ORIENTATIONS GENERALES POUR UN DIALOGUE EN VERITE
I. Fidélité à notre foi et ouverture à l’autre
1. Musulmans et Chrétiens, nous croyons que Dieu s’est révélé par sa Parole. Les Musulmans la reconnaissent dans le Coran, les Chrétiens en Jésus-Christ lui-même, Parole de Dieu faite homme. Chacune de nos communautés croit que sa foi est un don de Dieu agréé par l’homme et constitue pour elle la voie privilégiée de sa rencontre avec Dieu. C’est pourquoi, nous sommes musulmans ou chrétiens, et non d’une autre religion ou athées.
Mais, si parfaite que soit la Parole fondatrice de notre foi, nous ne pensons pas que la connaissance que nous en recevons épuise les richesses de cette Parole et du mystère de Dieu. C’est pourquoi, nous pensons que, d’une part, notre certitude de foi implique nécessairement une recherche sans fin de la vérité, à l’aide et à la lumière de Dieu, et que, d’autre part, d’autres approches de la vérité que la nôtre, à partir d’une autre Parole que celle qui fonde notre foi, sont légitimes et peuvent être fécondes pour nous. Autrement dit, le Musulman reconnaît la validité et la fécondité de la foi et de la recherche chrétiennes, et le Chrétien reconnaît la validité et la fécondité de la foi et de la recherche musulmanes.
2. Dans cette ligne, chacun de nous reste fermement attaché à l’essentiel de sa foi et à la vision du monde qu’elle implique, et c’est dans cette lumière de foi que nous voulons situer la religion des autres. Mais nous n’exigeons pas d’eux qu’ils adoptent les catégories liées à notre propre vision de foi. Nous avons, les uns et les autres, à élargir notre vision et nos catégories, pour rendre compte de la valeur religieuse de l’autre tradition.
En d’autres termes, le Chrétien n’a pas à exiger du Musulman qu’il adopte la foi chrétienne en la divinité du Christ, par exemple, et le Musulman n’a pas à exiger du Chrétien qu’il reconnaisse le Coran comme la révélation ultime de la Parole de Dieu et Muhammad comme le sceau des prophètes.
3. C’est pourquoi nous récusons toute forme de syncrétisme qui tendrait à occulter les différences essentielles entre nos religions. Notre but n’est pas de supprimer ces différences, ni de les minimiser ou de faire silence sur elles, mais de les reconnaître en vérité et de les situer à leur vraie place, alors que trop souvent on met au premier plan les différences, quand on n’oppose pas nos religions à partir de fausses différences.
4. C’est pourquoi, aussi, nous ne chercherons pas à concilier ce qui est inconciliable. Nous ne cherchons ni à supprimer, ni à minimiser nos différences essentielles, ni à trouver un moyen terme qui les réconcilierait au prix de la vérité. Notre but est de délimiter ces divergences essentielles là où elles se trouvent vraiment et non là où on les situe trop souvent à partir de positions sclérosées. Convaincus que les convergences entre nos visions de foi sont plus nombreuses et plus importantes qu’on le croit généralement, nous pensons que les mettre en valeur, c’est aussi mettre en lumière les divergences réellement fondamentales.
Ce respect de l’inconciliable vaut aussi pour les participants à notre groupe : pour les Chrétiens entre eux et pour les Musulmans entre eux. Il n’est pas acquis d’avance que chaque partie aura une position unanime sur tous les points. Des divergences plus ou moins importantes peuvent normalement se manifester entre participants d’une même religion. Les échanges en réunion commune pourront contribuer à les rapprocher, voire à harmoniser les positions. Mais des divergences peuvent subsister, qui ne seraient surmontées qu’en faisant violence aux consciences ou en adoptant des solutions de compromis. Refusant ces fausses solutions, nous enregistrerons loyalement ces divergences provisoirement irréductibles et nous en ferons état dans les textes que nous publierons.
II. Notre « représentativité ».
Nous récusons à l’avance l’objection que les membres de notre groupe et les résultats auxquels nous parviendrons ne sont pas représentatifs de la pensée largement majoritaire dans les communautés religieuses auxquelles nous appartenons.
En effet, dès le premier projet de constitution de ce groupe de recherches islamo-chrétien, nous avons convenu que les participants y adhéraient à titre personnel, sans mandat d’aucune hiérarchie religieuse ou politique. Nous y venons en tant que croyants, décidés à être pleinement fidèles aux sources de notre foi, héritiers conscients et critiques de traditions multiséculaires et solidaires sans réserve de notre communauté de foi. Mais nous sommes des croyants qui cherchent à mieux comprendre leur foi, à répondre à ses exigences dans le monde actuel et, par là, à contribuer à faire avancer nos communautés. C’est pourquoi, nous publierons les résultats de nos recherches, pour que tous ceux qui se sentiront concernés par notre attitude et nos résultats puissent les apprécier et, éventuellement, y apporter leurs critiques. Le seul garant que nous revendiquons pour nos conclusions sera le sérieux de notre recherche.
