion » (2/256) n’a pas de fondement dans le Coran. L’abrogation comme invalidation n’est qu’un problème de compréhension .Ce n’est pas le sens que lui ont attribué les érudits dans les deux premiers siècles de l’hégire. Le principe d’abrogation, transformé en véritable doctrine (du nāsikh et mansûkh) n’est au fond qu’une création des juristes pour harmoniser des préceptes qui leur paraissaient « contradictoires. ».
-le Coran ne prévoit pas de sanction terrestre pour l’apostasie. Le châtiment appartient au Créateur en l’au-delà. C’est ce que confirme aussi la Sunnah authentique.
– la définition de la jizya en tant qu’impôt de « capitation » n’a pas fondement dans le texte coranique. Elle n’a rien d’une punition collective infligée aux Gens du Livre pour leur refus d’embrasser l’Islam. Ce n’est qu’un « tribut de capitulation » payé une seule fois au moment de la défaite par les groupes agresseurs en signe de soumissions aux vainqueurs musulmans.
Compte tenu de ces données Il ne fait aucun doute que les musulmans savants et intellectuels sont appelés à travailler sur plusieurs fronts pour relever les défis auxquels sont confrontés l’islam et les sociétés musulmanes d’où l’urgence d’accélérer et d’intensifier les efforts en simultané dans la direction de ces quelques pistes parmi tant d’autres :
-une nouvelle exégèse du Coran capable de surmonter les impasses de l’exégèse traditionnelle .Sans minimiser aucunement la valeurs des efforts déployés pour établir la science exégétique et la qualité des travaux que nous ont légués des éminents exégètes, il faut reconnaitre que cet héritage reste en grande partie adapté aux mondes et aux mentalités qui l’ont élaboré et ne peut répondre pertinemment aux exigences de la réalité complexe de notre temps qui ne sont plus celles de l’âge classique de l’islam .
Il n’est plus à démonter l’impact de certains aspects de l’exégèse traditionnelle dans la neutralisation des versets les plus ouverts et les plus tolérants du Coran et la prolifération de lectures dures et redoutablement mise en œuvre par des extrémistes dans l’usage de la violence meurtrière.
Il n’est plus admis d’agir en simples héritiers d’un bagage exégétique et de continuer à interroger le Coran avec le regard de nos ancêtres .Il y a certes une grande différence entre suivre l’exemple des éminents exégètes dans leur effort colossal d’explication du Coran et les imiter .Le premier cas se fonde sur la preuve et sur son authenticité le second sur le mimétisme et la reproduction tant discrédités et condamnés par le Coran lui-même.
Continuer à s’enfermer dans des interprétations et surinterprétations délivrées à l’identique depuis des siècles ne relève ni de la foi en la révélation ni de l’exercice de la raison auquel le Coran appelle sans relâche. Mettre fin à ce long abandon du Coran -hajr al-Qur’ān- par des générations d’exégètes, le traiter méthodologiquement à partir de son unité structurelle et travailler à l’entendre patiemment et attentivement est impératif pour porter un regard neuf sur son message et le libérer d’une surcharge exégétique figée. L’approche intratextuelle du Coran dite aussi Tafsîr al–Qur’ān bil–Qur’ān, est essentielle pour mettre en évidence la signification du Coran par et en lui-même, dévoiler sa position réelle sur des sujets qui ont été définis et arrêtés par les prédécesseurs (entre autres les questions de l’abrogation , du muhkam /l’explicite et du mutashabih/ l’équivoque et des hudûd/ peines légales prescrites par le Coran). Une telle approche répond à une double exigence : respect du Texte et devoir d’objectivité.
– la soumission du patrimoine du savoir islamique à la critique. Ce travail est urgent pour contourner deux orientations dont l’impact sur la pensée islamique est grave :
*La première est celle appelant à ne pas toucher ce patrimoine parce qu’elle y voit « le salut de la Oumma » .En lui donnant beaucoup de pouvoirs sur les humains, cette valorisation a atteint chez certains la limite de la révérence, réduisant toute recherche critique à une offense menaçant l’unité des musulmans, leur consensus et leur identité.
