par Gric
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Depuis plusieurs semaines, le monde musulman interpelle la communauté internationale, suite à la publication de caricatures du Prophète Muhammad dans un journal danois…
Ces événements graves posent toute une série de questions :
La question de la représentation du prophète de l’islam
La question du droit d’expression et, particulièrement, du droit de caricaturer
La question des manipulations de la situation et de l’explosion de la violence.
Au-delà des convictions religieuses, cela oblige à réfléchir sur les notions de liberté, d’Egalité et de fraternité
A ce propos, le père Christian Delorme, prêtre du diocèse de Lyon, propose une analyse ainsi que Jean-Marie Muller, porte-parole du Mouvement d’alternative non-violente.
Est également disponible une chronologie des faits.
Sur le site du SRI (Secrétariat de l’épiscopat pour le dialogue islamo-chrétien), Jean-Marie Gaudeul, membre du GRIC de Paris nous partage la réflexion suivante :
Encore des caricatures ?
Le monde médiatique bruisse de réactions sur les caricatures parus dans un journal danois puis dans un journal français.
Certains feignent de croire que la liberté de la presse est en danger et nécessite des gestes spectaculaires pour affirmer un principe. Sans avoir pris connaissance des dessins incriminés, nous ne pouvons dire que des généralités… espérons, cependant, qu’elles contribueront à faire réfléchir les uns et les autres. Dieu est au-dessus de toute caricature
En fait, ce qui est visé par les caricatures ou les moqueries, c’est plutôt l’idée qu’un groupe de personnes se fait de Lui. La caricature vise à dire à tel ou tel groupe de croyants : “ce que vous nous dites de Dieu ou de sa volonté est critiquable ou risible pour telle ou telle raison, sous tel ou tel aspect”. Est-ce toujours fondé dans la réalité ? Les croyants que nous sommes sont bien conscients qu’ils sont loin de donner de la foi, de la religion et de Dieu lui-même une “image” qui soit à la hauteur… Mais en même temps, comment ne pas admettre que certains font de la dérision leur fond de commerce, leur métier, tandis que d’autres expriment, par ce biais, leur détestation de telle ou telle catégorie de personnes ? Et la liberté d’expression ?
Dans des pays comme le nôtre, il n’est pas question de tenter de pénaliser l’expression des uns ou des autres… On peut trouver regrettable que des humoristes se moquent des convictions de telle ou telle catégorie de croyants… et, en même temps, ne pas vouloir que leur soit intenté un procès ou qu’ils soient l’objet de menaces concernant leurs personnes ou leurs biens.
Oui, nous sommes libres de faire bien des choses sans encourir la rigueur de la loi… Oui, nous avons tous la capacité de nuire à la réputation de notre prochain en respectant la lettre de la loi… Oui, nous pouvons, avec la plus extrême politesse, signifier à quelqu’un notre mépris ou notre inimitié. Certains sont très habiles à ce petit jeu qui consiste à ne pas dire les choses mais à expliquer que “la rumeur court que…”, “les milieux autorisés disent que…” pour rester à l’abri de la Loi tout en disant ce qui va faire mal ou humilier… Bâtir un meilleur “vivre ensemble”
C’est là qu’il nous faut réfléchir plus profondément sur les conséquences de notre liberté de parole. Que cherchons-nous ? On ne peut bâtir un “vivre ensemble”, tel que le rêvent la plupart des gens, sur la dérision ou le mépris. Que cherche-t-on ? allumer un incendie ? provoquer des émeutes ? laisser dans les coeurs de la rancune et de la colère ? faire la preuve que l’on n’a aucun avenir possible en commun ?
Certains groupes visent bien cela !
Mais si nous voulons, au contraire, travailler à ce que les gens se connaissent mieux, apprennent à travailler et à vivre ensemble dans la bonne entente et l’amitié, il faut que notre liberté d’expression accepte de respecter l’autre dans son intimité, dans sa vie privée, dans ses références profondes. Il ne nous est pas demandé d’adopter les idées de l’autre, mais de comprendre son attachement à certaines idées et certains idéaux…
Si un désaccord existe : parlons-en ! c’est cela qui construit ! Mais la dérision blesse, et, parfois, tue ! Il ne s’agit pas de s’interdire tout humour : l’humour contient ce capital de sympathie qui invite même celui qui en est l’objet (à commencer par nous-même) à sourire aussi, à partager la plaisanterie ! La charge de mépris ou d’inimitié que véhicule la dérision empêche ceux qui en sont la cible d’entrer dans l”esprit du “rieur”.
Que gagne-t-on alors à rire de l’autre ?
Jean-Marie Gaudeul Père Blanc, membre du GRIC Paris, responsable du S.R.I.
L’Archevêque de Rabat, le père Vincent Landel propose un poème sur la fraternité :
Si l’autre devenait vraiment mon frère !
Et si l’autre devenait vraiment mon frère !
N’est-ce pas la question à se poser devant ce débat qui parcourt les médias ?
Si l’autre devenait vraiment mon frère, pourrais-je remettre en cause la foi qui le fait vivre ?
Pourrais-je bafouer d’une façon ou d’une autre sa croyance ?
Si l’autre devenait vraiment mon frère, pourrais-je parler de liberté sans vivre le respect ?
Si l’autre devenait vraiment mon frère, pourrais-je le rejeter par des actes de violence contre sa personne ou contre ses biens ?
Si l’autre devenait vraiment mon frère, pourrais-je me permettre de parler de lui négativement dans son dos ?
Pourrais-je me permettre de le détruire jusque dans son intimité ?
Si l’autre devenait vraiment mon frère, je pourrais le rencontrer en vérité ; nous pourrions parler simplement, même si nous ne sommes pas toujours d’accord.
Si l’autre devenait vraiment mon frère, sa rencontre me ferait grandir ; et je suis sûr qu’il grandirait aussi.
Si l’autre devenait vraiment mon frère, nos regards pourraient se croiser, et un véritable sourire rayonnerait sur nos visages.
Si l’autre devenait vraiment mon frère, quel monde passionnant nous pourrions construire !
Vincent LANDEL s.c.j. Archevêque de Rabat