Cet article est composé de cinq parties, nous publions aujourd’hui la première
- Prendre conscience de la dualité ressemblances / différences
- Développer une attitude juste dans une situation de minorité / majorité.
- Témoigner de sa foi sans prosélytisme
- Résoudre les conflits par la non-violence.
- Stratégies éducatives.
Introduction
J’ai vu récemment une jolie caricature montrant un adulte qui interroge un enfant :
– Dans ton école, il y a des musulmans, des juifs, des chrétiens ?
– Non, dans mon école, il n’y a que des enfants.
Dans son innocence, l’enfant a transcendé les catégories étanches où tant d’adultes enferment les autres.
Affirmer notre commune humanité, le fait que les autres sont nos semblables (l’âge seul étant un critère de différenciation pertinent), est une belle première réaction pour un enfant.
Cependant, dans le monde pluriel où nous vivons, il faut aller plus loin et amener l’enfant à réfléchir à la double relation de similitude / différence qui nous lie les uns aux autres. Cela, pour aborder de façon saine la complexité d’une société composite et ne pas tomber dans les pièges, omniprésents, de l’exclusion et de la stigmatisation, dont les tentacules aboutissent facilement à la violence.
Dans cet article, nous tenterons de réfléchir au type d’éducation à donner aux jeunes pour développer une attitude à la fois lucide et solidaire vis-à-vis de l’Autre, différent sur plusieurs plans possibles, notamment sur le plan religieux.
- Prendre conscience de la dualité ressemblances / différences
L’école est de plus en plus confrontée à la diversité des origines religieuses, culturelles et sociales des élèves. La mondialisation accentue les rencontres de publics diversifiés.
Et c’est dès la petite enfance que se forme le regard que nous portons sur l’Autre, et partant l’attitude que nous aurons envers lui. L’enjeu est important : devant ceux qui diffèrent de moi, s’agit-il de vivre :
– dans un esprit d’affrontement;
– de vivre à côté dans une certaine indifférence;
– ou alors de vivre vraiment ensemble ?
Nous pensons que le système éducatif – école, université, parents et société dans son ensemble – a un rôle essentiel à jouer pour conduire l’enfant vers un vivre-ensemble de qualité, orienté vers la paix et la solidarité. Il importe de favoriser une compréhension des interactions sociales et de l’interdépendance entre l’enfant, les autres (différents) et l’environnement, dans une perspective d’ouverture, d’inclusion et de justice. Cela suppose de déconstruire préjugés et stéréotypes issus du milieu social envers ceux qui sont différents. C’est un pré-requis pour lutter contre l’esprit de discrimination et la vulnérabilité à l’endoctrinement.
Il ne s’agit ni d’ignorer les différences, ni de les sacraliser. Les enfants repèrent très vite celles d’ordre ethnique, religieux ou socioculturel. L’éducateur doit conduire l’enfant vers la pleine reconnaissance de l’autre, en identifiant les caractéristiques dissemblables, tout en refusant d’établir entre elles la moindre hiérarchie. Insister, à travers des exemples, sur le concept d’égalité dans la différence. Il s’agit ensuite de faire ressortir les similitudes qui, au-delà des différences, nous unissent et font de nous des frères en humanité. Amener graduellement l’enfant à découvrir l’ampleur des similitudes, qui dépasse de loin celle des différences.
Ensuite le conduire à voir que les paramètres de différenciation sont multiples. On peut partager une classe en deux ensembles : filles et garçons, ou alors grands et petits, ou clairs et basanés, ou musulmans et non-musulmans, et ainsi de suite. Selon chacun de ces clivages, l’enfant découvrira qu’il appartient à un groupe de personnes différentes. C’est-à-dire que chacun a de multiples appartenances, et qu’avec chaque personne, il a des choses en commun, ce qui facilite partage et communication. Il comprendra alors de manière naturelle qu’on ne peut pas reléguer l’Autre à l’extérieur d’un « Nous » inclusif.
Devant la différence de l’Autre, l’incompréhension induit bien souvent un sentiment de peur; celle-ci est un des leviers du racisme et de la xénophobie. Il faut faire découvrir à l’enfant l’aspect positif des différences, la valeur ajoutée de la diversité. Par la contemplation de celle-ci dans la nature, elle qui fait sa richesse et sa beauté. L’amener à méditer sur cette phrase de Saint Exupéry : « Celui qui diffère de moi, loin de me léser m’enrichit »[1]. Lui demander de trouver des exemples qui illustrent cette phrase.
La tolérance, premier niveau du vivre-ensemble harmonieux, suppose une attitude plus sereine pour accepter la différence de l’autre, sans se laisser déstabiliser par elle. Il ne s’agit pas de tolérer tout acte, car certains sont inacceptables, mais de respecter toute personne. Ecoutons Paul Ricoeur : « La tolérance, ce n’est pas une concession que l’on fait à l’autre; c’est la reconnaissance de principe qu’une partie de la vérité m’échappe »[2].
A partir du collège, on pourra amener les élèves à s’interroger sur les processus de construction des civilisations. Les amener à comprendre que l’Histoire, les cultures, les religions, les identités nationales ou ethniques, les systèmes symboliques ne sont pas fixes, mais constituent des constructions en transformation constante. C’est par l’ouverture aux aspects positifs d’autres cultures et par leur intégration, qu’une civilisation se développe pleinement. Ce fut le cas de la civilisation arabo-musulmane durant de longs siècles, c’est aujourd’hui le cas d’autres civilisations. L’enfermement sur soi en revanche, risque d’entraîner un processus de déclin. L’objectif est d’amener l’enfant à développer une saine curiosité envers celui qui est Autre, en se demandant ce qu’il peut trouver de bien en lui et qui pourrait l’aider à se construire lui-même. S’ouvrir à l’autre ne veut pas dire adopter ses attributs, ses façons de penser, mais plutôt se laisser interroger par eux, et trouver ses propres réponses.
On cherchera à rendre plus profond le regard de l’enfant, de manière à découvrir sous le vernis des différences, l’humanité de l’autre qui rejoint la sienne, faisant ainsi reculer la peur. Il sera de plus en plus curieux de cet Autre, curieux de sa différence. Il fera un effort pour mieux le comprendre, pour l’apprivoiser. Cette expérience vécue de la diversité apprend à tisser des relations solides, avec ceux qui sont de culture différente.
Partant de cet élan de curiosité vers l’autre, l’éducateur favorisera un état d’esprit de l’enfant le conduisant à accueillir autrui dans son propre espace intérieur. Lui faire de la place dans ses préoccupations, avoir de la bienveillance à son égard. Chercher à mieux le connaître, avec ses qualités et ses défauts, avec sa grandeur et ses petitesses, avec sa vulnérabilité et sa fragilité. Avec sa part d’ombre et sa part de lumière, comme elles existent aussi en soi-même. On dépassera alors la simple tolérance pour s’engager avec l’autre, pour l’autre. Devenu adulte, un enfant formé dans cet esprit sera motivé pour contribuer à construire une fraternité humaine, diversifiée, qui transcende les frontières.
Si le contexte permet de transmettre une éducation spirituelle, on expliquera à l’enfant que plus il approfondit sa propre relation à Dieu, plus les différences avec ses camarades d’autres religions s’amenuisent. On le conduira à découvrir que connaître l’autre en profondeur, l’amène à retrouver l’image de Dieu enfouie en lui. Ce qui renvoie à l’image de Dieu en soi-même. Et comme pour les monothéistes il s’agit du même Dieu, il s’établit entre les deux personnes un lien sacré.