Il est au Liban des évidences qu’on ne peut nier ni négliger. Ces diversités qui nous caractérisent peuvent être source de dissensions comme nous l’avons tragiquement vécu durant des années de violence civile. Mais elles peuvent également être source d’ouverture, de citoyenneté responsable et de vivre ensemble dans toutes les formes de respect possible. À condition bien sûr de préparer le terrain, d’aplanir les extrémismes, de réconcilier les uns avec les autres, montrer la richesse de ces diversités, et préparer les enfants à un monde où la paix et l’amour de l’autre vont de pair avec l’exercice de leur foi.
Fondée en 2006 par le père Fadi Daou, Nayla Tabbara, Samah Halwany, Tony Saouma et Mireille Matar, la Fondation Adyan, qui a reçu le 19 février 2018 le 35e Prix Niwano pour la Paix « pour son travail créatif et de grande envergure, visant à édifier la paix et à favoriser la coexistence interreligieuse », travaille en profondeur pour sensibiliser à une solidarité spirituelle solide. Musulmane sunnite de Beyrouth, Nayla Tabbara vit sa foi avec intelligence, profondeur mais surtout partage. Après des études d’histoires et un DEA sur la femme musulmane et la transmission du savoir au Moyen Âge, elle bénéficie à travers un de ses professeurs à l’Université Saint-Joseph, le père Louis Boisset, d’une bourse du conseil pontifical pour poursuivre ses études dans les universités du Vatican. Une expérience unique pour la jeune musulmane qui a bien compris alors, à travers des moments spirituels partagés intenses, la nécessité d’aller beaucoup plus loin dans la relation avec l’autre en étant elle-même un pont rassembleur. Après un doctorat en sciences des religions, la rencontre avec le père Daou est fondamentale. Le dialogue commencera à travers une Esquisse d’une théologie de la rencontre dans l’Orient arabe, article écrit par le père Daou et continué par Nayla Tabbara. Cet échange riche et ouvert, qui se poursuivra, débouchera sur un livre, L’hospitalité divine, où l’expérience spirituelle de l’autre est mise en avant pour une amorce d’une vraie volonté de vie en harmonie. L’esprit d’Adyan, qui rayonne aujourd’hui dans plusieurs pays de la région, n’est pas de tolérer la présence de l’autre ou de la dissoudre dans un état laïc mais au contraire de développer une citoyenneté inclusive de la diversité. Cette citoyenneté serait « le cadre sociopolitique dans lequel les citoyens reconnaissent et assument la diversité culturelle au sein de leur société et œuvrent ensemble à travers le dialogue et le partenariat pour la cohésion sociale et l’unité nationale, à travers un processus inclusif et créatif de développement individuel et social ». Autrement dit de vivre sa religion pleinement dans le respect de la religion de l’autre et du bien commun.
Le vivre-ensemble
Et Adyan ne manque ni de ressources ni d’idées pour mener à bien ce vaste programme qui dépasse nos frontières. Directrice de la Fondation de l’institut de la citoyenneté et la gestion de la diversité, Nayla Tabbara adopte un sourire confiant lorsqu’elle énumère les multiples activités de son département. D’abord dans les écoles avec le projet Alwan qui vise à implémenter des programmes d’éducation à la diversité, à la citoyenneté et au vivre-ensemble en ouvrant les esprits au travail communautaire, aux lieux historiques de partage, à la nécessité d’avoir l’image complète des faits sans se laisser guider par la mémoire blessée des parents. Un projet qui s’étendra aux grandes et petites classes, et qui a reçu en 2013 le 2e prix de l’alliance des civilisations des Nations unies pour vivre ensemble en paix dans un monde pluriel. Un autre pôle de l’institut géré par Nayla Tabbara est celui des formations avec, toutes les semaines, des cours dispensés aux personnes intéressées dans des domaines aussi variés que religion et état, religion et lois, religions et affaires publiques… Et la troisième activité est la mise en place de formateurs dans toute la région. Déjà plus de 90 personnes qui à leur tour vont transmettre leur savoir dans une chaîne indispensable pour l’avenir du monde. Engagée et passionnée, Nayla Tabbara multiplie les bonnes idées et surtout les initiatives salutaires qui retissent les fils du dialogue et favorisent le chemin vers la paix, l’unité et une diversité heureuse. Au Liban, ce sera un chantier