L’éducation à la tolérance dans la philosophie islamique médiévale : de la Foi à la Raison (publié dans Rassegna Di Pédagogia, Païdagogische Umascham, LXXVIII. 3-4 Luglio-Decembre. 2020)
A la réunion du GRIC tenue virtuellement, le 17 mai 2021, à 17h30, heure de Tunisie, le texte de Dr Aicha Ladhiri a fait l’objet d’un tour de table virtuel entre les membres présents, laissant un impact sérieux sur le fondement et le devenir du concept tolérance qui, à ce jour, n’a pas encore été assumé par toutes les nations de la planète-terre, à échelle égale et dans les conditions favorables à son expansion indépendamment du dogme religieux ici ou du dogme idéologique là ou du fait que le concept n’appartient pas essentiellement au vocabulaire en vigueur dans tel ou tel autre contexte social.
Notre propos s’assigne pour objectif d’adresser au public averti une idée critique et analytique, émanant des différents points de vue et regards portés sur le texte susmentionné, sans pour autant occulter le noble message du texte lui-même, confectionné avec brio et intelligence dans le but de hisser la philosophie islamique médiévale au rang de la philosophie universelle.
Dr Aicha Ladhiri se penche sur un concept qui fait appel au savoir être et être avec, au savoir gérer les ressources humaines dans leurs diversités discordantes et au savoir s’accepter comme des relais d’expériences humaines uniques et indispensables pour une approche plurielle de la réalité pluridimensionnelle.
Origine du concept « Tolérance »
Le concept de tolérance sur le plan étymologique : Venant du Latin : « Tolerantia », le concept signifierait : endurance, patience, résignation. Venant de « Tolerare », il signifierait : supporter […]
En matière de religion, de philosophie, de culture ou de politique, la tolérance serait, eu égard, aux définitions qui lui sont allouées, la capacité à accepter et à respecter des idées, des sentiments, des manières d’agir différentes des siennes.
Perçue sous cet angle, la tolérance s’est retrouvée théorisée par la Philosophie occidentale, à partir des XVIIe et XVIIIe siècles, comme un concept habilité à mettre fin aux hostilités religieuses, sociales et politiques.
Toutefois, l’étymologie du concept laisse pressentir que tolérer signifierait qu’on admet avec une certaine passivité, une certaine condescendance peut-être, ce qu’on aurait le pouvoir d’empêcher ou le droit d’interdire.
Par contre, nous sommes portée à croire aussi que tolérer serait consciemment et librement une ouverture à l’autre, une reconnaissance mutuelle marquée par le respect de la dignité de tout être humain et une acceptation des différences sans restriction de la liberté d’autrui.
Bien que nous reconnaissions les risques d’abus liés à la tolérance, il n’en demeure pas moins qu’elle soit pour de nombreuses sociétés, surtout celles pluriethniques et pluriconfessionnelles, une valeur de référence non décrétée par la loi et portant en elle les ingrédients indispensables au maintien d’un convivium pacifié.
Comprise ainsi, la tolérance serait le facteur éthique qui contribue au progrès social et au progrès des connaissances. De même, elle promeut l’autonomie individuelle, le développement moral et celui culturel, autorisant ainsi la croissance et l’épanouissement d’une société libre et démocratique.
Où se situe le concept de tolérance dans l’article de Dr Aicha Ladhiri ?
L’auteure puise sa réflexion principalement dans deux écrits philosophiques choisis comme références de base au thème de l’article : Fayçal al-tafriqa bayn al islam wa-l-zandaqa (traduit sous le titre : Le critère de distinction entre l’islam et l’incrédulité clandestine) de Ghazâlî ; et le second : Fasl al-maqal fî mâ bayn al Shari’a wa-l-hikmah min al-ittissal, (traduit sous le titre : Discours décisif sur l’accord de la religion et de la philosophie) de Ibn Rushd.
