GRELOT Pierre, Dialogues avec un musulman, Cerf, Paris, 2004 (218p)
Ce livre nous invite à prendre part aux rencontres que Pierre Grelot a eues pendant deux années avec un jeune marocain nommé Ahmed. Alors que les échanges entre musulmans et chrétiens ont été nourris, des siècles durant, de polémiques stériles, ces dialogues, dans le contexte de la France d’aujourd’hui où chrétiens et musulmans peuvent s’exprimer librement, est extrêmement enrichissant. Les musulmans y découvriront une présentation de la foi chrétienne qui essaie de prendre en compte leurs objections. Les chrétiens comprendront mieux quelles peuvent être les difficultés éprouvées par un musulman qui cherche à comprendre la foi chrétienne et y trouveront des repères essentiels pour percevoir l’originalité de leur foi au regard de la foi musulmane.
Outre le fait de rendre la lecture vivante, la forme dialogale conservée tout au long du livre a un intérêt pédagogique. Si une théorie du dialogue est possible, un dialogue théorique entre chrétien et musulman n’existe pas. Il n’y a pas un chrétien type, ni un musulman type, ni un mode de dialogue type,… il y a des musulmans avec chacun leur propre conception de la foi musulmane qui discutent avec des chrétiens, lesquels ont eux aussi leur propre manière de se situer dans la foi. Ici le dialogue est incarné. On a à faire d’une part à un jeune musulman marocain étudiant en France, religieux dans ses convictions, qui ne connaît pas pour autant très bien les textes et les ouvrages fondamentaux de la foi musulmane. De l’autre côté, l’auteur est évidemment un excellent connaisseur de la foi chrétienne et de la tradition juive : exégète, théologien, s’intéressant à l’islam, ayant déjà de bonnes connaissances sur l’Islam et en arabe. Il ne s’agit donc pas d’un dialogue qui se veut représentatif d’autres dialogues, mais plutôt des repères théologiques que Pierre Grelot tire de son expérience et des réflexions faites à l’occasion de ces rencontres.
L’auteur essaie de montrer à son interlocuteur combien la foi musulmane et la foi chrétienne sont à la fois extrêmement proches, basées toutes les deux sur l’adoration au Dieu unique ; et en même temps que les conceptions de l’unicité de Dieu, de la manière dont nous nous référons au texte sacré… sont extrêmement différentes. Il parvient à dire simplement ce que les chrétiens comprennent aujourd’hui de Jésus, de l’importance de son historicité, de sa mort et sa résurrection, alors même que la mort de Jésus est niée par le Coran. Il reviendra plusieurs fois sur les thèmes récurrents d’incompréhension musulmane par rapport à la foi chrétienne : en quoi peut-on dire que la Trinité ne s’oppose pas à l’unicité de Dieu, en quoi peut-on dire que Dieu est « père » de Jésus et que Jésus est « fils » de Dieu ? Quel est le lien entre cela et le fait que les chrétiens prient Dieu en l’appelant « notre Père » ? Volontairement ces questions ne sont pas traitées de manière systématique, en un seul chapitre, mais plutôt par « petites touches ». Il s’agit de rendre compte du fait que pour un musulman, de telles notions sont tellement difficiles à comprendre qu’une seule explication, même extrêmement concise et pertinente ne suffit pas lui donner l’intelligence d’un mystère que les chrétiens méditent depuis deux millénaire.
Pierre Grelot aborde aussi la foi dans sa dimension pratique et communautaire. Le thème de la prière y a notamment une place importante. On y découvre la manière dont chrétiens et musulmans pratiquent leur liturgie. L’auteur explique comment il peut, comme chrétien, faire sienne la prière d’ouverture du Coran, la fâtiha, montrant bien qu’il s’agit pour lui d’une lecture chrétienne. Il prend le temps aussi d’expliquer la prière du Notre Père avec des mots tout simples en mettant l’accent sur certaines approches similaires qui existent dans la tradition musulmane, mais en montrant aussi l’originalité des dimensions spécifiquement chrétiennes de cette prière.
Les questions de société sont largement évoquées au cours de ces rencontres. L’auteur dénonce toutes les actions qui visent à faire triompher la cause de Dieu par la violence : terrorisme, attentats-suicides, loi contre l’apostasie, régimes fondamentalistes… De telles positions, dit-il, sont favorisées aujourd’hui dans l’islam par une interprétation littérale du Coran encore très normative dans le sunnisme à travers le monde. Il montre comment les chrétiens, dont l’histoire n’est pas dépourvue de phases obscurantistes, ont été amenés à évoluer dans leur interprétation des textes sacrés. Contrairement à ce que pensent certains musulmans, il ne s’agit pas là d’un relativisme qui serait la cause de la perte de références religieuses dans la société, mais il s’agit de mieux voir comment la Parole de Dieu peut-être une nourriture pour notre vie quotidienne dans la société contemporaine. La Parole de Dieu vivante dans le christianisme, ce n’est d’ailleurs pas la Bible, mais Jésus qui nous parle.
Les dialogues sont parfois précédés de courtes introductions dans lesquelles l’auteur réfléchit tout haut et se demande jusqu’où il doit aller dans l’échange, s’il ne risque pas de vexer son interlocuteur, comment peuvent être comprises ses paroles, comment expliquer des concepts qui reposent sur un arrière-fond tellement différent… Ceux qui sont engagés dans le dialogue avec des musulmans y retrouveront des questions de fond qu’ils sont obligés, eux aussi, de se poser régulièrement. L’auteur se défend de faire un ensemble de réflexions apologétiques qui montreraient la supériorité de la foi catholique sur la foi musulmane : il s’agit de rendre compte de la foi chrétienne, dans un pays marqué par la présence de l’islam, à travers un dialogue respectueux, dont on comprend, au fur et à mesure de la lecture, qu’il a été extrêmement fécond pour notre auteur comme pour son interlocuteur. Le lecteur ne manquera pas de découvrir cette fécondité pour lui-même au fur et à mesure de la lecture.
Henri de La Hougue