*La seconde est celle de ceux qui le tiennent pour responsable de tous les maux appelant à le boycotter si ce n’est le détruire.
Les deux tendances résultent d’une mentalité d’imitation qualifiée par des savants musulmans depuis le deuxième siècle de l’hégire par la mentalité des gens ordinaires qui n’acceptent ni révision ni critique, encore moins l’adoption d’un projet de réforme et de renaissance.
Si l’établissement d’un quelconque projet moderniste, en rupture totale avec le patrimoine, n’est ni possible ni souhaitable dans le monde arabo- musulman , le soumettre à une étude critique répondant aux progrès de la science et aux exigences des temps modernes est plus qu’une nécessité.
Dans cette optique poser et répondre à ces questions est d’une grande utilité : dans quelle mesure les sciences qui ont été construites autour du Coran émanaient –elles du Coran comme requis ? Le Coran que Dieu a qualifié de guide n’a-t-il pas le droit d’arbitrage dans la reconsidération de l’héritage qui a été établi comme base pour comprendre le Coran ?N’a-t-on pas besoin d’instituer une science de réexamen du patrimoine ʿlm ālmurāǧaʿātʿ afin de passer en revue critique ses théories, ses sources, ses modèles, ses approches et son histoire ?[56] Quiconque ne s’engage pas à revisiter et évaluer méthodiquement son héritage, il laisse le soin aux autres de le faire avec tout ce qui peut en résulter en termes de dénaturation de ses problématiques et de déformation de ses sujets.
L’idée de la prétendue « ‘immunité des générations et des siècles précédents » par rapport à l’impuissance des générations suivantes a laissé de nombreux effets néfastes. Or nous trouvons chez les Compagnons des quatre imams des écoles juridiques sunnites des opinions qui contredisent les positions de ces derniers. Ceux-ci n’y ont pas vu une dévaluation de leur statut. La critique était pour eux un enjeu épistémologique important et jamais un instrument de dénigrement ou d’insulte. Eux-mêmes ne se sont pas interdits de s’écarter des opinions des mujtahidins parmi les Compagnons du Prophète et leurs disciples .Pour eux le désaccord , utilisé à bon escient et géré de façon constructive ,comporte en lui la flamme de la vitalité. Pour cette raison ces éminents imams ont répudié d’avance tout esprit d’imitation aveugle.
-L’ijtihad dont la raison d’être est, en premier lieu, de répondre aux exigences de notre temps complexes et imprévisibles est un autre chantier de la pensée et de l’agir. Il réclame aujourd’hui une approche non fuyante fondée sur des bases épistémologiques nouvelles. L’évolution humaine, sociologique, scientifique, technologique et économique, amène sans cesse de nouvelles problématiques qui ne trouvent pas de réponses dans les sources scripturaires, ni dans la jurisprudence classique. La connaissance des priorités n’est plus possible à travers une seule spécialité. Leurs multiples facettes doivent être abordées à partir de plusieurs spécialités d’où la nécessité d’un travail multidisciplinaire réunissant aux côtés des juristes toutes les compétences (y compris les experts en sciences profanes) .Créer des institutions garantissant la continuité de ce travail (impossible à accomplir par des individus éparpillés)et leur indépendance sont parmi les moyens appropriés pour relever les défis auxquels sont confrontés aujourd’hui les sociétés arabo-musulmanes .Un tel ijtihad collectif aidera certes à retrouver le dynamisme, la vitalité créatrice et la vocation civilisationnelle de l’islam.
– L’éducation est un autre levier sur lequel les efforts doivent être centrés. La reconstruction des programmes de l’enseignement des sciences religieuses sur des fondements critiques est basique pour l’apprentissage de la pensée complexe qui dotera les apprenants des compétences nécessaires pour devenir sujets capables de « penser par eux-mêmes ». Sans apprendre à poser les questions du « comment » et « du pourquoi » ,communiquer, échanger et croiser les approches constructives ,il est impossible de former des mentalités aptes à générer une pensée religieuse et jurisprudentielle qui respecte les libertés tout en répondant aux défis d’un vivre ensemble fondé sur la reconnaissance de l’autre et la capacité d’articuler la singularité et l’être en commun.