L’auteure n’est pas sans savoir l’interdépendance entre éducation et tolérance, pourtant, elle n’occulte pas, par ailleurs, l’indépendance des deux concepts, en raison de leur origine et de l’objectif assigné à chaque concept en soi.
L’auteure, au-delà de la complexité du thème abordé, ne baisse pas les bras. Elle est en quête inlassable de lien entre les concepts pour confirmer une conciliation possible.
Ladhiri compte donc sur Ghazâli et Ibn Rushd, deux philosophes nés dans deux empires islamiques différents, le premier à Tûs et le second à Cordoue.
Chez Ghazâlî, Ladhiri perçoit la tolérance dans le travail théologico philosophique, précurseur et protecteur de l’acceptation de l’altérité et du vivre-ensemble. Ladhiri trouve que Ghazâlî se dresse contre les extrémistes [de son temps] qui jettent l’anathème, à tort et à travers, sur n’importe quelle personne qui ne partage pas leur avis ou leur interprétation de la Révélation, ou qui s’exprime librement et autrement.
Chez Ibn Rushd, Ladhiri s’attarde sur une similitude entre les deux philosophes en matière d’éducation et de tolérance, bien que chacun ait sa spécificité philosophique et son courant propre.
Il serait bon de signaler que le concept « tolérance », en lui-même, ne figure pas dans les textes philosophiques, il est plutôt implicite. L’auteure, dans sa recherche, a pioché dans le jardin ghazâlien et rushdien pour extraire la notion de tolérance ou pour rapprocher son corollaire.
Par contre l’intolérance religieuse est prédominante, Ladhiri la mentionne entre musulmans extrémistes, fanatiques et philosophes rationnels et modérés.
L’accent est mis, aussi bien chez Ghazâlî qu’Ibn Rushd, sur leur effort rationnel, linguistique, épistémologique, sémantique, pour assainir un certain dogmatisme inter sectaire, sévère et influent, s’abstenir d’accuser les gens d’infidélité (takfîr) et pour s’ouvrir à l’autre à partir d’une voie qui permette le passage obligé de la foi à la raison.
La tâche n’est point une besogne facile.
Née dans le giron de Kaffara (accuser d’infidélité), et de ses dérivés dont al Kufr (l’infidélité) et al-kafer (l’infidèle), la tolérance en tant que concept est absente dans le Livre de la Révélation. Par contre, des dizaines de versets coraniques, dispersés dans nombre de sourates, évoquent le pardon, la charité, l’équité, la bonté à l’égard d’autrui, etc. ; et se rapprochent dans leur contenu de la notion de tolérance dans tout ce qu’elle illustre, voire la dépassent, parce que l’appel à l’acceptation de l’autre n’est pas géré par « tolerare » mais, pour le musulman croyant, l’appel en question est un ordre de Dieu.
Ladhiri adopte la pédagogie des deux philosophes qui conçoivent la tolérance, d’une part, comme une législation de l’intolérance contre l’intolérance inter sectaire, et, par ailleurs, comme une reconnaissance de l’autre et de son droit légitime de penser autrement.
Conscients du danger que cette intolérance dogmatique peut causer, Ghazâlî et Ibn Rushd n’hésitent pas à prononcer des verdicts. Ghazâlî aurait interdit la pratique de la théologie par n’importe quelle personne et Ibn Rushd aurait considéré comme infidèle toute personne qui se permet d’accuser d’infidélité.
En somme, Ghazâlî et Ibn Rushd, deux mentors de l’âge d’or de l’islam culturel, n’ont pas renoncé à la suprématie de la Raison humaine ni ont nié la Foi.
Au contraire, dans des circonstances politiques souvent hostiles à la liberté de l’esprit et aux philosophes, au cœur d’un dogmatisme suffisamment fanatique pour soulever la masse contre la pensée rationnelle ou pour forcer la main du gouverneur pour faire taire le philosophe ou le contraindre au bas profil pour se protéger lui-même, Ghazâlî et Ibn Rushd ont tenté, contre marées et vents, de propulser de nouvelles idées, de creuser dans le Livre pour en tirer un processus de vie, une théorie, un droit assuré et assumé et une vision…
Les deux philosophes ont eu des disciples qui ont perpétués leurs souvenirs, creusé dans leur patrimoine culturel, philosophique, juridique et théologique pour que la flamme de la raison demeure ce support qui étreint la foi et la protège de la digression.
