Qu’il s’agisse de la ville sainte de Jérusalem, de l’Arabie et de ses Lieux saints, de la Basilique de la Nativité, du Temple de Salomon, nous constatons le retour en force, aujourd’hui, et avec quelle acuité, de la question de la sainteté du » Lieu » dans les trois religions monothéistes. Ce regain d’intérêt se barricade parfois derrière une réserve défensive qui peut, dans certains cas, afficher sa volonté d’en découdre, alors qu’il lui arrive de montrer des manières tolérantes et très conviviales dans d’autres circonstances. Dans ces conditions, il est impératif de se demander pourquoi la notion de sainteté attachée à la terre ou à la pureté d’un espace, dans la pensée religieuse, dégénère en source de violence et de terreur, alors que la vocation initiale et finale du lieu saint est d’incarner un symbole de paix pour l’humanité. Telle est l’impasse qui nous a amenés à traiter ce sujet dans son aspect paradoxal par rapport à Dieu et par rapport à l’homme.
PREFACE
Tout au long de notre réflexion commune sur la sainteté de l’espace, nous avons été confrontés à une interrogation lancinante : « Comment se fait-il que des lieux saints, dont la vocation est de rapprocher les fidèles de la divinité dans un climat de paix, de prière et de méditation, soient si souvent le théâtre d’une violence extrême ? »…Lire la suite
PRÉALABLE : TERMINOLOGIE
Certes, les « lieux saints » ou « lieux sacrés » tiennent une place relativement importante dans les trois religions monothéistes, et leur désignation comme telle revêt un caractère emblématique, suscitant vénération ou agressivité. Ces deux désignations de « sacré » et de « saint » sont souvent employées indifféremment ou se renforcent l’une l’autre, par exemple dans le terme « sacro-saint » à valeur superlative, utilisé dans la vie courante généralement à propos de réalités sociales et avec une nuance quelque peu satirique ou ironique…Lire la suite
I. LA SAINTETE DES LIEUX DANS LES TEXTES FONDATEURS ET LA TRADITION
(par le Gric de Tunis)
A. Dans la Bible et dans les premières communautés chrétiennes
Le judaïsme primitif, tel qu’il apparaît à travers la Bible, est une religion de nomades sédentarisés. Au départ, le sentiment religieux des Hébreux s’exprime par des rites qui ne requièrent ni terre sacrée ni temple. Lire la suite
B. Dans le Coran et la tradition musulmane Il est bon de rappeler que le discours coranique relatif au lieu sacré s’appuie sur quelques principes fondamentaux, tels que : la désacralisation du monde, l’évolution perpétuelle de l’univers et la suprématie de l’homme sur la nature…Lire la suite
C. Dans la tradition mystique musulmane
La perception des espaces sacrés, leur fonction symbolique, restent un motif important de la tradition mystique musulmane. Celle-ci est tellement variée qu’il est difficile de trouver un discours unifié sur la perception de l’espace, de sa sacralité, et la symbolique des rites qui lui sont relatifs. Mais l’on peut toujours, à travers cette longue et riche tradition, évoquer quelques traits communs…Lire la suite
II ENTRES THEOLOGIES ET REALITES HUMAINES
(par le Gric de Rabat) Le sacré est un espace/temps au cours duquel, souvent par un ensemble de rites, le fidèle tente de rendre hommage à Dieu, voire aux forces surnaturelles. La réalité des lieux saints est une donnée universelle, indépendamment des aires culturelles. C’est une quête de l’absolu, une recherche de la présence divine, une aspiration à communiquer entre le Dieu tout puissant et les êtres pieux. Il faut noter la propension de l’homme à une extension presque illimitée des lieux sacrés et des objets sacrés : mausolée – pierre – source – alphabet sacré – icônes – … Lire la suite