- [1] Au nom du passé ou d’intérêts immédiats ↩
- [2] Demande formulée par les signataires du manifeste contre un « nouvel antisémitisme » publié 22 avril 2018 dans Le Parisien. ↩
- [3] Dieu se présente, à l’entrée de chaque sourate, comme le « Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux »,↩
- [4] Synonyme de droits et de devoirs tout en s’engageant dans le chemin de l’équilibre pour surmonter les épreuves de l’existence.↩
- [5] Notons que le Coran n’offre aucune classification des thèmes qu’il traite. Les différents éléments se rapportant à un même sujet sont disséminés un peu partout dans les sourates.↩
- [6] Les livres de Ibn Farhān Al Mālikī Hasan,( Hurriyat al-iʿitqād fī Al-Qurʾān al-karīm was-Sunna an-nabawiyya) et de Riḍā Ǧād Yahya (Al-huriyya al-fikriyya wad-diniyya:Ruʾya islamiyya jadīda) m’ont été d’une grande utilité dans la catégorisation des versets du Coran. ↩
- [7] Le droit à la liberté de croyance ne doit en aucun cas saper les fondements de l’ordre social comme l’indique le hadith qui dit : « Celui qui respecte les limites d’Allah et celui qui les transgresse sont semblables à un groupe de gens qui, sur un bateau, tirent au sort ; certains se retrouvent sur la partie supérieure et les autres dans la partie inférieure. Quand ils puisent de l’eau pour boire, ceux qui se trouvent en-dessous passent à côté de ceux qui se trouvent au-dessus et finissent par se dire : si nous faisions un trou dans notre partie, de sorte à ne pas déranger ceux qui sont au-dessus ? Ainsi, si [les gens d’en haut] les laissent faire, tous périront, tandis que s’ils les en empêchent, tout le monde sera sauvé ». Al-Bukhārî, hadith n°2493.↩
- [8] La tradition rapporte qu’un jour face à un cortège funèbre d’un juif, le Prophète en signe de respect et de compassion s’est levé. Ses Compagnons ont fait de même, l’un d’eux a fait remarquer que c’est un non-musulman, le Prophète a répondu solennellement : “N’est-ce pas une âme » ? Sunan An-Nassa’ ī 1928.↩
- [9] La tradition rapporte qu’un jour face à un cortège funèbre d’un juif, le Prophète en signe de respect et de compassion s’est levé. Ses Compagnons ont fait de même, l’un d’eux a fait remarquer que c’est un non-musulman, le Prophète a répondu solennellement : “N’est-ce pas une âme » ? Sunan An-Nassa’ ī 1928.↩
- [10] Le Prophète, selon les paroles du Coran, aide à sortir de l’obscurité vers la lumière, de l’ignorance vers la connaissance, de l’angoisse vers la sérénité.↩
- [11] « O notre Seigneur, suscite parmi (cette nation) un Messager issue d’elle-même, qui leur récite Tes signes, leur enseigne le Livre et la Sagesse, et les purifie. Tu es, Toi, le Puissant, le Sage » (2/127-129) ↩
- [12] Le même thème figure dans ces 3 autres passages : Coran (2/151)/ (3/164) et (62/2)
- [13] “Celui qui fera un bien du poids d’un atome le verra et celui qui fera un mal du poids d’un atome le verra.” (7/8)↩
- [14] Al-Jurjānī ’Ali ibn Muhammad al-Sharīf, Kitāb at-Ta’rīfat (Le livre des définitions), Maktabat Lubnān, Beyrouth, nouvelle édition 1990, p78. ↩
- [15] Dans son exégèse de ce verset, Ibn Kathīr dit: «il signifie: ne contraignez aucune personne à se convertir à la religion de l’Islam car son message est limpide et ses arguments et preuves sont clairs et, en conséquence, il ne faut dire que l’on contraigne quiconque à l’adopter. Celui qui sera bien guidé par Allah, dont le for intérieur sera élargi à ce message et dont la conscience est éclairée, l’embrassera consciemment» Tafsir Ibn Kathīr(1/682).
