A. TERMINOLOGIE
Dans le langage ordinaire, le mot « Sacré » s’emploie pour désigner toutes ces réalités qui sont dignes d’une vénération et d’un respect particuliers par le fait d’avoir une relation spéciale avec Dieu et son culte. En hébreu, le terme qodesh, dérivé de la racine qdd, signifie probablement couper, séparer ou désunir. En grec, le terme fondamental est hieros qui indique rapidité, force ou vie. Nous trouverons aussi d’autres termes tels témenos (couper, délimiter), agnos (relatif à l’idée de pureté) et hagios qui évoquent la crainte et la révérence. Les juifs qui traduirent l’Ancien Testament (AT) évitèrent le mot hieros et traduirent qadosh par hagios.
En latin, l’origine du sacré se trouve dans le verbe sancio qui signifie délimiter, entourer un terrain. Plusieurs termes dérivent de ce verbe tels sacrare qui signifie réserver quelque chose pour le culte et sanctus qui signifie mettre en relief le caractère inviolable des réali-tés sacrées.
B. DÉLIMITATION DU SACRÉ
Le sacré est relié à la réalité de Dieu. Cependant, Dieu même n’est pas sacré mais Il est le « saint des saints », étant donné qu’il est au dessus de tout ce qui est crée (Lévitique 11,44 ; Isaïe 6,1-3, Hébreux 1,12). On ne parle pas non plus de la sacralité de l’homme mais plutôt de la sainteté en tant que perfection morale. Mais le sacré vise les choses, ob-jets, personnes et lieux reliés à Dieu.
Nous pouvons distinguer entre trois types de sacré :
1. Le sacré manisfestatif
Le sacré est relié à la théophanie ou à la hiérophanie, c’est-à-dire au moment où la profondeur du réel et, par suite, la réalité divine se manifestent à l’homme. L’espace et le temps ne sont pas homogènes. Il faut plutôt distinguer les lieux et les objets qui nous avertissent de la réalité de Dieu (hauteur, profondeur, lumière, fermeté, montagnes, roches, mers, soleil, vie, mort).
2. Le sacré rituel
La reconnaissance de la réalité de Dieu conduit l’homme à se retourner vers Lui. Ainsi, plusieurs actes surgissent comme l’adoration, la prière ou le rite. Le rite est toute action qui symbolise l’union avec la divinité et qui est réalisé par l’homme avec l’intention d’atteindre ce que cela symbolise, c’est-à-dire la relation avec Dieu même. Alors que, dans la théophanie, il s’agit de lieux ou formes de la nature même, dans le rite, il s’agit d’actions humaines. Si la théophanie porte sur l’ordre de la connaissance, le rite porte sur la commu-nion vitale.
3. Le sacré latéritique et pédagogique
Le rite implique une série d’éléments (personnes, objets, vêtements) qui sont sacralisés par le fait d’être destinés à cet usage, traités avec respect ou soumis à des normes. D’ici naissent les notions de pur et impur, bien que cette pureté rituelle ne s’identifie pas à la pureté morale.
C. LE SACRÉ DANS LA RÉVELATION VÉTÉRO-TESTAMENTAIRE
Dans le domaine extra biblique, le sacré naît de la contemplation de la nature. Cependant, avec la Révélation, ce n’est pas le monde qui nous parle de Dieu mais c’est Dieu lui-même qui intervient dans l’histoire et nous communique sa parole. Les théophanies ne sont pas des phénomènes de la nature. Le culte évoque maintenant les « mirabilia et magnalia Dei ». Il n’existe point d’ambiguïté panthéiste. Celui qui n’a besoin de rien (Exode 3,14 ; Amos 4,2) a élu les hommes et leur a offert tous les délices (Proverbes 8,31). Les lieux des théophanies sont déclarés saints et objets de révérence (Exode 3,5). Le culte est aussi saint et objet de législation (Exode 25). Le sanctuaire est sacré (Lévitique 6,26) ainsi que l’Arche d’alliance (2 Paralipomènes 35,3), le Temple (1 Rois 8,11), la cité de Dieu (Psaumes 46,4), le Sabbat (Genèse 2,3), les prêtres (Exode 19,6), les autels (Exode 29,37), les ustensiles de culte (Nombres 5,15), les vêtements sacrés (Exode 28,2), les offrandes (Exode 38,38).
