L’affaire des caricatures du prophète Mohamed continue à alimenter la colère des musulmans. Par leur caractère offensant, qui renforce les stéréotypes assimilant l’islam à la violence et au terrorisme, les caricatures ont porté atteinte aux valeurs les plus profondes des croyants. Dans nombre de pays musulmans, les réactions à cet acte diffamatoire furent violentes faisant même des morts. Il est erroné d’imputer cette effervescence à la seule manipulation politicienne. A ceux qui se sont ingéniés à délégitimer les voix de l’indignation, les musulmans et les non musulmans ont répondu par la négative. En effet, même si les tentatives de récupération des deux cotés sont réelles et la tournure prise par la crise n’exclut pas du tout la manipulation, ceci ne doit en aucun cas cacher la profondeur de l’indignation et de l’humiliation ressentie par les musulmans, aussi d’ailleurs par tous les croyants, devant cette insinuation perverse. Peut-on justifier de tels actes par le caractère essentiel de la liberté d’expression ? Peut-on garantir les libertés essentielles sans se soucier de réduire le risque de violence ? Non.
Une liberté sans limites est nécessairement liberticide car violente. La « liberté de tout dire » brandie par les gardiens du « temple sacré de la démocratie »pourrait restreindre (et c’est le cas dans cette affaire ) la liberté d’autrui , lui infliger des dommages , le menacer , menacer la paix sociale et du coups se retourner contre la société qu’elle a voulu servir.
En fait la violence n’est pas seulement d’ordre physique, celle morale et symbolique pourrait être vécue comme pire. Ces caricatures (et il ne s’agit ni de condamner la pratique en elle même, ni la liberté d’usage) n’ont pas brocardé un courant idéologique, une personnalité publique ou quelqu’un qui prétend parler au nom de l’Islam, la bombe dans le turban du prophète est sans équivoque. S’en prendre au symbole central de l’islam ou de toute autre religion n’est qu’injure faite à tout croyant qui y adhère.
Donc, loin de vouloir exercer leur droit à la liberté d’expression, les caricaturistes ont, au contraire chercher à attiser la haine envers les musulmans. La liberté d’expression, qui devrait être un fondement de toute société, ne saurait être ni une valeur figée ni un droit absolu. Elle est assortie de responsabilité pour tout le monde et ne peut porter en elle même le droit de mépriser autrui ni l’agresser. Cela dit, y a-t-il lieu de légitimer la violence contre les biens et les personnes qui n’ont ni la responsabilité ni le contrôle de ce type d’actes ?
Gardons-nous de l’amalgame dans le traitement des faits. Si tout croyant a le droit d’exprimer sa colère et de défendre sa religion et sa culture, son devoir est d’être juste. La violence et l’incitation au meurtre ne relèvent pas de la justice à laquelle la parole divine appelle. D’autant plus, la grandeur intrinsèque de l’Islam et la réputation inaltérable du prophète n’ont sûrement pas besoin d’actes irréfléchis pour les défendre. Par contre, et tout en passant par des pratiques civilisées, il est de droit de tout croyant d’exiger le respect de sa religion sur la base de lois (souhaitables dans les pays ou’ elles n’existent pas encore) qui, loin d’interdire la libre critique, l’obligent à prendre une forme intelligente favorisant la paix et la convivialité. Dans un contexte qui voit s’aggraver l’intolérance et la suspicion, on ne peut s’empêcher de penser que l’enjeu de cette provocation dépasse le débat sur les libertés pour rejoindre la cause des apôtres des « chocs » qui misent sur la capacité des religions à enflammer les conflits. A ceux-ci il conviendrait de faire remarquer que même si les religions n’ont pu effacer l’aspiration de l’homme à la domination, elles n’ont nullement pour vocation d’encourager les guerres. Nos différentes croyances ont structuré des sociétés, mené des hommes à s’élever moralement et à vaincre le désespoir. En leur nom, nous sommes tenus à être vigilants afin de ne point faciliter la tache des pyromanes.
Un dernier mot aux médias : dans notre espace médiatique globalisé les médias sont plus que jamais appelés à accomplir leur mission avec tact et responsabilité en vue d’une information juste et constructive, car désormais, l’actualité d’un pays peut avoir des effets considérables dans le reste du monde.
Par Chabchoub Lajmi Sémia (GRIC-Tunis)