Ibn ‘Abbās a rapporté que la cause de la révélation de ce verset a été un homme des ’Ansār (Gens de Médine) de la tribu des Béni Salem Ibn ‘Awf appelé El Hossaynī ou Abû Hossayn qui avait deux fils qui, un jour, rencontrèrent des commerçants du Chām venus à Médine vendre de l’huile et s’en allèrent avec eux après avoir accepté l’appel des marchands à se convertir au christianisme. Leur père alla se plaindre au Prophète et lui demanda d’envoyer des gens pour les ramener en lui disant: Contraignez les car ils refusent de renoncer au Christianisme. C’est alors que fut révélé le verset: «Nulle contrainte en religion» .
Ibn ‘Abbās a rapporté également que lorsqu’une femme des ’Ansār accouchait de mort-nés (était Miqlāt)(6), elle faisait, avant l’Islam, le vœu de forcer son enfant, s’il vit, au Judaïsme. Quand l’Islam fut révélé, nombre de leurs fils étaient judaïsés; alors elles dirent: nous allons maintenant contraindre nos enfants à l’Islam car lorsqu’on les avait rendus juifs nous ne connaissions pas de meilleure religion et c’est alors que fut révélé le verset: « Nulle contrainte en religion» – At-Tabarī, Jāmi‘ al-bayān .
- [16] Abdallah Draz Mohammad , initiation au coran, Editions Beauchesne, 2005, P40.↩
- [17] Riḍā Jād Yahya , Al-ḥuriyya al-fikriyya wad- diniyya: ruʾya islāmiyya jadīda, Al-dār al-maṣriya wal-lubnānīya li-lkitāb, 2013, pp97-102.↩
- [18] L’exemple cité par Al-Qurṭubī (dans son tafsīr3/280) nous donne une autre preuve de l’interdiction de l’usage de la contrainte en religion . Il rapporte qu’un jour « une vieille femme chrétienne est venue trouver ʿumar Ibn Al-Khattbāb pour lui présenter une requête. ʿumar l’a conviée à embrasser l’Islam, mais elle refuse. ʿUmar l’a quittée. Mais craignant qu’il n’y eu dans ses propos quelque contrainte, il s’est tourné vers Dieu disant avec humilité : « Mon Dieu, je désirais guider et non point contraindre. » Puis il récite les paroles du Très-Haut : « Nulle contrainte en religion ! Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement » .Il est bien clair que pour ʿumar, ce verset n’est pas abrogé. ↩
- [19] Dans son livre Ussūl al-fiqh, p. 184-185Abu zahra définit l’abrogation « naskh ».comme étant « l’annulation par le législateur d’une norme antérieure par une norme postérieure. Ceci a lieu en présence de deux normes dont on connaît la date, la norme postérieure abrogeant la norme antérieure » .Notons qu’Il existe entre les ulémas des premiers temps et les ulémas postérieurs une différence à propos du sens donné au terme « naskh ».
Les prédécesseurs employaient le terme « naskh » dans le sens d’ « apporter une modification à quelque chose » – et non dans le sens où l’entendent les successeurs (spécialistes des ussûl) à savoir celui de « mettre définitivement fin à l’applicabilité d’une règle édictée précédemment».
Chez les premiers « Naskh » peut signifier :a) « Takhsīs particularisation entendu comme modification par un verset de la généralité d’un autre verset en faisant l’exception d’un cas précis par rapport à la règle générale présente dans l’autre verset
b)Taqyīd » nuancement désignant modification de l’inconditionnalité d’un autre verset en induisant une condition par rapport à la règle inconditionnelle présente dans l’autre verset » c) « Tawdhīh explicitation indiquant l’énonciation par un nouveau verset, du sens véritable d’un verset précédemment révélé », vu que la lettre du premier verset laissait croire à un sens général, ou inconditionnel, et que certaines personnes ont exprimé une incompréhension par rapport à ce sens général ou inconditionnel.
