Le Maroc a accueilli un colloque du GRIC (25-26 avril 2008) sur le thème « Images et Messages d’aujourd’hui »
C’est en terre marocaine que le Groupe de recherche islamo-chrétien (GRIC), une association de chercheurs née simultanément à Tunis, Paris et Rabat en 1977, a choisi de célébrer son 30e anniversaire.
A cette occasion, et dans un souci de plus grande ouverture aux médias, le GRIC a organisé à Rabat et Casablanca (25-26 avril), sur le thème « Musulmans et Chrétiens : images et messages d’aujourd’hui », un colloque au cours duquel il a réfléchi sur l’image que les différents moyens de communication sociales sont en train de proposer – ou parfois d’imposer – aux chrétiens et aux musulmans, de ce que sont ou peuvent être leurs rapports.
Le Liban était présent à ce colloque, organisé en partenariat avec la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc, à travers notamment cheikh Mohammed Nokkari, secrétaire général de Dar el-Fatwa.
L’événement culturel s’est ouvert sur un magistral exposé des défis lancés aux religions du monde par la recherche historique scientifique. Réfléchissant sur le « temps long » de l’histoire, l’historien Abdou Filali-Ansary, philosophe marocain, directeur de l’Institut for the Study of Muslim Civilisations de Londres, a brossé le tableau de l’émergence des empires et des religions, l’apparition de la raison dans le monde grec, les temps axiaux qui ont structuré la mémoire des hommes et des civilisations. C’est seulement au regard de cette profondeur de champ que doit s’inscrire toutes les religions, et par conséquent tout dialogue interreligieux, qui ne peuvent que tenir compte de cette histoire et de ses déterminants, pour se comprendre, affirme Filali-Ansary.
De fait, les avancées de la science historique, qui reste une science humaine, malgré ses prétentions à devenir une science exacte, lancent un grand défi aux religions. Pour certains historiens, qui rejoignent sur ce point le matérialisme dialectique, la question du sens est elle-même historique et a émergé à un niveau particulier de l’histoire des civilisations.
Faut-il donc, à la dimension de l’espace physique et du temps géologique, ajouter celui de l’évolution et de l’histoire, pour rendre compter scientifiquement d’un monde que nous n’avons pas fini d’explorer ? La foi serait-elle pure construction ? La raison triomphera-t-elle de tous les « mystères » ? Qu’est-ce que, dans ces systèmes religieux, relève de la foi, ou disons de la Révélation, et qu’est-ce qui relève du mythe, de la « construction du sens » ? Existe-t-il un niveau de questionnement de la foi à partir duquel on cesse d’être croyant ?
La foi au défi de l’histoire
La foi musulmane s’est ouverte plus tardivement à tous ces défis que la foi chrétienne, devait constater le colloque. Pour Mohammed Sghir Janjar, de la Fondation du Roi Abdel Aziz, à Casablanca, il est impératif qu’un dialogue islamo-islamique se produise, parallèlement au dialogue islamo-chrétien, pour que le dialogue entre l’Islam et le Christianisme soit fructueux.
Il est difficile de rendre compte en quelques paragraphes de la richesse des exposés qui ont marqué le colloque : critique à la fois des déformations de l’image du monde musulman, présenté comme un monde de violence, par les médias dits occidentaux – avec la distanciation nécessaire qu’il faut faire entre Occident et Christianisme, en ces temps de relativisme éthique triomphant-, mais aussi critique de l’image que l’Islam même est en train de donner de lui-même.
C’est ainsi que Ahmed Khamlichi, doyen très respecté de Dar el-Hadith el Hassania, à Rabat (Tunisie), a critiqué l’apprentissage aux tout-petits, dans certains cercles intégristes , de versets ayant trait au djihad, sans compter le détournement du véritable sens de ce terme, qui désigne d’abord la violence que la personne se fait à elle-même, dans son effort pour vivre selon la morale et les préceptes coraniques.
Au-delà des thèmes abordés, ce qu’on retient de telles rencontres, c’est le climat d’amitié, de respect et de tolérance qui s’y manifeste. Certains réagissent mal au terme de « tolérance ». Il est vrai que le mot a longtemps était abusivement utilisé par la société bourgeoise. « Tolérance, il y a des maisons pour ça », clamait Claudel. Et de fait, il y a quelque chose de faux dans le fait de simplement « tolérer » un autre. Mais, dans le dialogue islamo-chrétien, le mot revêt à nouveau son sens noble. Dans le dialogue, et c’est là un de ses axiomes éthiques, ce n’est pas l’autre qu’on tolère, mais la différence. Il s’agit de respecter l’altérité de l’autre : l’altérité de ses dogmes, même quand ils jurent avec les miens ; comme l’altérité de ses rites, des formes que revêt sa foi. Sur l’éthique du dialogue, d’ailleurs, l’Espagnol Jordi Giro, de l’Université de Catalogne devait faire un exposé lumineux.
Nokkari : Passer à l’action !
Pour cheikh Mohammed Nokkari, le respect de la différence est même insuffisant. Il faut pousser jusqu’à « l’amour de la différence ». Il faut, et cela est au cœur du Coran, « se réjouir de la richesse de la différence ».
En tout cas, souligne le dignitaire sunnite, « il faut aller au-delà de la reconnaissance mutuelle et du respect où le dialogue interreligieux piétine depuis des décennies, et passer à l’action ».
C’est ainsi que Mohammed Nokkari propose l’instauration d’une fête nationale mariale islamo-chrétienne, pour la fête de l’Annonciation (25 mars), qu’il prône la création d’une ONG « SOS dialogue », d’une agence de voyage spécialisée dans l’organisation d’événements permettant le brassage des fidèles des deux religions et de la création de « commissions de dialogue interreligieux » dans chacune des communautés libanaises.
Pour le colloque, et quelque soit le degré de communauté culturelle dont jouissent, dans une société donnée, disons au Liban, chrétiens et musulmans, le risque est grand qu’ils continuent d’être des énigmes les uns pour les autres. Si leurs regards ne se croisent pas, ils risquent de bâtir une image fausse de l’autre et de ne pas percevoir le message dont chacun est porteur. Seule une relation confiante, libérée de tout souci persuasif, permet à l’un d’apercevoir une image vraie de l’autre, semblable et différent, et d’instaurer un dialogue fondé sur le respect mutuel.
Le colloque du Maroc fut l’occasion, pour les membres du GRIC, et plus particulièrement ses membres fondateurs, de réfléchir sur sa propre vocation d’association de chercheurs dont la démarche ne correspond pas tout à fait au dialogue, entendu comme simple connaissance mutuelle, mais approfondit cette dernière en direction d’une authentique quête de vérité, loin de tout syncrétisme comme de tout prosélytisme.
Fady Noun Beyrouth, journaliste à L’Orient Le Jour, 2 mai 2008