Evidemment, Ladhiri actualise la réflexion de Ghazali et d’Ibn Rushd. Elle les lit à la lumière du XXIe siècle. Le succès de l’auteure est d’avoir mis la pensée des deux philosophes dans leur contexte social et dans leur temps sans négliger que là où la raison s’impose, s’inscrit le sens universel…
Que la tolérance sortie de la philosophie de Ghazâlî soit comprise comme une conciliation entre la foi et la raison tout en reconnaissant la suprématie de la Foi sur la Raison, et qu’Ibn Rushd ait contribué par le droit philosophique à rejeter les interprétations qui défavorisent la religion, mettant ainsi la suprématie de la Raison au-devant de la scène, il n’en demeure pas moins que le concept de « tolérance » n’aurait pu se libérer davantage pour surgir sous sa forme philosophique pure et dans sa dimension universelle.
A la question : pourquoi le concept « tolérance » se cherche dans d’autres concepts chez les deux philosophes ?
Ladhiri répond avec transparence que sa recherche a contribué à montrer comment les deux philosophes ont mobilisé leurs capacités mentales entre la loi rationnelle et la révélation et à dévoiler chez eux la conception de la compréhension humaine et de ses mécanismes.
Cet effort investi est à l’honneur des deux philosophes qui, de manière bien que différente à plus d’égards, ont permis à la société musulmane de leur temps et de tout temps, de comprendre que l’être humain est doté d’une hiérarchie de capacités mentales qui l’autorise à recourir à son entendement pour saisir la portée la plus profonde de la Révélation et que, par ailleurs, l’être humain est appelé à s’interroger constamment sur son savoir en matière de religion et à éviter les idées figées et immuables que conteste la volonté divine hostile à la passivité de l’être humain.
Croire est un processus que nous construisons à la lumière de la foi et de la raison. Les concepts qui font date ne proviennent que des épreuves que vivent les sociétés humaines au cours de leur histoire.
Les philosophes de tout temps et de tout lieu se positionnent entre l’enjeu de la raison et l’aura de la « vérité » de la religion.
Alors qu’en vérité, Dieu n’a jamais voulu se retenir dans un discours ou dans une vérité appropriée à l’un et non à l’autre, ni emprisonner les hommes dans les dogmes. Les philosophes n’ont pas la vérité, leur modestie fait d’eux des modèles à suivre et à imiter en tant que chercheurs sur les voies du savoir qui aide l’humanité à se conduire vers la vérité.
Eduquer à la tolérance ne se contente pas d’une structure en matière d’interprétation coranique entre extrémistes et modérés. Eduquer à la tolérance est un système de vie, une identité en construction permanente, où l’autre n’est pas uniquement le musulman qui pense autrement qu’un autre musulman, mais n’importe quel autre est un non moi que je dois respecter, dans sa différence comme égal à moi musulman fut-il ou pas.
Eduquer à la tolérance est une philosophie de vie qui reconnait l’unité dans la diversité.
Eduquer à la tolérance dans le sens ghazalien et rushdien est un phénomène inédit dans l’histoire de l’islam culturel qui, confirmé en religion divine, invite l’être humain à l’interroger, à l’exploiter, à l’explorer, à foncer dans la genèse des mots, pour nantir le patrimoine culturel et philosophique de la lumière de la raison qui nous rapproche de la « Vérité ».
Merci Aicha Ladhiri de dépoussiérer ce legs philosophique islamique qui nous autorise à affirmer que les philosophes musulmans de l’époque médiévale ont, à l’instar des philosophes grecs, élaboré les premiers principes de l’éducation d’un musulman ouvert à l’altérité.