Ces détails n’ont aucun rapport avec la définition les spécialistes des ussūls . Ce malentendu est lourd de conséquences.↩
- [20] Rapporté par Muslim, hadith n° 21↩
- [21] Dans son Tafsīr At-Tabarī a rapporté d’Ibn Abbâs un propos qui montre que le verset (2/256) a été révélé après la révélation de la plupart ou de la totalité des versets mentionnant le combat (Tafsīr At-Tabarī, n° 5810). Le commentaire d’Ibn Âshūr de ce verset dans At-Tahrīr wat-tanwīr va dans le même sens.↩
- [22] Avec tout le respect aux commentateurs du Coran, à leurs efforts et leurs travaux qui nous sont précieux, les difficultés rencontrées par certains à expliquer ce qui leur paraissait ’’contradictoire ‘’ entre certains versets mecquois et médinois les ont menés à prétendre que les versets de la liberté et de la paix de la période mecquoise ont été abrogés puisqu’ils étaient liés à la faiblesse de la jeune communauté musulmane faisant ainsi de l’islam une religion opportuniste ! N’aurait-il pas été plus approprié de fournir plus d’efforts afin de comprendre ce qui leur paraissait contradictoire ? ↩
- [23] Certes la contradiction n’est pas entre les versets du Coran .En plus du Coran qui le confirme plus d’un chercheur dans les sciences religieuses (guidé par les érudits qui ont convenu que la conciliation des versets a préséance sur le dicton de l’abrogation) a pu vérifier l’inexistence de la prétendue contradiction et contester la notion d’abrogation en tant qu’invalidation et la considérer comme un effort d’interprétation (ijtihād). Entre Ibn Al Jawazy qui compte 247 injonctions ayant fait l’objet d’une abrogation et Mostapha Zayd qui n’a retenu que 6 passant Assūyūti qui n’a compté que 20 cas d’abrogation le nombre constamment décroissant ne confirme–t-il pas que de nombreux savants sont tombés dans la confusion ?N’est-il donc pas légitime de penser que celui qui n’a pas pu comprendre cent versets a dit que les versets abrogés étaient cent, et celui qui n’a pas pu comprendre 20 a dit que leur nombre était de20 et ainsi de suite ?↩
- [24] Pour les shafi’ites il s’agissait de faire sortir les non-musulmans du Hidjaz seulement ↩
- [25] Mosquée Al-Dirār Masjid al-Dirār était une mosquée médinoise qui fut construite près de la mosquée de Quba’ .Selon la majorité des érudits, la mosquée fut construite par douze hommes mécontents issus des Ansārs selon les instructions de Abu ‘Amir Ar-Rahib( un moine chrétien qui a refusé l’invitation à l’islam et a combattu contre les musulmans dans la bataille de Uhud). Abu ‘Amir a ordonné à ses hommes de construire cette mosquée et d’y rassembler tout ce qu’ils ont en termes de forces et d’armes en leur promettant de diriger une armée, soutenue par Héraclius, dans le but de combattre le Prophète et ses Compagnons et anéantir son message en le renvoyant de Médine. Le Prophète qui se préparait à aller prier dans cette mosquée, fut arrêté par une révélation qui dévoile l’hypocrisie et les plans maléfiques des bâtisseurs de la mosquée.↩
- [26] Voir Mawlawī, Faysal: Al-ussus al-shar’iyyah lil-ilaqat bayn al-muslimīn wa-ġayr al-muslimīn, Dar al-irshad al-islamiyyah, Beyrouth 1988, pp. 48-50.↩
- [27] Selon certains exégètes l’expulsion est dictée par la spécificité des deux lieux de la Mecque et de Médine ainsi que leurs alentours immédiats comme lieu de rites pour les musulmans uniquement. En plus le Prophète qui a expérimenté la réalité d’un grand nombre de conflits a voulu éviter au maximum les risques qui peuvent toucher cette géographie sacrée.↩
- [28] Rapporté par Al-Bukhārī, n° 2888, Muslim, n° 1637.↩
- [29] On peut affirmer selon Al-ʿAlwānī T.J, « que le mot abrogation n’a pas été utilisé par le Messager de Dieu sauf dans sa récitation du Coran, mais il a été mentionné dans les Sunans et les Āthar racontés par ses Compagnons, et en cela il est entendu que le terme n’était en usage dans l’étape de la génération de la réception, qui est l’étape prophétique. Celle-ci a duré vingt-deux ans cinq mois e vingt-deux jours ». Al-ʿAlwānī ,Nahwa mawqif qurʿānī min an-ansẖ, Silsilat Dirāsāṯ qurʿāniyya,n°5,2006 ,p.p17-18.↩
- [30] Le Hadith n° 3966. ↩
- [31] Ibn Farhān Al-Mālikī Hasan, Āyat al-jizya wal-maʿnā al-laḏī ġāba ʿn āt-tanwyriyyina wāl-muqal-līdyna maʿan.
