par Jean-Marie Gaudeul
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La source
Un livre de la collection des « Sources Chrétiennes » : N°115, Manuel II Paléologue, Entretiens avec un musulman – 7ème controverse, introduction, texte critique, traduction et notes par Théodore Khoury (Cerf, Paris, 1966, 233 pp.), p. 144-145.
L’occasion
Le pape visite l’université où il a enseigné, retrouve des anciens collègues et donne une « leçon » dans le grand amphithéâtre. On note le ton très familier et très personnel : réminiscences et souvenirs, avant d’aborder le sujet dont il veut parler : le lien entre Raison et Foi. L’amorce elle-même est très personnelle : « Tout cela me revint en mémoire récemment à la lecture de… ». Manifestement, Benoît XVI parle de façon détendue… d’autant plus que ce texte, quand il apparaît sur le site Internet du Vatican, est accompagné d’une mention bien étrange pour un texte « pontifical » : le Saint Père a l’intention de fournir une version ultérieure de ce texte complétée de notes. Le texte actuel peut donc être considéré comme provisoire. Tout indique donc que l’on a pas ici un document dont l’auteur a pesé tous les mots.
Le vrai débat
Ce qui a étonné et même indigné les musulmans, ce n’est pas le sujet principal de la conférence du pape : personne ne conteste, ni parmi les chrétiens, ni parmi les musulmans, le lien qu’il établit entre la rationalité et la foi.
Leur première source d’étonnement vient du fait que, pour trouver un exemple à ne pas suivre, il est allé puiser chez les musulmans, comme s’il n’en existait pas dans la longue histoire des débats théologiques du Christianisme. L’impression – première et superficielle, j’en conviens – qu’on en retire est que la rationalité se trouve chez les chrétiens et non dans l’islam.
A juste titre, les musulmans nous citent l’exemple des Mu’tazilites et des Philosophes qui, tout musulmans qu’ils étaient, en venaient à dire que la vérité recherchée par les philosophes est du même ordre que la vérité prêchée par les prophètes à travers des symboles. On pense à Avicenne ou à Averroès, mais on rappelle que beaucoup de penseurs musulmans du 20ème siècle sont, en fait, des néo-mu’tazilites.
Une deuxième surprise vient du fait que le pape puise ses idées dans la littérature des controverses : Manuel Paléologue (1350-1425) ; Ibn Hazm (994-1064), si bien que les paroles qu’il cite sont, en elles-mêmes, provocantes. D’ailleurs le pape lui-même le souligne !
Deux points provoquent un véritable choc
En citant ces textes, Benoît XVI ajoute des commentaires qui sont, à la fois, offensants et inexacts. En effet, le pape commente de son propre chef : « Assurément l’empereur savait que, dans la sourate 2, 256, on peut lire : « Nulle contrainte en religion ! ». C’est l’une des sourates de la période initiale, disent les spécialistes, lorsque Mahomet lui-même n’avait encore aucun pouvoir et était menacé. Mais naturellement l’empereur connaissait aussi les dispositions, développées par la suite et fixées dans le Coran, à propos de la guerre sainte. »
Il s’agit là des propos du pape lui-même. L’ennui, c’est que Benoît XVI se trompe : ce verset coranique – de l’avis unanime de tous les commentateurs – tant chrétiens que musulmans – n’est pas de la période initiale, mais bien de la période médinoise quand Muhammad est au pouvoir. L’implication que les musulmans ont bien saisie, c’est que le pape attribue à Muhammad lui-même le contenu des versets.
On ne saurait faire au pape le reproche de ne pas croire en l’inspiration du Coran ! Mais on peut lui reprocher de fournir – involontairement sans doute – une version faussée de l’Histoire.
Un autre point suscite la controverse : n’étant sans doute pas très versé dans l’histoire des courants théologiques de l’islam, Benoît XVI suit, sans la mettre en doute, l’opinion – très discutable – de T. Khoury qui dit : « Pour la doctrine musulmane, en revanche, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n’est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle du raisonnable » et qui cite, pour justifier cette idée, une phrase, tirée hors contexte, d’Ibn Hazm, un auteur espagnol qui voulait condamner toute spéculation théologique mais qui, justement, n’a pas fait école parmi les penseurs musulmans. Les musulmans s’indignent que cette opinion marginale soit présentée comme représentative de l’ensemble de la doctrine islamique.
Ajoutons que ce désir de présenter Dieu comme libre de nos petites logiques est un thème familier de la littérature biblique : Mes pensées ne sont pas vos pensées – comme le ciel est au-dessus de la terre, ainsi ma pensée au-dessus des vôtres – vos meilleurs pensées sont comme du linge sale – les voies de Dieu sont insondables et incompréhensible ses voies, – ce qui est folie aux yeux des hommes est sagesse aux yeux de Dieu… etc… Il n’est pas sûr que les penseurs musulmans voulaient dire autre chose que cela !
Conclusion
Bon nombre de leaders musulmans souhaitent un apaisement rapide de la crise. Il serait dangereux de refuser de reconnaître que le texte de Benoît XVI contient des inexactitudes et qu’il donne trop d’importance à une citation d’un auteur marginal. Cet incident, cependant, a donné aux musulmans l’impression que le pape ne les aiment pas et qu’il manque de cette sensibilité qui aurait pu lui faire sentir le retentissement de ses paroles dans le monde musulman. Il ne s’agit plus ici de doctrine mais d’empathie. L’Eglise est sacrement de l’amour de Dieu… Cette histoire n’aura rien fait pour le manifester.
P. Jean-Marie Gaudeul