L’éducation à la tolérance dans la philosophie islamique médiévale : de la Foi à la Raison (publié dans Rassegna Di Pédagogia, Païdagogische Umascham, LXXVIII. 3-4 Luglio-Decembre. 2020)
A la réunion du GRIC tenue virtuellement, le 17 mai 2021, à 17h30, heure de Tunisie, le texte de Dr Aicha Ladhiri a fait l’objet d’un tour de table virtuel entre les membres présents, laissant un impact sérieux sur le fondement et le devenir du concept tolérance qui, à ce jour, n’a pas encore été assumé par toutes les nations de la planète-terre, à échelle égale et dans les conditions favorables à son expansion indépendamment du dogme religieux ici ou du dogme idéologique là ou du fait que le concept n’appartient pas essentiellement au vocabulaire en vigueur dans tel ou tel autre contexte social.
Notre propos s’assigne pour objectif d’adresser au public averti une idée critique et analytique, émanant des différents points de vue et regards portés sur le texte susmentionné, sans pour autant occulter le noble message du texte lui-même, confectionné avec brio et intelligence dans le but de hisser la philosophie islamique médiévale au rang de la philosophie universelle.
Dr Aicha Ladhiri se penche sur un concept qui fait appel au savoir être et être avec, au savoir gérer les ressources humaines dans leurs diversités discordantes et au savoir s’accepter comme des relais d’expériences humaines uniques et indispensables pour une approche plurielle de la réalité pluridimensionnelle.
Origine du concept « Tolérance »
Le concept de tolérance sur le plan étymologique : Venant du Latin : « Tolerantia », le concept signifierait : endurance, patience, résignation. Venant de « Tolerare », il signifierait : supporter […]
En matière de religion, de philosophie, de culture ou de politique, la tolérance serait, eu égard, aux définitions qui lui sont allouées, la capacité à accepter et à respecter des idées, des sentiments, des manières d’agir différentes des siennes.
Perçue sous cet angle, la tolérance s’est retrouvée théorisée par la Philosophie occidentale, à partir des XVIIe et XVIIIe siècles, comme un concept habilité à mettre fin aux hostilités religieuses, sociales et politiques.
Toutefois, l’étymologie du concept laisse pressentir que tolérer signifierait qu’on admet avec une certaine passivité, une certaine condescendance peut-être, ce qu’on aurait le pouvoir d’empêcher ou le droit d’interdire.
Par contre, nous sommes portée à croire aussi que tolérer serait consciemment et librement une ouverture à l’autre, une reconnaissance mutuelle marquée par le respect de la dignité de tout être humain et une acceptation des différences sans restriction de la liberté d’autrui.
Bien que nous reconnaissions les risques d’abus liés à la tolérance, il n’en demeure pas moins qu’elle soit pour de nombreuses sociétés, surtout celles pluriethniques et pluriconfessionnelles, une valeur de référence non décrétée par la loi et portant en elle les ingrédients indispensables au maintien d’un convivium pacifié.
Comprise ainsi, la tolérance serait le facteur éthique qui contribue au progrès social et au progrès des connaissances. De même, elle promeut l’autonomie individuelle, le développement moral et celui culturel, autorisant ainsi la croissance et l’épanouissement d’une société libre et démocratique.
Où se situe le concept de tolérance dans l’article de Dr Aicha Ladhiri ?
L’auteure puise sa réflexion principalement dans deux écrits philosophiques choisis comme références de base au thème de l’article : Fayçal al-tafriqa bayn al islam wa-l-zandaqa (traduit sous le titre : Le critère de distinction entre l’islam et l’incrédulité clandestine) de Ghazâlî ; et le second : Fasl al-maqal fî mâ bayn al Shari’a wa-l-hikmah min al-ittissal, (traduit sous le titre : Discours décisif sur l’accord de la religion et de la philosophie) de Ibn Rushd.