- [32] Voir Al Ajamī Moreno, La jizya et les dhimmis selon le Coran et en Islam.https://www.alajami.fr/index.php/2018/01/26/la-jizya-et-les-dhimmi-selon-le-coran-et-en-islam/ ↩
- [33] ,Voir son article lā jizyaẗa ʿalā imtināʿ ahl al-lkitābʿan duẖūl al-islām
- [34] Certains juristes ont déduit de ce mot qu’il faut que le dhimmi paie la jizya en étant véritablement humilié. A titre d’exemple le dhimmi doit rester debout et le collecteur assis,Il doit apporter la jizya lui-même à pied, non à cheval et rester longtemps debout, il doit être traîné à l’endroit où on la lui prend avec violence. Ibn Al-Qayyim a réagi en écrivant : « Tout cela relève de ce qui n’a aucun fondement, et cela n’est pas (non plus) ce qui découle de ce verset. Il n’est non plus rapporté ni du Messager de Dieu (que Dieu le bénisse et le salue) ni de ses Compagnons qu’ils aient fait ainsi. Ce qui est juste à propos de ce verset est que le (mot »saġār » ) (y) signifie : « l’acceptation, par eux [ces non-musulmans] du fait que les règles de l’islam aient cours sur eux, ainsi que le fait de s’acquitter de la jizya ; car l’acceptation de cela, voilà le « saġār » Ahkāmu ahl al-dhimma, tome1, Ramadi lin-nachr,1997, pp. 120-121.↩
- [35] Assāʿidi ʿAbdil-Mitʿal, Alḥurriyyah al-dīniyyah fil-islām , Dār alktāb al-lubnāni,2012,p97↩
- [36] ibid, p97.↩
- [37] Ibid, p97.↩
- [38] Ibn-Abi-Tālib Al-Qaysi Makki , Al-īḍāḥ li-nassikh al-Qur’an wa-mansukhihi, Dar al-Manar, Jeddah 1986, pp66-67.↩
- [39] Ibid p. 80.↩
- [40] Les mutazilites ont défendu le principe du « Coran créé » ce qui ne veut pas dire que le Coran est un texte dont le sens est livré au prophète Muhammad par L’ange Gabriel qui le charge, sous l’inspiration, de le mettre en mots. La croyance des mutazilites est que le Coran est la Parole de Dieu mais, il est comme toute création, créé en dehors de Dieu et transmis ensuite au Prophète par l’ange Gabriel. En ardent défenseur de l’unicité et de l’immutabilité de Dieu ils ont établi que le Coran est comme toute création créé en dehors de Dieu. Il est distinct de lui car survenu dans le temps. Sa transmission au Prophète s’est faite ensuite par l’ange Gabriel.