D. LE SACRÉ DANS LE CHRISTIANISME
Dans le Nouveau Testament (NT), Dieu appelle l’homme à son intimité. Christ, obéissant jusqu’à la mort (Philippiens 2,5-11), a mérité l’exaltation suprême. Une fois ressuscité (1 Corinthiens 15,45), il fut considéré comme source de salut éternel et son Corps est le temple définitif (Jean 2,20). Ce que l’ancien Temple symbolisait, à savoir l’union de Dieu avec l’humanité, se fait réel en Christ, tête du corps de l’Église (Romains 8,29 ; Colossiens 1,18). La communion totale avec Dieu se réalisera lorsque le Christ en gloire jugera toutes les choses et établira le Royaume définitif.
En ce sens, on peut comprendre les données du NT : le Christ vécut selon la Loi, participant aux assemblées de la synagogue. Cependant, il dépassa la Loi Juive (Marc 2,27 ; Matthieu 12,9), le Sabbat et le Temple. Il réunit les douze disciples afin de constituer un nouveau peuple messianique ou Église et institua de nouveaux rites (sacrements) destinés à transmettre la nouvelle vie qu’Il apportait. Les premiers chrétiens se rendent toujours au Temple et pratiquent la loi juive jusqu’à l’ordre de l’abandon (Actes 15,22). Ils prennent conscience d’être le nouveau peuple de Dieu et développent une nouvelle liturgie spécifiquement chrétienne centrée sur l’Eucharistie (Actes 2,42).
E. NIVEAUX DU SACRÉ
1. Dans l’ordre de l’épiphanie ou manifestation de Dieu
Nous pouvons parler du sacré par rapport à l’humanité du Christ. Le chrétien voit en Lui « toute la plénitude de la divinité, corporellement » (Col. 2,9). L’Église est un signe aux na-tions qui invite les hommes à recevoir l’appel de Dieu (Concile Vatican I Dz 3014).
2. Dans l’ordre du rite
Dans le rite chrétien, le protagoniste n’est pas l’homme qui se tourne vers Dieu mais plu-tôt Dieu qui se manifeste pour transmettre une nouvelle vie ; s’ajoutent donc l’efficacité et la causalité divines. Le sacré s’applique à la Sainte Écriture, aux sept sacrements, à la liturgie, au sacerdoce et à chaque chrétien.
3. Dans l’ordre du sacré latéritique et pédagogique
Être chrétien implique une divinisation de l’homme mais cela n’efface pas la différence entre ce dernier et Dieu ; il s’agit d’un don gratuit. Par conséquent, l’art, la musique, les vêtements, les gestes sont sacrés tant que l’homme loue Dieu.
F. LES PRÉSUPPOSÉS DU SACRÉ
1. Le sens de la transcendance
Le sacré présuppose la réalité de Dieu, différente du monde, transcendante et pourtant présente à travers la création. Toute considération morale de l’homme qui ne renferme aucune participation religieuse perd le sens du sacré. L’homme reste enfermé à la recherche d’une authenticité en accord avec ses propres postulats. Plus encore, les conceptions qui postulent que « tout est sacré » aboutissent à des idées panthéistes. Lorsque l’homme entre en contact avec la transcendance divine, il prend conscience de sa faiblesse et jaillissent ainsi l’admiration, la crainte révérencielle, le désir et la gratitude qui accompagnent l’expérience du sacré.
2. La corporalité de l’homme
La corporalité dans son large sens, en tant que relation de l’homme avec le cosmos maté-riel, est un présupposé de l’idée du sacré dans les deux sens déjà mentionnés : le sacré théophanique est relatif au caractère médiat de notre connaissance de Dieu. L’homme connaît Dieu à partir de la réalité sensible et non pas de la vision intuitive. Le processus de la reconnaissance de Dieu mène à l’admiration, à la crainte et à la commotion. Le conceptuel et le symbolique s’entremêlent afin d’exprimer d’une certaine façon l’insondable richesse de Dieu.
Le sacré cultuel est relatif à la structure complexe de l’être humain qui n’est pas un esprit habitant un corps, mais plutôt un être spirituel-corporel en unité. Les actes spirituels ten-dent à s’exprimer par attitudes corporelles et par gestes [1].
par Juan Martinez PORCELL
- [1] R. CAILLOIS, L’homme et le sacré (Paris 1950) ; M. ELIADE, Lo sagrado y lo profano (Madrid 1967) ; G. MORRA, La riscaperta del sacro (Bolonia 1964) ; A. G MARTINOT, Le sens du sacré, (La Maison-Dieu 1951).↩