Présentés par sœur Anne-Catherine Meyer, voici rassemblés en un volume un ensemble d’articles et de conférences de l’évêque d’Oran, mort assassiné en 1996, et traitant du dialogue des cultures et des religions.
Ces textes gardent toute leur actualité en ces temps où le dialogue islamo-chrétien fait la une des journaux, en particulier à la suite des initiatives tant de Benoît XVI et du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux que de 138 représentants musulmans, sous l’égide d’une fondation jordanienne, The Royal Aal al-Bayt Institute for Islamic Thought (http://www.acommonword.com/).
Ils tentent de répondre à la question de la vie positive face au pluralisme de l’humanité et abordent les enjeux et conditions du dialogue entre personnes de cultures et de religions différentes. A partir principalement de l’expérience algérienne, les premières études analysent les enjeux et les conditions du dialogue des cultures et des religions. D’autres abordent les questions plus concrètes permettant de vivre ensemble dans une société plurielle. Elles indiquent les chemins de paix qu’il conviendrait d’emprunter pour favoriser la rencontre malgré les barrières qui se dressent entre les hommes.
Pour Pierre Claverie, nos différences, loin de nous opposer dans des guerres fratricides, peuvent nous entraîner dans une émulation et une conversion mutuelle au Dieu qui nous éclairera un jour sur le mystère de leur pluralité. Ainsi dialoguer ne saurait ni réfuter la pensée d’autrui ni l’intégrer à la sienne propre. Il s’agit de se mettre soi-même en question pour aller plus loin, l’un grâce à l’autre, « tenant quelque chose ensemble au-delà de ce que chacun tient présentement sans l’autre, en face de l’autre, quand ce n’est pas en opposition avec l’autre » (Jean Lacroix).
Constatant que la plupart du temps, les rationalités mises en œuvre par les théologiens chrétiens et musulmans diffèrent profondément, il souligne que leurs discours se croisent sans dialoguer. Révélation, Ecritures, paroles de Dieu, prophéties n’ont pas la même signification pour les uns et les autres. Les débats autour de ces notions aboutissent à des malentendus et à des demi-vérités. Il est donc primordial de faire naître entre les uns et les autres confiance et respect mutuel. C’est possible comme le montre les fruits du travail du GRIC, œuvre patiente et hors de toute pression de l’opinion pour faire avancer la vérité.
De ses pages, il se dégage cette conviction profonde qu’il n’y a d’humanité que plurielle. Personne ne possède la vérité. Il y a certes des vérités objectives mais elles nous dépassent tous. On ne peut y accéder que dans un long cheminement, en recomposant peu-à-peu cette vérité, « en glanant, dans les autres cultures, dans les autres types d’humanité, ce que les autres aussi ont acquis, ont cherché dans leur propre cheminement vers la vérité ». Si des hommes croient au Dieu Unique, ils ne possèdent pas Dieu, ni par Jésus qui le révèle, ni par les dogmes de la foi. N’oublions pas que Jésus reste un mystère dont nous n’avons jamais fini de découvrir les richesses. Si le chrétien professe que Jésus est bien « la Voie, la Vérité et la Vie », il n’en est pas moins lui-même sur le chemin de la connaissance qui ne s’achèvera que dans le face-à-face, en vivant lui-même une Pâque, celle de la dépossession de tout-savoir de Dieu si ce n’est qu’Il est Tout Amour. Dès lors, toute vérité doit l’intéresser parce qu’elle peut éclairer une part pour lui inconnue du mystère de Jésus et, par le fait-même, de Dieu.
Vincent Feroldi (Lyon)
Pierre Claverie, Humanité plurielle, Editions du Cerf, 2008, 336 p, 20 €.