III. Accepter le regard critique des autres.
1. Musulmans et Chrétiens, nous acceptons la représentation que se font – et nous font – de leur foi nos partenaires de l’autre religion. Cependant, à notre époque de rencontre des cultures et des hommes, chacun de nous est amené à une nouvelle analyse des bases de sa foi et à l’examen critique de l’évolution de sa tradition religieuse. Cette analyse et cet examen critique ne peuvent plus se faire en vase clos. Accepter le regard critique que nous portons les uns sur les autres est une des exigences de notre temps. On ne se connaît vraiment soi- même qu’en tenant compte du regard de l’autre sur soi. Aussi, nous acceptons et nous désirons ce regard sur nous de nos frères de l’autre religion, comme celui de tout homme, croyant ou non, leurs questions, leurs remarques, leurs critiques, à condition que soit exclue toute attitude apologétique ou polémique.
2. Ceci vaut aussi à l’intérieur de notre groupe. Nous avons posé comme principe que chacun des participants doit avoir une connaissance suffisante de l’autre religion que la sienne et traiter, dans ses travaux personnels, des deux conceptions, la chrétienne et la musulmane. L’expérience montre, cependant, que, généralement, chacun voit l’autre religion selon ses formulations classiques, sans tenir suffisamment compte de certaines positions récentes. Or, le Christianisme et l’Islam sont deux religions vivantes et notre rencontre doit se situer au niveau de leur pensée actuelle. C’est pourquoi, nous ne nous contenterons pas de prendre en considération les formulations classiques de l’une et de l’autre religions. Chacun de nous doit être prêt à accepter la position de chacun des autres, telle qu’il la présente après mûre réflexion, quitte à lui demander d’en préciser les raisons et à la soumettre à la critique.
IV. Nous ne sommes pas les propriétaires des bases de notre foi
Musulmans et Chrétiens, nous ne pensons pas que la Parole divine qui fonde notre foi, chacun pour notre part, soit notre possession exclusive. La personne de Jésus et le témoignage de la foi des Apôtres dans le Nouveau Testament sont les bases de la foi chrétienne, mais le phénomène historique de Jésus de Nazareth et le texte des écrits du Nouveau Testament sont des faits et des documents accessibles à tout homme. Le Coran et la Tradition authentique du Prophète sont les bases de la foi musulmane, mais le texte du Coran et la vie de Muhammad b. Abdallâh s’insèrent dans l’histoire générale de l’humanité et font partie de son patrimoine spirituel.
C’est pourquoi, nous admettons, chacun pour notre part, d’autres « lectures » que la nôtre de l’histoire fondatrice de notre foi et de notre Ecriture, à partir des seules sciences humaines ou à partir d’une autre foi que la nôtre, utilisant ou non ces mêmes sciences. Il peut y avoir ainsi une lecture chrétienne ou agnostique du Coran, une lecture musulmane ou agnostique du Nouveau Testament.
V. Notre fraternité dans la foi.
En ces temps où les défis portés à la foi au Dieu unique sont nombreux et divers, nous pensons que les religions, particulièrement la religion musulmane et la religion chrétienne, sont affrontées en commun à ces défis. Musulmans et Chrétiens, nous avons donc à répondre en commun à ces défis internes et externes. Il ne s’agit nullement de constituer un « front commun » des croyants pour combattre, dialectiquement ou politiquement, les porteurs de ces défis. Mais nous avons à surmonter sans cesse les oppositions politico-religieuses qui ont conduit nos religions à s’affronter et qui correspondent à une situation à dépasser de blocage entre foi, religion, société et empires temporels. Nous avons à nous retrouver ensemble, entre croyants, pour aborder ensemble, en croyants, ces défis du monde contemporain, faire profiter nos communautés religieuses respectives des questions que ces défis leur posent et les rendre capables d’y apporter des réponses adaptées, afin que la lumière et l’espérance dont elles sont porteuses puissent être reconnues et reçues par ceux qui cherchent la vérité et la justice.
De même que les Musulmans, qu’ils soient sunnites, chi’ites ou khârijites, se reconnaissent d’abord entre eux comme musulmans ; de même que les Chrétiens, qu’ils soient catholiques, protestants ou orthodoxes, se reconnaissent actuellement d’abord comme Chrétiens, « frères en Christ » ; ainsi, Musulmans et Chrétiens doivent d’abord se reconnaître entre eux comme croyants, « frères dans la foi en Dieu ». Dans ce sens, et dans ce sens seulement, nous nous reconnaissons dans l’expression d’ « œcuménisme des religions ».
VI. L’absence de la voix du Judaïsme et des autres religions et idéologies.
Certains pourront s’étonner de nous voir nous réunir entre Musulmans et Chrétiens, en l’absence de participants des autres grandes religions et idéologies non religieuses, et particulièrement du Judaïsme. Nous tenons à réaffirmer ce que nous avons dit dès les débuts de notre groupe. Notre dialogue entre Musulmans et Chrétiens ne se fera pas en vase clos. Il reste ouvert sur les autres religions et sur les grandes idéologies du monde contemporain. Particulièrement, dans le cadre de notre réflexion entre croyants monothéistes, nous souhaitons la présence de nos frères du Judaïsme. Ce sont uniquement des facteurs circonstanciels (le problème de la Palestine, qui est inéluctablement soulevé en toute rencontre judéo-islamo-chrétienne) et des problèmes pratiques (il est plus facile de commencer à dialoguer à deux) qui nous ont amené à remettre à des jours meilleurs le dialogue à plusieurs voix que nous appelons de tous nos vœux.