Salim Bachi, Le silence de Mahomet, roman, Gallimard (NRF), 2008, 349 pages, 20 euros.
Comment le faire connaître sans le faire voir ?
Moustapha Akkad avait réussi à respecter l’aniconisme de la tradition musulmane dans son film Le Message, en utilisant le procédé de la caméra subjective pour ne pas représenter le Prophète de l’islam. Le film réalisé en 1976 au Maroc et en Libye présente une superbe fresque des débuts de l’islam.
Slimane Benaïssa, dans sa pièce de théâtre Prophètes sans Dieu (Ed. Lansman, Bruxelles, 1999), poussait jusqu’au bout cette tradition pour la questionner. Le célèbre auteur et metteur en scène de Guelma, qui fût directeur du Théâtre Régional d’Annaba, met en scène Moïse et Jésus convoqués pour un sommet de prophètes sommés de s’expliquer sur un monde où les choses vont si mal entre fils d’Abraham. Mais le troisième homme, Mohammed, se fait attendre… au point que le metteur en scène est mis en demeure de s’expliquer sur la non-représentation de son prophète préféré.
Salim Bachi, dans Le silence de Mahomet, introduit cette problématique dans le genre romanesque. Tour à tour prennent la parole Khadija, la première épouse, Abou Bakr, le premier calife, Khalid ibn al-Walid, le grand combattant de l’islam conquérant et Aïcha, la plus jeune des épouses du Prophète de l’islam.
Le roman se montre au premier abord très fidèle à l’hagiographie donnée dans la Sîra du Prophète. Il apparaît aussi que l’auteur n’ignore pas les chroniques historiques. Mais derrière la fidélité dans la forme à la non-représentation du Prophète qui ne prend pas directement la parole, l’auteur se montre surtout sensible aux questions de l’homme contemporain sur les débuts de l’islam, dans les perplexités d’Abou Bakr sur les violences entre musulmans marquant la succession de Mahomet (p. 124 ou 133) ou celles d’Aïcha sur le vêtement féminin (p. 280 ou 347) ou encore, quand l’oncle et le grand-père de Mohammed, ses protecteurs et défenseurs, sont pourtant l’un et l’autre voués à l’enfer parce qu’ils n’ont pas embrassé la vraie religion (p. 36 ou 84). Il n’élude pas la violence de l’expulsion des juifs de Médine (p. 290 sq) ou comment la révélation permet au Prophète d’épouser la femme de Zayd (p. 267). Il prend même quelquefois parti à rebours de la tradition comme sur l’illettrisme du Prophète (p. 23 ou 63). La fidélité sur la forme n’empêche donc pas l’auteur d’avoir une approche très moderne et libre sur le fond.
Un autre aspect étonnant de l’ouvrage réside dans les nombreux clins d’œil établissant des parallèles entre la vie de Mohammed et celle des Prophètes qui l’ont précédé : avec Adam cachant sa nudité (p. 59), avec Abraham reconstruisant la Kaaba, avec Ismaël (p. 76). Mais c’est surtout avec Jésus que la volonté de manifester le parallèle est frappante ; la rencontre de Mohammed à 12 ans avec le moine Bouhayra étant un sommet dans ce domaine, évoquant autant la présentation de Jésus au Temple avec Syméon que la rencontre des docteurs du Temple de Jérusalem quand Jésus a 12 ans (pp 44-50). L’auteur appuie ainsi de façon aussi belle que subtile la manière dont Mohammed s’inscrit dans la lignée des prophètes qui l’ont précédé.
Le genre romanesque employé par l’auteur, en faisant parler d’autres acteurs que le personnage principal, n’a donc pas seulement pour fonction de donner à connaître de manière plaisante le fondateur et le milieu des origines, comme l’employa pour Jésus l’exégète Gerd Theissen dans L’ombre du Galiléen (Cerf, 1988). Il est aussi un beau moyen de donner un écho tant à la fascination qu’aux interrogations de l’homme d’aujourd’hui devant la grande figure du prophète de l’islam.
Michel Guillaud