Le Christianisme face aux autres traditions
La rencontre d’Assise le 27 octobre 1986 a été selon Jean-Paul II, « l’événement religieux le plus suivi dans le monde » dans l’année 1986 , et également l’événement qui a provoqué le plus d’initiatives pour la paix en Europe et dans le monde . Pour l’Église catholique, c’est un geste d’une portée symbolique sans précédent : non seulement la prière des non-chrétiens n’est pas considérée comme idolâtre, mais elle est officiellement reconnue comme digne de respect et d’estime. Pour Jean-Paul II, l’invitation faite aux représentants des différentes religions à venir prier ensemble pour la paix a eu une portée capitale, y compris pour la théologie chrétienne. Elle est une explicitation de la vocation de l’Église dans le monde qui est, selon Lumen Gentium , d’être « en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain ». Cet événement a été « une préfiguration de ce que Dieu voudrait que soit le cours de l’histoire de l’humanité : une route fraternelle sur laquelle nous nous accompagnons les uns les autres vers la fin transcendante qu’il établit pour nous ».
Étant donné l’importance de cet événement, l’Institut de Science et de Théologie des Religions (ISTR) de l’Institut Catholique de Paris a voulu faire le point, vingt ans après Assise, sur l’état du dialogue entre l’Église catholique et les différentes religions. Des spécialistes du judaïsme, de l’islam, du bouddhisme, de l’hindouisme, des religions en Chine, des religions traditionnelles africaines et de la théologie des religions ont donné chacun une conférence pour savoir où en était la rencontre entre les chrétiens et les autres traditions religieuses. Ce livre publie les différentes interventions.
En nous introduisant très concrètement dans tous ces univers religieux, les auteurs nous donnent d’abord une « vue d’ensemble » assez originale où on découvre l’ampleur des défis et des questions posées par la rencontre entre le christianisme et les autres traditions religieuses ; pas seulement avec une tradition religieuse particulière, mais avec l’ensemble des grandes religions de l’humanité. On y découvre de nouvelles traditions religieuses avec des coutumes et des rites peu connus, des logiques de pensée très différentes. On perçoit pour le christianisme la difficulté de tenir ensemble un dialogue avec des religions aussi différentes : des religions dans lesquelles Dieu créateur est l’unique Dieu qui est en relation avec l’homme ; d’autres dans lesquelles les notions de création, de Dieu, ou de salut, n’ont pas de sens ; et d’autres enfin où le monde est lui-même un être vivant peuplé de force de vie.
Le dialogue ne se vit pas seul, mais à deux ou plus. Il dépend pour une bonne part de l’histoire et de la culture de chacun, des mémoires collectives véhiculées par les uns et les autres. Dans ce contexte, ce livre nous donne une bonne idée des initiatives prises de part et d’autre ainsi que des difficultés à affronter si on veut aller plus loin dans la rencontre. Il aborde les débats de fond posés par l’ouverture aux autres et la confrontation de nos idées sur Dieu et sur l’homme. On perçoit à la lecture de ces pages que la simple confrontation des énoncés dogmatiques ne signifie pas grand-chose si chaque énoncé n’est pas regardé selon la cohérence propre de sa religion. La foi énoncée, la foi vécue et la foi célébrée doivent être envisagées ensemble, de part et d’autre, pour que le regard sur l’autre respecte la dynamique propre de chacun. Les logiques des uns et des autres ne sont pas nécessairement directement superposables : par exemple, là où certains vont opposer monothéisme et polythéisme, d’autre n’y verront aucune opposition ; là ou certains mettent l’accent sur une orthodoxie, d’autre pensent que c’est dans l’orthopraxie qu’on doit d’abord être fidèle à sa foi…
Les rencontres entre les chrétiens et les membres d’autres religions constituent une réalité incontournable de la mondialisation. Elles ne seront fécondes que dans la mesure où elles sont vécues à la fois comme une ouverture et comme un enrichissement de la tradition de chacun. Mais cela n’est pas toujours facile à vivre. La complexité des défis posés à la foi chrétienne nous oblige à approfondir celle-ci. C’est la raison pour laquelle le dernier chapitre de ce livre est consacré à la théologie chrétienne des religions. Il redit les fondements du dialogue interreligieux et ouvre quelques pistes éclairantes pour comprendre l’évolution de la théologie dans ce domaine.
François Bousquet, professeur au Theologicum – Faculté de Théologie et de Sciences Religieuses de l’Institut catholique de Paris, est vice-recteur chargé de la recherche à l’Institut catholique de Paris. Henri de La Hougue, maître de conférences au Theologicum, est directeur adjoint de l’ISTR. Il est aussi co-président du GRIC