I. ENTRE THÉOLOGIES ET RÉALITES HUMAINES
A. L’ICONOGRAPHIE : UNE PRATIQUE LICITE/ILLICITE
1. Retour sur quelques positions chrétiennes fondatrices
2. L’aniconisme en Islam
B. DES RITES RELIGIEUX PÉTRIS DE PRATIQUES ANTÉRIEURES, Y COMPRIS PAÏENNES
1. La fête de Noël
2. L’exemple de la Ka‘bah
C. LES LIEUX SACRÉS DE L’ISLAM : LIEUX DE PROTECTION ET/OU LIEUX D’EXCLUSION ?
II. DES LIEUX DE VIOLENCE
A. ESPACE SACRÉ ET VIOLENCE : QUELQUES ASPECTS DE LA REFLEXION DES SCIENCES HUMAINES
1. La philosophie des Lumières : Traité sur la tolérance
2. La modernité et le problème du vide
3. Réelles présences (George Steiner)
4. Un sacré vide
CONCLUSION Sacralité de l’homme
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III LES ECRITURES COMME ESPACE SACRE
(par le Gric de Paris)
Il peut sembler un peu étonnant dans une réflexion sur l’espace sacré dans les religions de consacrer un article à la Parole de Dieu. Pourtant, en matière de religion, tous les espaces sacrés comportent une dimension symbolique parfois plus importante que la dimension historique…Lire la suite
IV LE SACRE COMME THEOPHANIE
(gric de Barcelone)
A. Le sacré comme théophanie dans le christianisme (par Juan MARTINEZ-PORCELL) Lire l’article
Dans le Nouveau Testament, Dieu appelle à l’homme à son intimité. Le Christ, avec son obéissance jusqu’au décès (Fil 2.5-11), a mérité l’exaltation suprême. Ressuscité (1 Cor 15,45), a été constitué source de salut. Son corps est le temple définitif (Jn 2,20). Ce que l’ancien temple symbolisait – l’union de Dieu avec l’humanité – on effectue en Christ, tête de l’humanité (Rome 8,.29 ; Chou 1,18). La communion totale avec Dieu sera effectuée quand le Christ en gloire jugera toutes les choses et établisse le Royaume définitif. En ce sens il convient de comprendre les données du N.T. : Le Christ a vécu selon la loi, en prenant part les réunions de la sinagogue. Toutefois, il s’est situé au-dessus de la Loi juive (Mc 2.27 ; Mt 12,9), en se situant au-dessus de samedi et du temple. Il réunit aux douze disciples en constituant les dans un nouveau peuple messianique ou une Église. Il institue de nouveaux rites (sacrements) destinés à communiquer la vie nouvelle que Le il apportait. Les premiers chrétiens vont encore au temple et pratiquent la loi juive jusqu’à ce qu’ils décrètent leur abandon (Act 15,22). ont conscience de de être le nouveau peuple de Dieu. Ils développent une nouvelle liturgie spécifiquement chrétienne, centrée l’Eucharistie (Act 2,42).
a. TERMINOLOGIE
b. DÉLIMITATION DU SACRÉ
c. LE SACRÉ DANS LA RÉVELATION VÉTÉRO-TESTAMENTAIRE
d. LE SACRÉ DANS LE CHRISTIANISME
e. NIVEAUX DU SACRÉ
f. LES PRÉSUPPOSÉS DU SACRÉ
B. Le sacré dans l’angéologie de Ramon Lull (par Carles LLINAS)Lire l’article
Est connue par tous la relation spéciale que Ramón Llull a eue avec le monde musulman. Attiré par son souci proselitista, Llull a intérêt spécial à voir le monde comme un être dévoilé de Dieu. Les connaissances dignitates seront les différentes modulations comment la teophanie se produit ou la manifestation de Dieu dans le monde et, finalement, un être dévoilées du Dieu Trinitaire. Il est évident que l’espace et le temps différencient le Créateur de la créature, mais dans la manifestation de Dieu dans la création, Los Angeles occupent une place intermédiaire. L’espace angélique n’est pas matériel, dit Llull. D’une certaine manière, la théologie des Angeles à Llull pense que l’Incarnation était « nécessaire » ou très nécessaire, puisque, ainsi, en Christ on résume non seulement la nature « spirituelle » mais aussi ce qui est corporelle. Ce qui est intéressant dans les textes de Llull est de découvrir que le cadre de de ce qui est sacré se produit dans le monde grâce à la teofanía de Dieu à travers des Angeles et les hommes jusqu’à la réalité matérielle.
a. L’ANGE COMME « IMAGO DEI »
b. LA NATURE « INTÉRMEDIAIRE » DE L’ANGE
C. L’espace sacré pour les gitans chrétiens et musulmans(par Sergio RODRIGUEZ) Lire l’article
Est peu connu le rôle de la religiosité du peuple tsigane comme lieu de rencontre entre certaines des principales traditions religieuses. Malgré le substrat indou et iranien qui l’imprègne, dérivées de son origine en Inde et de son séjour en Perse, la façon de vivre la foi de des 13 millions de tsiganes qui existent dans le monde il constitue un lieu privilégié de rencontre entre le Christianisme et l’Islam. Des gitans chrétiens et musulmans conçoivent la réalité comme lieu analogique de rencontre avec le créateur, ou ou Dieu ou Allah, dans ce qu’il a été donné en appeler « senti de transcendence immanent ». La nature non seulement est imago Dei, parce qu’elle rappelle l’ordre créé, mais ce qui est naturel est pris part par Lui. De cette manière, l’espace naturel dans sa totalité est susceptible d’être sacralisé, en tant que lieu expression et rencontre avec ce qui est divin. Dans la Bible les passages de la Genèse sur la création du monde sont suffisamment éloquents, tandis que l’Alcorán le rappelle en disant : « Tient le nom de ton Monsieur l’Altissime, qui a créé tout et a établi l’équilibre dans tout » (Sura 87).