de réflexion avec des représentants des différentes communautés sur les différentes valeurs de la vie publique : la justice, le respect des lois et des pactes, la confiance partagée, la dignité humaine, l’acceptation de l’autre, la solidarité, le pardon et le bien commun. Ce sera aussi des conférences, des recherches et une collection de livres publiés chez Dar el-Farabi sans oublier un travail de fond sur les récentes déclarations émanant d’institutions musulmanes sur la coexistence, le pluralisme et la non-violence. Au-delà des frontières libanaises, Adyan c’est aussi un site, taadudiya.com, où de petits films regroupent des réflexions sur les religions du monde, des portraits de personnalités qui n’ont pas hésité à aller à « contre-courant », à prôner l’amour et la paix créant ainsi des réseaux d’ambassadeurs, de familles, d’universitaires désireux de vivre en toute harmonie leurs différentes religions. Adyan, c’est également un nouveau département qui travaille avec le ministère de l’Éducation sur une refonte du curriculum libanais pour y inclure de nouveaux concepts, pour travailler sur les lois, sur l’éducation civique et exporter cette expérience libanaise dans d’autres pays. La déclaration de Beyrouth a été élaborée d’ailleurs dans ce sens avec des acteurs locaux et régionaux pour changer les préceptes d’éducation et intégrer la diversité. Le Liban est définitivement un pays de coexistence à condition de faire à l’autre une vraie place.
Prix Niwano
La Fondation Niwano « soutient Adyan et la félicite pour son influence positive et spirituelle au Moyen-Orient », et est « honorée de décerner ce prix à la Fondation Adyan pour son travail créatif et de grande envergure, visant à édifier la paix et à favoriser la coexistence interreligieuse », a-t-elle annoncé.
La Fondation Niwano a souligné qu’Adyan avait notamment réagi en 2013 à la crise syrienne en proposant un dialogue de médiation interconfessionnelle et une éducation à la paix aux citoyens syriens vulnérables au Liban et en Syrie, à travers un projet d’élaboration de la résilience et de la réconciliation.
Les formations ont permis aux éducateurs syriens de proposer des approches pacifiques et réconciliatrices dans les écoles formelles et non formelles. L’espoir est que les enfants et les adolescents syriens développent des stratégies alternatives pour construire la paix, ce qui les empêchera de sombrer dans le cercle vicieux de la violence.
Depuis deux ans, Adyan avait entamé un travail intensif en Irak avec des journalistes et des activistes de la société civile, dans le but de renforcer leurs capacités à diffuser les valeurs de la citoyenneté inclusive et de la solidarité interreligieuse, et de guérir la société du traumatisme de l’EI.
« Par l’octroi à Adyan du Prix Niwano de la paix, il y a une reconnaissance du rôle local et international de la fondation dans la construction de la paix, et un appel au Liban afin de renouveler sa foi en ses potentialités afin que, à travers sa victoire sur le confessionnalisme, il s’élève au niveau de sa mission civilisationnelle en tant que modèle de liberté et de pluralisme », a déclaré le père Fadi Daou, président d’Adyan.
« Avec la sélection de la Fondation Adyan comme lauréate du 35e Prix Niwano de la paix, le Liban avance d’un pas sûr vers sa reconnaissance comme centre mondial pour le dialogue des cultures et des religions », a-t-il souligné.
En 2016, une décennie après sa création, Adyan était déjà composée de plus de 3 000 membres, et 35 000 personnes dans 29 pays avaient bénéficié directement de ses activités. Par ailleurs, son site taadudiya (http://taadudiya.com) plate-forme créée en 2017 pour la promotion du pluralisme, est suivi par 23 millions de personnes dans le monde arabe, preuve que la population arabe, notamment les jeunes, sont à la recherche d’un discours alternatif à celui qu’elle entend en temps normal.
Le Prix Niwano de la paix vise à encourager les personnes ou organisations qui se consacrent à la coopération interreligieuse afin de promouvoir la paix. Il est décerné par un comité composé de figures religieuses de stature internationale. Le prix est décerné chaque année lors d’une cérémonie en mai à Tokyo et il est doté de 20 000 000 de yens, soit environ 185 000 dollars. L’an dernier, il avait été remis à l’évêque Munib Younan de Palestine.