Vient de se tenir à Alger les 10 et 11 février 2010, un colloque international organisé par le Ministère des Affaires religieuses sous le titre : « L’exercice du culte, un droit garanti par la religion et par la loi. »
Il a rassemblé quelques 200 personnes. La plupart des intervenants étaient des religieux musulmans, des universitaires, des politiques. Une bonne place a été faite à la partie chrétienne. Mgr Ghaleb Bader a pu bien s’exprimer. Il a souligné quelques aspects positifs de l’Ordonnance de 2006 qui règlemente l’exercice du culte non-musulman. Il a pu dire ses réserves, les points qui entravent la liberté de la pratique religieuse. Aussi a-t-il estimé que le moment était peut-être venu de faire un bilan de cette loi, après quatre ans, et même de la supprimer puisqu’elle était née dans des circonstances exceptionnelles qui n’avaient plus de raison d’être. Mgr Munir Hana Anis, Archevêque de l’Eglise anglicane au Moyen Orient en Afrique du nord a donné sa réflexion sur la coexistence entre chrétiens et musulmans. Le Pasteur Baty Président de la Fédération protestante de France était parmi les intervenants. Nous avons été heureux de la présence du Cardinal Barbarin, encore profondément marqué par son pèlerinage à Thibhirine, il y a trois ans, avec une délégation islamo-chrétienne de la Région Rhône-Alpes. Il a pu témoigner de ce que cela peut produire, quand « s’entre-connaître » va jusqu’à l’admiration de la foi de l’autre, quand on a pu se la partager. Tous les participants pouvaient intervenir lors des moments d’échange avec les intervenants.
Il me paraît bon d’insister sur le climat de la rencontre, un climat emprunt de vérité, dans la cordialité. Les appréhensions au départ ne manquaient pas. Quel était le but de ce colloque, dans le contexte actuel où des visas sont refusés explicitement à des prêtres et des religieuses et où les communautés chrétiennes évangéliques en Kabylie ont des difficultés à se faire reconnaître ? Nous avons compris de la bouche de Mr Ghlamallah, le Ministre des affaires religieuses, qu’il visait à dissiper des malentendus autour des « prétendues restrictions à l’exercice des cultes » et exposer les fondements musulmans du respect des autres religions.
Le climat a permis que bien des sujets soient abordés, y compris ceux du prosélytisme et des conversions. La compréhension de la souffrance que ces conversions, de part et d’autre d’ailleurs, engendre pour les proches de ces convertis a pu être dite. Un des intervenants a pu, suite à une question, affirmer : « la liberté de conscience n’est pas négociable ». Si une forme de prosélytisme est condamnable, le fait de témoigner de sa foi et même de la proposer semblait être admis. Je retiendrai cette phrase de l’Emir Abdelkader, citée par un intervenant. Questionné au sujet d’une personne qui avait changé de religion, l’Emir a répondu : « il est allé du sein de Dieu au sein de Dieu ». Belle réponse de mystique !
A travers leurs exposés de type universitaire, beaucoup d’intervenants ont voulu, à travers l’histoire, le droit, la théologie, expliciter et fonder les valeurs de tolérance de l’Islam. A travers des discours quelque peu défensifs, on sentait le besoin de donner une bonne image de l’Islam, pour contrecarrer l’image négative qui est trop souvent renvoyée de l’Islam en Occident et qui fait vraiment souffrir les musulmans.
Tous les « mal – entendus » n’ont pas été levés. Comment aider nos interlocuteurs à comprendre que des expressions comme « le monde musulman et l’occident chrétien » ne peuvent caractériser les pays dont il est question aujourd’hui ? Il est aussi toujours difficile de faire comprendre que la parole d’un évêque ou d’un responsable religieux chrétien n’est pas sur le même plan que celle d’un homme politique.
J’évoque encore ce moment de surprise, pour moi, quand un participant s’est présenté : « je suis un évangélique américain ». Il parlait un arabe impeccable et il a répondu pour démentir certaines affirmations d’un intervenant qui venait longuement de parler des évangéliques américains et de leur attitude hostile vis-à-vis de l’islam.
On peut se réjouir que des algériens chrétiens aient été invités, y compris des pasteurs algériens évangéliques, mais regretter qu’ils n’aient pas été invités à intervenir. L’un d’eux me confiait cependant sa satisfaction de voir les avancées que ce type de rencontre signifie. Un tel débat n’aurait pu avoir lieu il y a trois ou quatre ans.
Les pauses et les repas ont été aussi de bons moments de convivialité qui ont contribué au bon climat de ces journées. J’ai été heureux de rencontrer les Directeurs des affaires religieuses de plusieurs Wilaya que je connaissais par ailleurs. Nos prochaines rencontres ne seront plus tout à fait les mêmes maintenant.
Après le colloque, la presse arabophone insiste sur la réaction du Ministre des affaires religieuses défendant la légitimité de l’Ordonnance de 2006 qu’il n’est donc pas question de supprimer. Mais, les sensibilités s’étant apaisées, il restera de ce colloque un moment de rencontre et de débats en vérité. Un pas réel d’ouverture.
+Paul Desfarges Evêque de Constantine 17 Février 2010