Le rôle de la religiosité du peuple gitan comme le lieu de rencontre est très peu connu parmi les principales traditions religieuses. Malgré le substrat hindou et iranien dérivé de son origine en Inde et de son passage en Perse, la forme de vivre la foi des 13 millions de gitans dans le monde constitue un point de rencontre privilégié entre le Christianisme et l’Islam…
V LIEUX SAINTS : LIEUX DE SYMBOLE, DE MEMOIRE, D’EXCLUSION ET DE VIOLENCE, MAIS AUSSI DE PAIX
I Lieux saints comme lieu de symbole (GRIC de Tunis) Lire l’article
II Lieux saints comme lieu de mémoire (GRIC de Tunis)Lire l’article
III Lieux saints : lieux d’exclusion ou de violence (GRIC de Tunis) Lire l’article
IV Lieux saints, lieux de paix. Quelques perspectives ? (GRIC de Tunis) Lire l’article
VI. L’ESPACE SACRE DANS UN PAYS PLURI-CONFESSIONNEL : LE LIBAN
L’espace sacré chez les Druzes Lire l’article
L’organisation des pèlerinages vers la Mecque au Liban Lire l’article
La caverne entre symbolique universelle et imaginaire soufi Lire l’article
CONCLUSION
« Ô Dieu, tu es la paix, fais-nous vivre dans la paix ! » La paix dans les lieux saints ne doit pas être conçue comme absence de violence, mais comme développement d’une « tolérance positive » qui, plus qu’un fondement de la coexistence, est convivialité et coopération avec l’autre, égal en nature, en dignité et en recherche de vérité. La différence de l’autre n’est nullement un accident et elle ne doit pas être réduite, puisqu’elle est choix divin fondateur : elle doit être acceptée comme signe de richesse. En Dieu donc, il n’y a pas d’exclusion ni d’intolérance : ce sont des phénomènes humains qui appellent notre attention au regard que nous portons au prochain, notre frère en humanité. Ce regard peut tuer ou donner la vie.
D’autre part, si les ouvres humaines, les meilleures comme les pires, s’enracinent dans la mémoire des hommes qui influence leurs sentiments et leurs convictions, alors la paix comme ouvre humaine ne saurait se réaliser dans nos lieux saints sans transformer les souvenirs du mal subi en vecteur de dépassement. Ces souvenirs risquent de rendre les mémorisants, individus ou groupes, otages d’une mémoire blessée qui nourrit la haine et l’esprit de vengeance.
La psychanalyse, depuis Freud, nous a enseigné qu’un passé qui ne passe pas mène à la détresse, sinon à la folie. Tout aussi dangereux est le processus inverse, à savoir l’amnésie individuelle et collective. Le dépassement, en effet, exige recouvrement, rétablissement de la justice et lecture exemplaire de la mémoire. Ce dépassement, sans nier l’importance et la spécificité du passé, empêche de s’y enfermer et aide à quitter le soi pour aller vers autrui. C’est en réapprenant, suivant la formule de Lévinas, « à penser l’autre » et « à rencontrer son visage », que se découvre l’altérité sous un nouvel éclairage : celui d’un rapport et non d’une barrière. Ce cheminement est indispensable pour que puisse être imaginé un avenir qui ne soit pas répétition du passé.
Il apparaît de ces brèves considérations que la paix dans les lieux saints ne se décrète pas, mais qu’elle se construit grâce à des pratiques sociales. C’est un pari difficile, qui nécessite constance et détermination de la part des croyants. Ces derniers, au nom de la religion qu’ils professent, ont le devoir d’empêcher que celle-ci ne contribue à sacraliser la violence commise en ces lieux au nom de Dieu. Ils doivent aussi travailler, au sein de chacune des communautés et entre elles, afin de briser toutes sortes de monologues auto-convaincants. Ceux-ci comportent des dangers majeurs : ils consolident la bonne conscience, la conviction d’être le seul dans le vrai et donc d’être foncièrement juste. La conséquence est la diabolisation systématique de l’autre et son anéantissement, alors que toute tentative d’introduire des nuances n’est que trahison.
Or ces tendances sont étrangères à la lettre et à l’esprit de nos textes fondateurs. Le Coran a averti ceux qui, parmi les musulmans, les chrétiens et les juifs, se vantent chacun d’être dans le vrai : « Cela ne dépend ni de vos souhaits ni des souhaits des gens du Livre », Dieu seul est vérité. Loin d’appeler à la violence, la vérité la surclasse et la rend vaine. Nul besoin de dresser des barrières et de s’y enfermer pour se sécuriser ; la projection vers l’autre procure la paix avec soi-même et avec autrui et, du même coup, rapproche de Dieu. L’incitation à la paix est partout présente dans nos textes fondateurs : « Hâte-toi de te réconcilier avec ton adversaire » ; « s’ils inclinent vers la paix, incline toi-même vers la paix et place ta confiance en Dieu ». Ainsi ces textes enseignent qu’il n’y a pas de guerre sainte, seule la paix est sainte. « Dieu » et « Paix » forment une unité indivisible : « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu ». C’est Lui, Dieu, hors de Lui il n’y a pas de Dieu, le Souverain, le Saint, la Paix ».
« Cherchons comme ceux qui doivent trouver et trouvons comme ceux qui doivent chercher encore, car l’homme qui est arrivé au terme ne fait que commencer ».
Saint Augustin