L’auteure n’est pas sans savoir l’interdépendance entre éducation et tolérance, pourtant, elle n’occulte pas, par ailleurs, l’indépendance des deux concepts, en raison de leur origine et de l’objectif assigné à chaque concept en soi.
L’auteure, au-delà de la complexité du thème abordé, ne baisse pas les bras. Elle est en quête inlassable de lien entre les concepts pour confirmer une conciliation possible.
Ladhiri compte donc sur Ghazâli et Ibn Rushd, deux philosophes nés dans deux empires islamiques différents, le premier à Tûs et le second à Cordoue.
Chez Ghazâlî, Ladhiri perçoit la tolérance dans le travail théologico philosophique, précurseur et protecteur de l’acceptation de l’altérité et du vivre-ensemble. Ladhiri trouve que Ghazâlî se dresse contre les extrémistes [de son temps] qui jettent l’anathème, à tort et à travers, sur n’importe quelle personne qui ne partage pas leur avis ou leur interprétation de la Révélation, ou qui s’exprime librement et autrement.
Chez Ibn Rushd, Ladhiri s’attarde sur une similitude entre les deux philosophes en matière d’éducation et de tolérance, bien que chacun ait sa spécificité philosophique et son courant propre.
Il serait bon de signaler que le concept « tolérance », en lui-même, ne figure pas dans les textes philosophiques, il est plutôt implicite. L’auteure, dans sa recherche, a pioché dans le jardin ghazâlien et rushdien pour extraire la notion de tolérance ou pour rapprocher son corollaire.
Par contre l’intolérance religieuse est prédominante, Ladhiri la mentionne entre musulmans extrémistes, fanatiques et philosophes rationnels et modérés.
L’accent est mis, aussi bien chez Ghazâlî qu’Ibn Rushd, sur leur effort rationnel, linguistique, épistémologique, sémantique, pour assainir un certain dogmatisme inter sectaire, sévère et influent, s’abstenir d’accuser les gens d’infidélité (takfîr) et pour s’ouvrir à l’autre à partir d’une voie qui permette le passage obligé de la foi à la raison.
La tâche n’est point une besogne facile.
Née dans le giron de Kaffara (accuser d’infidélité), et de ses dérivés dont al Kufr (l’infidélité) et al-kafer (l’infidèle), la tolérance en tant que concept est absente dans le Livre de la Révélation. Par contre, des dizaines de versets coraniques, dispersés dans nombre de sourates, évoquent le pardon, la charité, l’équité, la bonté à l’égard d’autrui, etc. ; et se rapprochent dans leur contenu de la notion de tolérance dans tout ce qu’elle illustre, voire la dépassent, parce que l’appel à l’acceptation de l’autre n’est pas géré par « tolerare » mais, pour le musulman croyant, l’appel en question est un ordre de Dieu.
Ladhiri adopte la pédagogie des deux philosophes qui conçoivent la tolérance, d’une part, comme une législation de l’intolérance contre l’intolérance inter sectaire, et, par ailleurs, comme une reconnaissance de l’autre et de son droit légitime de penser autrement.
Conscients du danger que cette intolérance dogmatique peut causer, Ghazâlî et Ibn Rushd n’hésitent pas à prononcer des verdicts. Ghazâlî aurait interdit la pratique de la théologie par n’importe quelle personne et Ibn Rushd aurait considéré comme infidèle toute personne qui se permet d’accuser d’infidélité.
En somme, Ghazâlî et Ibn Rushd, deux mentors de l’âge d’or de l’islam culturel, n’ont pas renoncé à la suprématie de la Raison humaine ni ont nié la Foi.
Au contraire, dans des circonstances politiques souvent hostiles à la liberté de l’esprit et aux philosophes, au cœur d’un dogmatisme suffisamment fanatique pour soulever la masse contre la pensée rationnelle ou pour forcer la main du gouverneur pour faire taire le philosophe ou le contraindre au bas profil pour se protéger lui-même, Ghazâlî et Ibn Rushd ont tenté, contre marées et vents, de propulser de nouvelles idées, de creuser dans le Livre pour en tirer un processus de vie, une théorie, un droit assuré et assumé et une vision…
Les deux philosophes ont eu des disciples qui ont perpétués leurs souvenirs, creusé dans leur patrimoine culturel, philosophique, juridique et théologique pour que la flamme de la raison demeure ce support qui étreint la foi et la protège de la digression.
