Par aberrazak Sayadi, Gric Tunis
L’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, le 19 Décembre 2010, a été l’étincelle qui a fait éclater une révolution qui a duré un mois au bout duquel le régime de Ben Ali tombait le 14 Janvier 2011. La Tunisie est entrée alors dans une phase d’instabilité politique et gouvernementale, marquée par l’élection d’une assemblée constituante (A.C.) chargée de rédiger une nouvelle constitution, mais qui a duré plus longtemps que la période prévue par la Loi. L’A.C s’est enlisée dans discussions interminables, plongeant le pays dans le doute et dans le pessimisme. La situation devenait critique lorsque le leader de l’opposition de gauche Chokri Belaïd a été assassiné entraînant la chute du premier gouvernement dirigé par les islamistes, suivie d’un deuxième assassinat d’un leader de l’opposition Mohamed Brahmi, faisant tomber le deuxième gouvernement islamiste. La réussite du processus démocratique paraissait de plus en plus compromise. Pendant cette période, la Tunisie a subi l’arrivée massive de prédicateurs venus d’orient. Un prédicateur égyptien Wajdi Ghoneim, invité par une association tunisienne a déclaré en arrivant à Tunis : « Tous les principes de la démocratie sont « kufr billah ». La démocratie impie serait, selon lui impossible et inacceptable dans un pays musulman. La question pour nous de savoir si véritablement la démocratie est incompatible avec l’islam. Quels sont ces principes de la démocratie auxquels le prédicateur égyptien faisait allusion ? Pourquoi seraient – ils incompatibles avec l’islam ? N’ ya t-il pas moyen de concilier les deux ?
En Tunisie le débat au sein de l’A.C a achoppé sur l’article 1 qui stipule que « La Tunisie est un Etat libre, indépendant, souverain, sa langue est l’arabe, et sa religion est l’islam ». Cet article hérité de la première constitution votée aux lendemains de l’indépendance en 1956 est le fruit d’un travail de synthèse politique élaborée par Bourguiba. Il a fait l’objet d’un consensus national parce que dans sa subtilité il rassure ceux qui veulent sauvegarder l’identité musulmane, en faisant référence à l’islam, et en même temps il rassure ceux qui ne voulaient pas d’une république islamique ou théocratique puisqu’il ne dit pas que l’islam est la religion de l’Etat. Les députés islamistes voulaient revenir sur cet article. Ils trouvaient que la référence à l’islam était trop vague, que le possessif « sa » n’était pas explicite qu’il pouvait renvoyer à la société tunisienne comme à l’Etat tunisien. Ils proposèrent donc d’introduire dans la nouvelle constitution un nouvel article qui affirme que la charia est la source du droit tunisien. C’est là qu’il y a eu un lever de bouclier de la société civile et de l’opposition, menaçant de torpiller tout le processus de transition démocratique. Les députés islamistes ont dû accepter non seulement l’absence de toute référence à la Chari’a mais ils ont accepté aussi un article qui affirme le caractère civil de la société tunisienne. Ainsi un premier principe démocratique a été préservé, celui d’un Etat civil où l’on ne gouverne pas au nom de Dieu mais au nom du peuple, seule source du pouvoir. IL ne s’agit certes pas du principe de neutralité religieuse de l’Etat comme c’est le cas dans les constitutions laïques, puisqu’il est fait référence à l’Islam, mais il s’agit de la construction d’un état civil où les lois ne sont pas soumises à la Charia.
Ce premier principe étant acquis, il fallait alors discuter la question épineuse de la liberté de conscience. Rappelons que dès la proclamation par les Nations unies de la déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen en 1948, Les Etats musulmans présents au vote se sont abstenus. Pourquoi ? La liberté de conscience donne à l’individu le droit d’avoir n’importe qu’elle religion, mais elle lui donne aussi le droit d’en changer ou d’être athée. Donc c’est un principe qui va plus loin que la liberté de religion que les islamistes proposaient. La vraie raison de ce refus est qu’il existe un hadith attribué au prophète qui affirme « celui qui change de religion tuez le ». Pourtant il existe aussi un verset coranique qui affirme : « Nulle contrainte en religion ». C’est au nom de ce hadith que la Tradition musulmane a érigé la loi sur l’apostasie, qui même si elle n’est pas appliquée dans la plupart des pays musulmans, pèse comme une épée de Damoclès sur la tête des convertis. Les députés islamistes tunisiens ont fini par accepter cet article mais ils ont obtenu en échange que « l’Etat soit le protecteur du sacré ». C’est avec ce compromis que la Tunisie a réussi à inscrire dans sa constitution ce qui est un véritable acquis :la liberté de conscience.
Le troisième point qui a posé problème, c’est celui du statut de la femme. Là aussi la Tunisie se flatte d’avoir donné à la femme tunisienne un statut unique dans le monde arabe. Le code du statut personnel voulu par Bourguiba en 1956 a permis, entre autres acquis, l’abolition de la polygamie, et de la Répudiation, l’obligation d’un âge minimum légal pour le mariage des filles, le droit d’adoption, etc. La société tunisienne a bien réagi lors que les leaders du parti islamiste ont déclaré qu’il fallait remplacer l’adoption illicite du point de vue de la loi musulmane par la « kafala » notion musulmane beaucoup plus limitée puisque la famille d’accueil ne donne pas son nom à l’enfant adopté. Ils ont proposé aussi que l’on définisse le rôle de la femme comme étant « complémentaire à l’homme au sein de la famille ». Cela représenterait une régression par rapport au principe d’égalité homme –femme et devant la mobilisation de nombreuses associations féministes et de droits de l’Homme. Ce débat a démontré que la greffe de la modernité a pris et que les acquis de la femme font partie aujourd’hui de l’ADN de la société tunisienne. Cette réussite est due au fait que ces réformes ne sont pas perçues comme étrangères à l’islam, mais elles reposent sur une lecture intelligente et moderne du Coran. Bourguiba a fait un grand travail de pédagogie pour expliquer, versets à l’appui, que Dieu nous demande d’exercer notre Raison et notre libre arbitre. Certes un verset dit « Vous pouvez épouser deux, trois, ou quatre femmes » mais il dit aussi « si vous avez peur de ne pas être équitables avec les femmes, n’en épousez qu’une seule » et un autre verset dit « Vous ne pouvez jamais être équitables avec les femmes même si vous le vouliez ». Donc il ne faut épouser qu’une seule. Bourguiba disait aussi que Dieu aime voir les hommes aisés et pas dans la misère. Or la polygamie génère l’explosion démographique, la misère pour l’homme et le sous développement pour la société. Dieu ne veut pas cela pour les musulmans.
Islam et Démocratie. L’expérience tunisienne.
Article précédentCommentaire du texte de Tabari sur Noé et le Déluge A. Sayadi
Article suivant Les médias et le printemps arabe