par Ilario ANTONIAZZI Archevêque de Tunis
Année 2018 : Rachid Koraïchi me visitait. « Je suis un artiste. Je voudrais réaliser en Tunisie le « jardin d’Afrique » à Zarzis. C’est un cimetière, un coin de paradis pour les migrants, les désespérés de la mer que le monde ne veut pas et la mer non plus ».
J’ai vu naitre et grandir, par ses photos, ce « jardin d’Afrique ». On a dit que le dé[1]sert fleurirait un jour et deviendrait un jar[1]din et c’est vrai. On dit aussi que la Méditerranée est le plus grand cimetière moderne mais on oublie que le désert du Sahara lui fait « concurrence ». Combien de désespérés sont-ils enterrés dans ses sables cherchant un Eldorado en Europe qui n’existait et n’existe que dans leur imagination ? Et qui prie et pleure pour les morts du Sahara et de la mer ? Qui leur donne un dernier salut et un enterrement digne ? Rachid Koraïchi, artiste algérien, croyant en Dieu et en la dignité de tout homme, a vendu ses œuvres pour réaliser un lieu de deuil, de prière et de sépulture pour eux. Ce cimetière veut être comme le « tombeau du soldat inconnu » car beaucoup n’ont pas un nom, ils sont inconnus. Zarzis 9 juin : j’ai participé à l’inauguration du « Jardin d’Afrique » sous le patronage de Audrey Azoulay directrice générale de l’Unesco. Je ne pouvais manquer le rendez-vous, je l’avais promis à Rachid Koraïchi. Avec une grande émotion et respect je suis rentré dans ce « Jardin d’Afrique » : nombreuses tombes sont déjà remplies. Chaque angle de ce jardin a été bien soigné depuis le carrelage en carreaux typiques de la Tunisie jusqu’aux espaces verts avec cinq oliviers symbolisant les cinq piliers de l’islam et la paix que retrouveront ici les morts en mer et douze vignes rappellent les douze apôtres de l’Evangile. Des jasmins, des galants de nuit et autres arbustes embaument ce jardin où arrivent parfois des corps en état de décomposition. Toutes ces plantes parmi les 600 tombes prévues nous rappellent que nous foulons la terre d’un vrai jardin, le « Jardin d’Afrique ». Des bâtiments sont déjà prévus pour faire des autopsies sur place et faciliter l’identification des dé[1]pouilles par le gène ADN et les rapatrier si leur famille le désire. Bien émouvante était la prière de bénédiction commune qu’un rabbin, un iman et moi-même avons élevé pour implorer du Dieu des vivants et des morts le repos pour tous ceux qui reposent dans ce « Jardin d’Afrique » que le fondateur a bien voulu, avec raison, aconfessionnel. Lampedusa 2013. Le Pape François faisait sa première sortie du Vatican à Lampedusa, pour prier et pleurer pour les milliers de morts en mer « Seigneur, priait-il, donnez-nous la grâce des larmes, de pleurer sur nos frères noyés dans la méditerranée. Donnez-nous la grâce de ne pas devenir un jour indifférents insensibles devant ce drame ». Rachid Koraïchi veut agrandir son Jardin car « les 200 places vacantes seront occupées d’ici la fin d’année » disait-il. Le Pape François affirmait : « Le monde tourne la tête de l’autre côté et fait semblant de ne pas voir ce drame ». Jusqu’à quand ?
par Ilario ANTONIAZZI Archevêque de Tunis