Evidemment, Ladhiri actualise la réflexion de Ghazali et d’Ibn Rushd. Elle les lit à la lumière du XXIe siècle. Le succès de l’auteure est d’avoir mis la pensée des deux philosophes dans leur contexte social et dans leur temps sans négliger que là où la raison s’impose, s’inscrit le sens universel…
Que la tolérance sortie de la philosophie de Ghazâlî soit comprise comme une conciliation entre la foi et la raison tout en reconnaissant la suprématie de la Foi sur la Raison, et qu’Ibn Rushd ait contribué par le droit philosophique à rejeter les interprétations qui défavorisent la religion, mettant ainsi la suprématie de la Raison au-devant de la scène, il n’en demeure pas moins que le concept de « tolérance » n’aurait pu se libérer davantage pour surgir sous sa forme philosophique pure et dans sa dimension universelle.
A la question : pourquoi le concept « tolérance » se cherche dans d’autres concepts chez les deux philosophes ?
Ladhiri répond avec transparence que sa recherche a contribué à montrer comment les deux philosophes ont mobilisé leurs capacités mentales entre la loi rationnelle et la révélation et à dévoiler chez eux la conception de la compréhension humaine et de ses mécanismes.
Cet effort investi est à l’honneur des deux philosophes qui, de manière bien que différente à plus d’égards, ont permis à la société musulmane de leur temps et de tout temps, de comprendre que l’être humain est doté d’une hiérarchie de capacités mentales qui l’autorise à recourir à son entendement pour saisir la portée la plus profonde de la Révélation et que, par ailleurs, l’être humain est appelé à s’interroger constamment sur son savoir en matière de religion et à éviter les idées figées et immuables que conteste la volonté divine hostile à la passivité de l’être humain.
Croire est un processus que nous construisons à la lumière de la foi et de la raison. Les concepts qui font date ne proviennent que des épreuves que vivent les sociétés humaines au cours de leur histoire.
Les philosophes de tout temps et de tout lieu se positionnent entre l’enjeu de la raison et l’aura de la « vérité » de la religion.
Alors qu’en vérité, Dieu n’a jamais voulu se retenir dans un discours ou dans une vérité appropriée à l’un et non à l’autre, ni emprisonner les hommes dans les dogmes. Les philosophes n’ont pas la vérité, leur modestie fait d’eux des modèles à suivre et à imiter en tant que chercheurs sur les voies du savoir qui aide l’humanité à se conduire vers la vérité.
Eduquer à la tolérance ne se contente pas d’une structure en matière d’interprétation coranique entre extrémistes et modérés. Eduquer à la tolérance est un système de vie, une identité en construction permanente, où l’autre n’est pas uniquement le musulman qui pense autrement qu’un autre musulman, mais n’importe quel autre est un non moi que je dois respecter, dans sa différence comme égal à moi musulman fut-il ou pas.
Eduquer à la tolérance est une philosophie de vie qui reconnait l’unité dans la diversité.
Eduquer à la tolérance dans le sens ghazalien et rushdien est un phénomène inédit dans l’histoire de l’islam culturel qui, confirmé en religion divine, invite l’être humain à l’interroger, à l’exploiter, à l’explorer, à foncer dans la genèse des mots, pour nantir le patrimoine culturel et philosophique de la lumière de la raison qui nous rapproche de la « Vérité ».
Merci Aicha Ladhiri de dépoussiérer ce legs philosophique islamique qui nous autorise à affirmer que les philosophes musulmans de l’époque médiévale ont, à l’instar des philosophes grecs, élaboré les premiers principes de l’éducation d’un musulman ouvert à l’altérité.