Les Sunnites ont contesté cette définition et ont défendu le dogme du « Coran incréé » : la Parole est un des Attributs de Dieu Elle n’est pas extérieure à Lui. En vue d’éviter la confusion entre les attributs de Dieu et ceux de l’homme, les Ash’arites ont apporté une nuance en distinguant entre Dieu et Sa parole, puis entre Sa parole et son expression en langue arabe. Ils ont fait la différence entre la parole ontologique de Dieu (al- kalām an- nafsî), liée à son essence, et la substance de ce qui est écrit dans le corpus, lu et articulé en arabe (al-‘ibāra). L’origine de la parole reste divinement absolue, intemporelle et totale mais s’exprime dans une langue arabe humaine.↩
- [41] Objectifs supérieurs (maqsad, plur. maqāssid) des enseignements de l’islam ↩
- [42] La riddah recouvre un large champ de significations. Elle ne peut être réduite à au seul changement de religion.↩
- [43] Le dernier segment du verset peut être perçu comme non cohérent avec la conception de Dieu le Pardonneur. Rappelons que ce segment s’adresse à une catégorie d’hypocrites « Ceux qui ont cru, puis sont devenus mécréants, puis ont cru de nouveau, ensuite sont redevenus mécréants, et n’ont fait que croître en mécréance. »Il est clair que ceux-ci agissent sciemment et délibérément. Par contre la promesse divine du pardon pour tout péché par ignorance et toute repentance sincère est explicite dans le Coran « Dis : »Ô Mes serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde d’Allah. Car Allah pardonne tous les péchés. Oui, c’est Lui le Pardonneur le Très Miséricordieux » (39/53). « Et Je suis Grand Pardonneur à celui qui se repent, croit, fait bonne œuvre, puis se met sur le bon chemin. »(20/82).↩
- [44] Voir Ibn Farhān al Mālikī Hasan, Hurriyat al-iʿtqādi fī al-Qurʾān al-karīm was- Sunna an-nabawiyya, Dār al-mawada lit-tarjama wat-taḥqīq 2018, pp89-131↩
- [45] Notion Proche de traîtrise ou de crime de guerre.↩
- [46] Les Sahihs étant les principaux recueils de hadiths considérés comme les plus sûrs de l’islam sunnite. Muslim dans son Sahih conteste certains critères d’authenticité retenus par Al-Bukhārī.↩
- [47] Rapporté par Abū Dāoūd, 4353↩
- [48] Rapporté par Al-Bukhārī 4274↩
- [49] Rapporté par Al-Bukhārī, Muslim, At-Tirmidhī ↩
- [50] Le pacte-Constitution de Médine affirme : « Mohammad et les juifs de Banū-ʿAūf (qui étaient à l’époque citoyens de Médine) sont une seule communauté. » ↩
- [51] Rapporté par Muslim 1784.
Le Prophète avait l’habitude de consulter ses Compagnons dans la plupart des sujets ouverts à l’ijtihad (ceux pour lesquels il ne recevait pas de révélation). Dans les cas minoritaires où Dieu, lui-même, tranche de manière claire sur un sujet (, ne laissant pas de place à l’ijtihād,) il n’y a pas lieu de les consulter .Le pacte fut ainsi établi entre le prophète, et les Quraychites, en présence de ses Compagnons stupéfiés. Ils avaient l’impression de se soumettre entièrement aux ennemis.↩
- [52] Dans un document publié en 2016 par le haut conseil des oulémas du Maroc et signé par six de ses membres seulement, l’apostasie a été redéfinie. Elle n’a pas été considérée comme une question religieuse mais, comme un sujet politique plus proche de la « haute trahison ». Ces savants ont distingué entre « apostasie intellectuelle qui relèverait de la liberté individuelle et « apostasie politique » passible de la peine capitale (apostat complotant contre sa propre communauté »↩
- [53] Le point 27 de la Ṣaḥīfa de Médine stipule « Les juifs de Banū ‘Awf forment une Oumma avec les mu’minīn. Que les juifs aient leur religion« dīn » et que les musulmans aient la leur, cela s’applique aussi bien à leurs clients qu’à eux-mêmes, à l’exception de celui qui aurait mal agi ou qui commettrait une transgression ; il n’attirera le mal que sur lui-même et sur sa famille. » ↩
- [54] Musannaf ʿAbdir-Razzāq, n° 18696↩
- [55] Ibid, n° 18714.↩
- [56] Interrogations traitées dans les travaux de Taha Jaber Al ʿA lwani ↩